7 SUSPICION

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Quand il rentra chez lui ce jour-là, Kalen n'avait qu'une seule envie : savoir que sa famille était en sécurité. Il avait pédalé sur cinq cents mètres dans la pluie drue, et son par-dessus noir suintait comme les larmes sur son visage. Il avait pleuré tout le long du chemin sans même s'en rendre compte. 

Le téléphone de sa sœur ne passait plus depuis qu'elle lui avait raccroché au nez. Il inséra fébrilement sa clé dans la serrure. Un éternuement violent l'ébranla, en même temps que le ciel se zébrait d'éclairs. Lorsqu'il parvint à ouvrir la porte éraflée, l'odeur familière de la paraffine s'insinua en lui. 

Un carré lumineux se dessina sur le sol noir, lorsqu'un autre éclair ébranla les nuages sombres. La maisonnée baignait dans un calme inquiétant. Seules les déflagrations menaçantes du tonnerre déchiraient le silence de la nuit. 

Les meubles anciens dessinaient des ombres inquiétants sur les murs. Kalen essaya d'actionner l'interrupteur, mais rien ne se passa. Il avança précautionneusement dans la pièce déserte. De son par-dessus, suintaient encore des gouttes de pluie. Pink...Pink...

Un bruit régulier et angoissant, qui ponctuait chacun de ses pas alors qu'il s'approchait de la cuisine. La porte entrouverte laissait apparaitre un fin trait lumineux. Il continua d'avancer, le souffle court. Peut-être la police n'était-elle pas encore partie ? Peut-être l'attendait-elle encore... Pink...Pink... 

Le trait de lumière se rapprochait de lui. De sa bouche entrouverte s'échappait de la buée, au rythme rapide de sa respiration. Soudain, il sentit une bourrasque de vent froide lui frapper en plein dans le dos. La porte d'entrée claqua avec une violence inouïe. Les poils de Kalen se hérissèrent. Il se retourna d'un geste sec. 

Le vent. C'était le vent. Il entendit des bruits étouffés en provenance de la cuisine et se tourna à nouveau. Il avait l'impression d'être une souris dans une petite cage. Il avait l'impression qu'un fantôme l'épiait, prêt à le dévorer. Il fouilla frénétiquement dans son sac mouillé. Et sous son tablier glacé, il s'empara de son couteau de cuisine. La lame acérée brillait sous la lumière des éclairs intermittents. Pink...Pink... 

Les pas se rapprochaient. Il serra le couteau dans sa main tremblante. Qu'importe qui lui tendait une embuscade derrière cette porte, il ne se laisserait pas faire. Ils ne l'auraient pas. 

Il arriva près de la porte. Il vit une ombre se faufiler derrière. Son cœur s'accéléra. Il y avait quelqu'un derrière la porte rouge. Il y avait quelqu'un, qui lui voulait du mal. Sinon, pourquoi rester caché ? Il posa sa main gauche sur le poignet et ressera la droite sur le poignard. Et dans sa tête, il se mit à compter jusqu'à trois. 

Un...deux...

Soudain, le poignet glissa hors de sa main. Il eut un mouvement de sursaut. Son adversaire l'avait devancé et avait tiré la porte avant lui. Instinctivement, il souleva son arme en rugissant de frayeur. 

Et il s'arrêta net en découvrant l'identité de celui qui se tenait devant lui.

— Baisse ton arme, Kalen. Ce n'est que moi...

Sans réfléchir, il balança le couteau au sol et se rua sur le cou du docteur Delacruz. C'était un homme élancé aux cheveux bruns grisonnant. Il avait le teint hâlé, et des yeux profondément ancrés dans leurs orbites.

— Espèce de voyou, dit-il en empoignant le col d'Antonio, tu m'as trahi, merde ! Et mon fils...mon fils dans tout ça ? Tu y as pensé, Tony ? Tu y as pensé quand tu m'as dit qu'Ingrid Winchester était morte ? Ses pleurs reprirent de plus belle, et il se mit à gémir bruyamment. 

"Tu n'as pas pu t'empêcher, hein ? brama-t-il en écrasant son ami contre le mur. La porte trembla, et des débris de ciment tombèrent en poussière sur le sol. Tu n'as pas pu t'empêcher, salaud de mes deux ! Je te hais, je te hais, toi et ton serment d'hypocrite. Ou sont-ils ? Ou sont-ils, Tony ?"

— Mais c'est quoi ces manières, Kalen Lachenaie ?

La porte de la cuisine s'ouvrit grandement et il entendit cette voix dure, semblable à un reproche. Un ultime coup de tonnerre rugit dans le ciel nocturne. Kalen se retourna. Et là, dans l'encadrement de la porte, il vit la silhouette de sa sœur. Elle tenait entre ses bras le petit Matteo, qui s'évertuait à mordiller dans un vieux canard en plastique rouge. 

On entendit chantonner le coucou de l'horloge éraillée. L'ampoule grésilla au même moment, s'alluma, s'éteignit immédiatement, avant de s'allumer à nouveau pour de bon. Kalen se rua sur sa famille, et les serra tous deux dans ses bras. Sa respiration se calma, les battements de son cœur également.

— Saleté d'ampoule, rouspéta Léaina lorsque la lumière flancha à nouveau. Tu veux bien me lâcher maintenant, Kalen ?

— Tout va bien ? demanda-t-il en essuyant son visage larmoyant.

— Je t'ai dit que j'avais un plan. Tu n'avais pas à t'inquiéter, petit emmerdeur ! J'ai géré.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? Que voulait cet agent de police ? Raconte-moi tout...

Quelques heures plus tôt...

Xander décrocha tous les portraits qui décoraient le petit salon, cherchant la présence d'un potentiel coffre secret. Il souleva le tapis, fouilla l'intérieur des vases décoratifs, et s'attarda sur l'horloge lorsque ce dernier émit son coucou inhabituel. Il tâta le papier peint défraichi violet qui faisait office de cache-misère. Mais aucun compartiment secret dans les murs. 

Il se dirigea vers la cuisine, pour continuer ses investigations. Le vieux four rouge y passa. Le réfrigérateur aussi. Il n'omit pas de vérifier également le micro-onde. Il savait qu'une preuve se cachait quelque part. Il n'avait pas léché les bottes du procureur pour se planter si près du but.

 Kalen Lachenaie était le criminel qu'ils recherchaient. Et il n'existait aucun crime parfait. Alors il y avait une preuve, quelque part. Il se planta devant la bibliothèque rouge, et effleura les livres poussiéreux qu'elle contenait.

— Une armoire à livres en pleine cuisine ? murmura-t-il. Singulier...

— J'aime bien lire quand je cuisine, répliqua Léaina du tac au tac. Mais dans sa tête, elle ne pensait qu'au petit Matteo, caché dans l'abri derrière la bibliothèque.

— On ne dirait pourtant pas que ces livres aient été ouverts depuis longtemps. A part peut-être celui-ci. Le journal d'AnneFranck. Il effleura du doigt l'ouvrage, et essaya de s'en emparer... 

LIENS PARTAGÉS (WATTYS2020)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant