XLVI. Un Simple Signe

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J'ai retrouvé mon poste. Assise en tailleur sur le canapé, la lettre de Sami entre les mains, je fixe le papier partagée entre le désir de l'ouvrir et celui de le déchirer sans même prendre connaissance de son contenu.

Qu'a-t-il pu écrire dans cette lettre ?

Les mots qu'il a couchés sur le papier vont-ils m'anéantir ? Ou bien seront-ils réconfortants ?

Décacheter cette enveloppe c'est prendre un risque pour lequel je ne suis pas encore prête. Le temps viendra. Je le sais, mais pour le moment c'est encore trop tôt. D'un geste lent je décide de la déposer sur la table basse et de l'ignorer. Mon attention est brusquement attirée par la télévision qui bourdonne en face de moi. Les images défilent dans une danse dont je ne saisis rien. Alors que j'essaie de me concentrer pour leur donner du sens, Dan apparaît et s'affale à mes côtés tout en veillant à laisser une certaine distance entre nous. Il lui arrive de s'approcher davantage lorsqu'il regarde un film auquel je n'essaie même pas de m'intéresser. Je suis incapable de me concentrer sur quelque chose plus d'une dizaine de minutes avant que les souvenirs de Sami me reviennent douloureusement à l'esprit. Lorsque son corps n'est plus qu'à quelques centimètres du mien et que je peux sentir la chaleur qui s'en dégage, je m'éloigne volontairement. Mon être le désire et le réclame de toutes ses forces, mais j'estime ne pas avoir le droit à l'espace réconfortant de ses bras. Je n'en suis pas digne. Les coupables méritent la peine, la souffrance. On les prive des moments agréables en espérant ainsi leur faire payer le prix de leurs erreurs. Je suis mon propre bourreau. J'ai construit ma propre prison avec toute la culpabilité qui coule dans mes veines. La plus terrible de toutes les sanctions ; celle que vous vous infligez sciemment.

- Oh putain ! Crie soudainement Dan. J'y crois pas. J'ai rêvé de ce moment toute la journée et il aura même pas lieu. Je me suis fait baiser comme un con !

Ses mots me surprennent à tel point que j'écarquille les yeux avant de le fixer avec incompréhension. Il me sourit maladroitement comme pour s'excuser ce qui me donne presque envie de lui sourire à mon tour. J'aperçois alors un pot de Ben & Jerry's posée entre ses cuisses.

- J'ai pas pris le bon parfum, finit-il par m'annoncer en haussant les épaules. Je voulais Cookie Dough. La base tu vois, mais pour une obscure raison je me retrouve avec Chocolate Fudge Brownie, prononce-t-il avec un accent à couper au couteau. J'arrive pas à comprendre comment j'ai bien pu me tromper.

Chocolate Fudge Brownie. Ce n'est pas qu'un simple parfum de glace. C'est le parfum préféré de Sami. Est-ce un signe qu'il me fait ? J'ai envie de le croire. Ce matin la brise m'a fait entendre sa voix. Ce soir son parfum préféré se glisse dans le congélateur de Dan. Deux événements dus au hasard ? Non. Mon meilleur ami m'envoie des signes depuis l'au-delà. Il me dit d'une nouvelle façon qu'il est toujours à mes côtés. Son âme est toujours là. Je le sais. Je le ressens.

Mes yeux restent rivés sur le pot de glace durant de longues minutes avant qu'un rire éclatant sorte de ma bouche. Je ne peux pas le contrôler, mais le son mélodieux qu'il crée me fait du bien. Dan me fixe sans dire un mot. Il doit probablement penser que je suis devenue folle. Un immense sourire se dessine sur mes lèvres. Cette expression m'est douloureuse car elle me fait contracter des muscles que je n'avais pas sollicités depuis bien trop longtemps.

- Chocolate Fudge Brownie, je reprends d'une petite voix enrouée après avoir retrouvé mon calme. C'était le parfum préféré de Sami.

Dan me regarde et n'ose pas me répondre. Il redoute probablement de dire quelque chose qui pourrait m'agacer et me renvoyer dans mon mutisme. Je redécouvre avec émerveillement le son de ma voix et les étranges sensations provoquées par les vibrations de mes cordes vocales.

A l'ombre de ma plumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant