XII. Errance Américaine

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Perdue dans mes pensées, je regarde la vue imprenable sur Los Angeles qu'offre l'une des immenses baies vitrées de la villa. L'ironie du sort veut que ce qui est en train de se transformer en mon pire cauchemar se déroule dans un décor aussi sublime qu'idyllique. Alors qu'une larme coule sur ma joue, je la fais disparaître avec le dos de ma main. Mes pleurs sont inutiles. La seule chose que je dois faire est de me reprendre afin de trouver une solution pour sortir de l'impasse où je me suis moi-même mise. Toutefois la colère que j'éprouve m'empêche de penser clairement. L'unique moyen d'apaiser ma rage est d'aller voir Sami et d'entendre sa voix rassurante. Ses paroles ont le pouvoir de calmer mon âme, mais pour la première fois depuis que je le connais c'est une chose impossible. Il est en zone interdite c'est-à-dire dans le studio. La nervosité me pousse à faire les cent pas dans le salon. J'ai alors l'idée d'aller marcher avec mes écouteurs hurlants mes morceaux favoris dans mes oreilles. L'air extérieur et la musique étaient les deux seules choses qui m'aidaient à calmer mes nerfs avant que je ne rencontre Sami. Sans plus attendre, j'attrape mon téléphone et mon porte-feuille puis m'éclipse de la villa sans un mot.

Même si nous ne sommes qu'au début du printemps, le soleil californien est brûlant et la chaleur qui se dégage de l'asphalte est étouffante. Cette ville doit être un enfer en plein été. Alors que je lance ma playlist la voix de Dan envahit mes écouteurs. Très drôle. J'ai l'impression que la vie est en train de se rire de moi. Tempête de haine. Mon titre préféré. En tout cas c'est celui que j'écoutais en boucle avant de connaître son créateur. Les paroles décrivent avec une exactitude surprenante ce que je suis en train de ressentir.

Ataraxie. Quand j'ai enfin trouvé cette quiétude absolue que je cherchais désespérément, je réalise que la nuit est déjà tombée et que la chaleur suffocante a laissé place à la fraîcheur d'une légère brise. Ce vent apporte à mes narines l'odeur si particulière de l'océan et me donne envie de m'y rendre. J'attrape mon téléphone et découvre avec surprise qu'il est déjà plus de vingt-et-une heures. Aucun message, aucun appel manqué. Sami doit être furieux pour ne pas avoir pris de mes nouvelles.

- Je peux t'emmener quelque part.

La chaude voix de Lucas fait disparaître les poils hérissés de mes bras à cause de l'air nocturne. Arrêté au milieu de la route il me sourit à travers la vitre baissée de la voiture.

- Tu m'emmènes où ?

- Ah ça si tu veux le découvrir il faut monter, ajoute-t-il en ouvrant la portière.

Sans poser davantage de questions je monte dans la voiture. Lucas dégage quelque chose de rassurant et de sympathique. Je suis contente qu'il soit venu à ma recherche même si une partie de moi regrette que ce ne soit pas Sami.

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J'ai grandi dans une famille modeste. Nos moyens n'étaient pas très importants, mais nous avions tout pour être heureux. Non. Je n'aime pas cette formulation. Il est plus juste de dire que nous avions l'essentiel pour ne pas être malheureux. Parmi les choses qui me comblaient facilement, il y avait les comédies romantiques américaines. Toutes les millennials ont déjà vu un de ces films où le couple s'installe le soir sur les hauteurs de Los Angeles pour admirer la vue. Aujourd'hui je suis dans le rôle titre et c'est sous mes yeux que la ville s'étend à l'infini. Installés sur le capot de notre voiture, nous dévorons un plat typique américain : hamburger, frites et soda. 

- C'est magique. J'ai l'impression d'être tombée dans une faille spatio-temporelle et je veux surtout pas en sortir, dis-je avec le sourire aux lèvres. Comment t'as connu cet endroit ?

- J'ai presque toujours vécu ici alors je connais tous les meilleurs spots. J'avais quatre ans quand mes parents se sont installés dans cette ville. Je me souviens même pas de la France à vrai dire.

A l'ombre de ma plumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant