4 PLANIFICATION

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— Bravo ! Tu as réussi, tu l'as fait.

Léaina sauta au cou de son petit frère et s'y agrippa, si bien que ses pieds ne touchaient plus le sol. Il la serra fort contre elle, et tournoya avec elle alors qu'elle riait aux éclats et sommait à Kalen de la faire immédiatement redescendre. Dans son landau, le petit Matteo battait des mains en ricanant. 

Puis il les tendit vers son père, attendant que ce dernier le porte et le fasse aussi pirouetter. Kalen s'exécuta, et Matteo hurla de rire lorsque le décor se mit à tourner autour de lui. Ils étaient dans la pièce sécrète de la maison, celle derrière la bibliothèque de la cuisine au bois de séquoia, celle qui leur permettait de cacher l'existence de Matteo au monde entier... 

Les murs avaient été peints à la va-vite de tons bleu clair et jaune. Il y avait une ampoule peu lumineuse qui pendait au-dessus du berceau, et de tas de jouets jonchaient le tapis bleu sombre qui recouvrait le sol. Des briques en plastique, des peluches, des ballons, et quelques ficelles en caoutchouc, pour le plus grand bonheur du gamin.

— Tu aurais dû voir sa tête, quand il t'a vu passer à la télé, se moqua Léaina en ajustant le bonnet blanc de l'enfant. Il était comme hypnotisé.

— Hypnotisé ? s'inquiéta Kalen.

— C'que t'es rabat-joie quand tu t'y mets ! souffla Léaina, alors qu'ils montaient les marches qui conduisaient hors de la cave sécrète. Ils débouchèrent dans la cuisine étroite, d'où provenait le ronronnement sourd du micro-onde et une odeur de macaronis au poisson. Anto disait que c'en était fini des convulsions, et que c'était uniquement passager.

— Je l'espère, soupira Kalen en faisant des mimiques drôles à son fils. Dehors, la nuit était déjà bien descendue sur la ville. Léaina ramena les rideaux violets à fleurs jaunes devant la fenêtre du salon. La pièce devint encore plus sombre. Elle actionna l'interrupteur de l'ampoule, qui grésilla un bon moment avant de se stabiliser. Aujourd'hui, continua le nouveau cuisinier, j'ai pu approcher Ramis Winchester.

— J'ai bien vu ça, soupira Léaina en souriant à demi. Tant le plat l'a conquis, que celui qui l'a cuisiné. Mais n'oublie pas que tout ce que tu fais, tu le fais uniquement pour Matteo. Pour personne d'autres...

— Ena, c'est mon chef. Théo, je ne crois pas être son genre. Et enfin tria, même si je l'étais, je me suis promis de ne plus jamais aimer aucun homme. De ne plus jamais...tuer aucun homme...

— Et c'est reparti pour un tour, soupira la rousse. Le repas est prêt, va prendre ton bain. Et surtout, n'oublie pas de refermer la bouteille de shampoing. Sinon, j'utilise ta peau comme serpillère pour tout nettoyer. T'es prévenu.

Déjà les pensées de Kalen étaient retournées vers Ramis, qu'il n'écoutait plus un traitre mot de ce que disait sa grande sœur. Il repensait à l'homme qui s'était opposé à ses compères, à son père, pour le défendre. N'était-ce pas chevaleresque ? Tout en lui inspirait crainte et fantasme. Il avait de magnifiques cheveux cacao, Kalen rêvait de les ébouriffer sauvagement lorsqu'il l'embrass...

— Tu m'as entendu ? s'exclama Léaina sur le pas de la porte, constatant que son frère n'avait pas bougé.

— Je meurs de faim, bredouilla Kalen en se précipitant dans sa chambre, sous le regard inquisiteur de sa sœur.

De toute façon, elle ne comprendrait pas. Lui-même ne comprenait pas. Ramis avait ce quelque chose. Ce truc mystérieux qui accaparait toutes ses pensées et son imaginaire. Il ne l'avait vu que pendant quelques minutes. Quelques minuscules petites minutes. Mais ces minutes, aussi burlesques furent-elles, avaient suffi à graver tous les détails de sa personne. 

LIENS PARTAGÉS (WATTYS2020)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant