III. Entretien annuel

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Métro. Synonymes : espace fermé et confiné, milieu de culture en bactériologie, enfer. Coincée entre plusieurs personnes dont les effluves de parfum me donnent la nausée, j'essaie péniblement de me tenir debout et de ne pas perdre l'équilibre à chaque freinage particulièrement brusque lorsque nous arrivons à une station. Mon aversion des transports en commun n'est pas nouvelle, mais avec le temps elle a gagné en intensité. C'est pourquoi je sais déjà que j'utiliserai mon premier cachet en tant que parolière pour m'acheter une voiture.

Quand je sors enfin de l'antre souterrain du métropolitain mes poumons en profitent pour se remplir à nouveau d'air frais certes, mais foutrement pollué. J'arrive à la fin de mon périple quotidien pour rejoindre ma geôle. Dès que j'en passe la porte, mon estomac se noue spontanément. Ces derniers temps j'éprouve toujours plus de difficultés à venir travailler. Mon désamour pour ma mission s'est transformé en une véritable aversion impossible à dissimuler.

- T'es prête ?

Contrairement à moi Anna semble en pleine forme et plutôt contente d'être ici. Avant de lui répondre, je baille puissamment et me laisse tomber sur mon siège.

- Prête à quoi ? Une bonne sieste ? Pourquoi pas.

Je conclus par un sourire qui disparaît rapidement lorsque je vois le visage de ma collègue pâlir malgré les verres teintés de mes lunettes de soleil.

- J'ai complètement oublié un truc super important ? Je demande en retirant mes lunettes.

- Ton entretien annuel. Tu sais bien ton tête à tête avec le patron pour faire un point sur ta carrière. Léo j'arrive pas à savoir comment t'as pu oublier ! Ça fait cinq ans, mais toutes les années ça te sort de l'esprit.

Parfois les choses disparaissent totalement de ma mémoire comme c'est le cas ici. Vigoureusement je frotte mes yeux puis me donne une bonne paire de claques pour me réveiller. Sami a passé la majeure partie de la nuit chez moi à cause d'une intense discussion sur l'importance d'un bon pseudonyme pour percer dans la musique. Je reconnais qu'avec plusieurs grammes d'alcool dans le sang tout cela paraissait beaucoup plus intéressant et primordial.

- Si tu veux arranger ta tête, j'ai ma trousse de maquillage.

- Non, tu sais quoi j'en ai rien à foutre. J'ai la tête que j'ai, basta !

Je m'enfonce dans mon fauteuil avant de le faire pivoter sur lui-même, ce qui se révèle être une mauvaise idée car une violente nausée m'envahit. Cette journée va être longue, très longue, trop longue. L'enjeu de cet entretien est important car même si je n'aime pas mon travail, je ne peux pas me permettre de le perdre.

- Le patron t'attend.

La voix nasillarde de sa secrétaire retentit dans mes oreilles. Silencieusement je me lève pour la suivre. Anna me montre ses doigts croisés en signe de soutien alors que je m'éloigne. La plupart des employés me dévisagent à cause de mon jogging Adidas blanc et de mon sweat-shirt noir à capuche. Faire l'unanimité est une sensation que je ne connais pas. La convenance aurait voulu que je porte une tenue plus classique pour cet entretien, mais je ne peux plus rien y faire. Alors que nous arrivons devant le bureau je souffle intensément, et comme lorsque quelque chose se passe mal tout s'enchaîne dans la même dynamique, la secrétaire ouvre au même moment. Mon supérieur me fusille du regard ahuri par mon attitude désinvolte. Je réalise alors que je viens de perdre un point avant même d'avoir ouvert la bouche.

- Asseyez-vous Léopoldine.

Etant en position de faiblesse je décide de suivre son ordre sans broncher. Toutefois, mon esprit rebelle me pousse à me laisser tomber lourdement sur la chaise plutôt que de m'y asseoir normalement. Pour la seconde fois, mon patron me fusille du regard et je réalise que mon attitude indisciplinée vient de me faire perdre un nouveau point.

A l'ombre de ma plumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant