XXII. Compensation

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Depuis plusieurs longues minutes Dan me fixe sans un mot. Il ne s'attendait pas à ma question et mord nerveusement l'intérieur de ses joues à la recherche d'une idée. Son silence oppressant me fait regretter de ne pas avoir expliqué la situation à Sami. Avec lui à mes côtés je me serai sentie moins seule et bien moins vulnérable.

- Je sais pas trop encore, finit-il par m'annoncer en passant une main dans ses cheveux. Laisse-moi encore un peu de temps pour y réfléchir. Avant je veux que tu m'expliques toute l'histoire. Si j'ai bien compris t'écris pour Sami alors ?

Je déglutis puis me racle la gorge avant de me lancer dans mon récit.

- Il y a huit ans j'ai rencontré Sami à un atelier d'écriture, dis-je d'une voix timide tout évitant de croiser son regard. Il essayait d'écrire des chansons. C'était un exercice impossible pour lui car il avait du mal à lire et à écrire. On a sympathisé et il m'a raconté une partie de sa vie. J'ai eu l'idée d'en faire une chanson. Il a adoré et de fil en aiguille on a fini par se retrouver tous les soirs pour écrire. Pour chaque nouveau son, on faisait une petite vidéo et on la mettait partout sur les réseaux dans l'espoir que quelqu'un finisse par nous repérer. 

Les paroles sont sorties si vite de ma bouche que je n'ai même pas pris le temps de respirer. Je marque donc une pause pour reprendre mon souffle. Dan ne me fixe plus. Ses yeux observent le vide et m'indiquent que mon récit l'a touché. Peut-être s'y reconnaît-il en partie ? En résumant ma vie de cette façon je suis rendue nostalgique. J'étais heureuse aux Caramels avec mon meilleur ami. Nos vies n'étaient ni faciles ni parfaites, mais elles étaient composées de petites particules de bonheur suffisant à nous rendre heureux. 

- On était soutenu pour tous les jeunes du quartier, mais notre carrière décollait pas. Puis tu l'as contacté. C'était notre chance, l'opportunité qu'on attendait. Sami avait peur de compromettre sa place dans le projet en te révélant mon rôle. On avait que deux choix : mentir ou louper notre chance pour un petit détail. Sami n'écrit pas, mais c'est un interprète hors pair. Reconnais qu'il a du talent, un flow magistral, un grain de voix singulier et incroyable. 

Chacun des mots que je prononce pour défendre mon meilleur ami vient du cœur. Je suis prête à le protéger et à plaider sa cause quoi qu'il m'en coûte. Mes paroles semblent avoir ému Dan. Je dois le mettre de mon côté en lui faisant comprendre que mon ami est talentueux et mérite sa place. Pour le convaincre je décide de l'inclure dans mon discours en utilisant ce qu'il m'a dévoilé de lui.

- Le rap a ses propres règles. Certaines ne sont pas fondées. On le sait tous les deux. Si on les suit toutes Sami peut pas rapper car il n'écrit pas ses textes, et Daniel Edmond ne peut pas non plus car c'est un fils de bourge. Reconnais que ce sont de belles conneries ! La seule chose qui importe vraiment c'est le talent.

Aucun regret. Mon discours ne pouvait pas être plus convaincant. Mme Bigot, ma prof de rhétorique, serait fière de moi. Analyser des discours pendant ses cours me paraissaient être inutile. Finalement je ne comprends qu'aujourd'hui leur utilité pratique.

- Je dirai rien, déclare-t-il en me regardant droit dans les yeux. En échange je veux que tu m'apprennes à écrire comme toi. Je veux connaître tous tes secrets, toutes tes astuces. Je supporte plus le manque d'inspiration. Je supporte plus d'être incapable d'écrire un texte jusqu'au bout. N'écris pas pour moi, mais apprends-moi à le faire.

La contrepartie qu'il me demande ressemble davantage à une supplication. Le désespoir où il est dégouline de ses paroles. Je ne peux pas refuser. Des cours d'écriture en échange de son silence, ce n'est pas cher payé.

- Okay. Demain je...

- ... maintenant, me coupe-t-il avec un enthousiasme non dissimulé. Y a un son que je traîne depuis des mois, aide-moi à le finir.

A l'ombre de ma plumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant