IV. Une lueur d'espoir

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Dans tous les films américains lorsque l'héroïne perd son travail on la voit réunir toutes ses affaires dans un carton. Généralement elle y met une plante, des carnets, tout un tas de stylos ainsi qu'une photo encadrée. On la suit ensuite jusqu'à chez elle sur un fond musical qui oscille entre mélancolie et gaieté. Tout cela relève uniquement de la fiction. Après avoir annoncé la nouvelle de mon licenciement à Anna, qui contre toute attente est restée impassible, j'ai récupéré mon sac avant de partir définitivement. Je soupçonne mon ancienne collègue d'avoir su avant moi le sort qui m'était réservé. L'idée selon laquelle les collègues ne deviennent jamais de véritables amis me semble maintenant tristement réelle. Alors que j'effectue mon trajet retour pour la toute dernière fois, mon esprit vagabonde à la recherche de toutes les expressions et de tous les mots existants pour dire que l'on vient de se faire renvoyer. Être congédié, être remercié, se faire virer, se faire licencier. J'essaie de faire taire le flot de mots qui me vient en tête sans discontinuer, mais c'est impossible. C'est une déformation professionnelle ou plutôt estudiantine. Effectivement, cette habitude m'est venue lors de ma licence de lettres modernes à la Sorbonne. En entreprenant ces études l'un de mes objectifs était d'étoffer mon vocabulaire afin d'améliorer mes écrits. C'est pourquoi je me forçais constamment à chercher des synonymes ou des antonymes pour tous les mots que j'utilisais. Durant trois années j'ai pu nourrir ma soif de connaissance grâce à de nombreuses lectures et analyses de textes. Toutefois l'alternance des casquettes d'étudiante et d'employée a eu raison de moi. Épuisée par mes soirées derrière la caisse du Macdonald, j'ai décidé de ne pas faire le master pour me trouver un vrai travail. Malheureusement les portes qui s'ouvrent avec une licence de lettres modernes en poche ne sont pas très nombreuses, mais je n'ai aucun regret. J'ai amélioré ma plume et je crois en elle, persuadée que mes efforts finiront par payer. Les sacrifices de Sami et les miens ne seront pas vains.

De retour "aux caramels", je découvre pour la première fois l'étonnante ambiance d'un lundi matin ordinaire. Le silence règne et la nature a repris ses droits. J'entends le chant des oiseaux uniquement interrompu par la brise printanière s'engouffrant entre les immeubles. Les habitants qui travaillent sont déjà partis tandis que les autres profitent de leur grâce matinée. Machinalement, je me dirige dans l'appartement de Sami. Nous avons chacun la clef du logement de l'autre pour pouvoir aller nous voir dès que l'envie nous prend. En entrant chez lui je heurte un carton qui me fait trébucher sur sa table à manger et je me rattrape avec fracas à une chaise. Pour la discrétion, on repassera.

- C'est qui ?

Sami grogne à moitié endormi dans son lit. L'odeur de tabac froid qui me prend à la gorge réveille ma nausée et m'empêche de lui répondre. Nos appartements sont identiques et pour nous amuser nous avons disposé nos meubles de la même façon. Je sais donc où je vais, mais tout son bordel m'empêche d'avancer avec assurance. C'est donc en tâtonnant dans l'obscurité que je me dirige vers ses fenêtres pour ouvrir les volets et aérer, ce qui est une véritable nécessité. Les rayons du soleil inondent son logement et me laissent découvrir le désordre qui règne.

- T'es pas censée bosser à cette heure Chica ?

- Je me suis faite virer.

Ma voix ne trahit aucune émotion lorsque je verbalise cette nouvelle car la simple présence de Sami m'apaise. Comme une gamine je me jette grossièrement sur son lit avant de plonger la tête dans ses draps. L'odeur qui s'en dégage m'indique qu'ils n'ont pas été changés depuis bien trop longtemps. Le dégoût qui apparaît alors sur mon visage provoque l'hilarité de mon ami.

- Qu'est-ce qui s'est passé ?

- Apparemment les fringues que je porte depuis cinq ans constituaient une tenue inadaptée pour écrire des descriptions merdiques de produits merdiques.

A l'ombre de ma plumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant