XLVIII. Au Chili

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Exclusivité : La petite-amie de Dan Ed, parolière de Sami, écrit-elle également pour celui que l'on considère comme l'un des meilleurs rappeurs ? 

Scoop : Dan Ed et Nassim dans la tourmente. Leur nouveau projet va-t-il mettre fin à leur carrière ?

Interview exclusive : Lucas dévoile le vrai visage de Sami.

- Dix-huit euros cinquante-six s'il vous plaît.

Absorbée par les titres aguicheurs des magazines de presse à sensation exposés à côté de la caisse, il me faut plusieurs secondes avant de parvenir à en détourner les yeux. Dépitée je pose ma carte sur le terminal afin de payer et remarque que le vendeur du kiosque me dévisage.

- C'est vous ? Finit-il par me demander avec curiosité.

Je lui adresse un sourire pincé en guise de réponse. Je n'ai aucune envie de parler avec lui ou d'entendre ce qu'il a envie de me dire. 

- Vous savez ils se lasseront rapidement de vous. Dans ce milieu un scandale en remplace un autre tous les jours.

Sans prendre la peine de lui répondre je récupère mon livre et file m'asseoir sur un banc dans le terminal de l'aéroport. J'observe la vie qui se déroule autour de moi tout en ayant l'impression de n'être plus qu'une simple spectatrice. J'ai hâte de partir, mais mon vol pour le Chili ne décolle que dans plusieurs heures. L'attente va être longue. Je suis excitée à l'idée de découvrir ce pays que je n'ai pas choisi par hasard. Cette destination était une évidence. Mon meilleur ami voulait m'y emmener. C'était important pour lui car c'est la dernière chose qu'il m'a dite avant de partir à jamais. Il voulait que j'y aille avec Dan. Cette idée me provoque un pincement au cœur car il n'est pas là. Personne ne m'accompagne.

Après notre dispute j'ai quitté son appartement et pris une chambre dans un petit hôtel de la capitale. J'aurais pu rentrer chez moi, mais la réalité c'est que je n'avais pas le courage de revoir l'endroit où Sami a perdu la vie. J'ai passé trois jours enfermés dans ma chambre sans prendre la peine d'ouvrir les volets. Dan n'a pas essayé de me contacter. Ça m'a fait mal au cœur même si au fond je le comprends. Il a dû être soulagé en découvrant que j'avais quitté son logement sans un mot. Le boulet est parti.

Ma décision de quitter la France, pour une durée indéterminée, n'est pas anodine. Je ne supporte plus l'atmosphère anxiogène de la capitale. J'ai besoin de m'éloigner de tout ce chaos. Tous les réseaux sociaux et tous les médias ne parlent plus que de Sami et moi. Comme il l'avait prévu, L'Escadron Fugitif a fait un live instagram pour confirmer les rumeurs. Je n'ai pas été conviée. Les garçons n'ont pas donné beaucoup d'explications. Ils se sont simplement excusés avant d'expliquer qu'ils cherchaient un remplaçant. Un nouveau quatrième membre.

Alors que j'ouvre mon livre pour me changer les idées en attendant mon vol, je sens mon téléphone qui n'arrête pas de vibrer contre ma cuisse. Ces vibrations n'apportent que des mauvaises nouvelles. Je ne les supporte plus. La presse a réussi à trouver mon numéro et depuis elle me harcèle en espérant que je finirai par accepter une interview. Alors que je consulte mes messages, je découvre que Dan m'a écrit. Mon cœur s'emballe en voyant son prénom. La main tremblante j'ouvre son message. On en est où ? Je crois qu'on devrait discuter. Il a raison, mais ce n'est plus le moment. Trop tard.

Déterminée à prendre du recul et à me changer les idées, je décide d'éteindre mon téléphone avant de le mettre au fond de mon sac. Cette décision tout bête me soulage. Nous n'avons pas conscience que nos portables sont terriblement toxiques. Ces petits condensés de technologie ne sont ni vos amis ni vos alliés comme on aime vous le faire croire. Ce ne sont rien d'autre que des chaînes avec lesquelles on vous a entravés sans que vous ne vous en rendiez compte. La seule raison pour laquelle je décide de garder mon téléphone c'est parce qu'il contient des photos, des vidéos, des messages ou encore des notes vocales de Sami. Ces données représentent des souvenirs dont je ne veux pas me séparer. C'est idiot, mais une partie de mon meilleur ami vit toujours dans mon smartphone. 

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Le vol a été long, mais le paysage qui s'offre enfin à mes yeux en valait la peine. Seule sur le sable je fais face à l'océan pacifique. L'étendue bleue semble s'étendre sans fin. Cette impression d'infinité me rappelle que nous ne sommes pas grand-chose sur cette planète. Devient-on tous de faux philosophes face à la grandeur et à la splendeur de la nature ? De puissantes vagues se forment devant moi avant de déferler jusqu'à mes pieds. Le son de l'eau est apaisant. Il parvient à faire taire toutes les pensées sombres qui me rongeaient depuis bien longtemps. J'inspire profondément l'air iodé caractéristique du bord de mer. L'instant est magique et j'essaie d'en profiter. Je fixe toutes les nuances dorées du ciel, provoquées par le coucher de soleil, pour les graver dans ma mémoire.

Dire que je ne connaissais rien de ce pays il y a quelques jours. Pour être totalement honnête, je ne savais même pas le placer sur une carte. Les choses pourraient être encore plus agréables. Sami devrait être assis à mes côtés sur le sable chaud. Je devrais pouvoir poser ma tête sur son épaule et sentir son odeur se mêler à la brise marine. Je ferme les yeux pour l'imaginer à côté de moi. Des larmes roulent lentement sur mes joues. Même si je commence à accepter l'idée qu'il n'est plus de ce monde, j'éprouve toujours de la peine en pensant à lui. Malgré tout j'ai l'impression de le sentir vivant dans tous les éléments qui m'entourent. L'air qui provoque des frissons sur mes bras n'est rien d'autre qu'une caresse qu'il me fait de l'au-delà. Son âme est partout autour de moi.

Lorsque je rouvre les yeux j'aperçois un jeune couple d'amoureux à quelques centaines de mètres de moi. Ils contemplent le coucher de soleil dans les bras l'un de l'autre. Ce pourrait être Dan et moi en ce moment même. Ils semblent heureux. L'homme observe sa compagne avec un sourire léger au bord des lèvres. Ses yeux scintillent comme le faisaient ceux de Dan lorsque nous n'étions que tous les deux. La jeune femme attrape les bras de son compagnon pour en être totalement enveloppée. Elle cherche la chaleur rassurante et apaisante du corps de celui qu'elle aime. Dan me manque. Voici la réalité qui me saute au visage en observant ces amoureux. Je n'aurais pas dû partir sans un mot. J'ai lâchement fui comme j'en ai pris l'habitude. Toutefois ce n'est pas le moment d'avoir des regrets. Quelque chose de plus important m'attendant ; ouvrir la lettre de Sami.

Assise sur cette plage chilienne, je tiens entre mes mains l'enveloppe que je n'ai pas encore réussi à ouvrir. L'être humain peut se montrer totalement déraisonnable. En effet il m'a fallu parcourir la moitié du globe pour enfin trouver le courage de décacheter cette lettre. Mon cœur bat à vive allure. Je me force à respirer calmement pour tenter de dissiper la pression qui ne fait que monter en moi.

Sami a pris le soin de cacheter son courrier avec de la cire. Ce n'est peut-être qu'un détail, mais pour moi il dit déjà beaucoup de chose. Mon meilleur ami était le seul à savoir que je trouvais cela beau. Les souvenirs d'un moment, que ma mémoire avait presque effacés, me reviennent en tête.

- Pourquoi la classe s'évapore au fur et à mesure des siècles ? Je lui demandai alors que nous étions allongés sur mon lit.

- Qu'est-ce que tu racontes Chica ?

Il me regarda avec perplexité et je refermai mon exemplaire Des Liaisons Dangereuses avant de me blottir contre lui. Je posai mon menton sur son torse afin d'observer les traits parfaitement symétriques de son visage.

- Genre au dix-huitième siècle ils écrivaient à la plume sur du beau papier. Ensuite ils cachetaient l'enveloppe avec de la cire où ils mettaient leurs initiales. Maintenant on envoie des mails tout pourri.

Ma réflexion fit rire mon meilleur ami aux éclats. Lorsqu'il retrouva son calme, il passa délicatement une main dans mes cheveux.

- J'avais jamais réfléchi à tout ça. Mais si ça peut te faire plaisir je t'en enverrai peut-être une un jour. 

Je me souviens avoir ri en l'imaginant derrière son bureau avec une plume à la main. Je trouvais cela irréaliste, mais finalement ça s'est produit. Cet instant de bonheur appartient au passé, mais il parvient à me rendre heureuse comme s'il venait d'avoir lieu. Pour la première fois je n'ai pas envie de pleurer en pensant aux bons moments que nous avons eus. Est-ce un premier pas vers le deuil ? Je l'espère.

Alors que je décachette enfin l'enveloppe je prends une profonde inspiration. Avant même de lire la lettre je sais qu'elle va me bouleverser. Allez Léo tu peux le faire, me murmure non pas ma voix intérieure mais celle de Sami.

A l'ombre de ma plumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant