XIV. Une Astuce Rusée

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Les puissants rayons de soleil qui envahissent le salon m'extirpent lentement du sommeil profond dans lequel je suis. Contrairement à ce que m'avaient laissée penser mes aprioris, ma nuit a été confortable et même agréable. Malgré tout j'espère pouvoir passer la prochaine dans ma chambre aux côtés de mon meilleur ami. Il paraît qu'il n'y a rien de mieux qu'une bonne nuit de sommeil pour apaiser les esprits et je compte bien là-dessus pour faire la paix avec Sami. Alors que mon corps engourdi refuse de sortir de mon lit d'appoint, j'entends des pas arriver dans le salon.

- T'as vraiment dormi là ?

La voix de Lucas me ramène à la réalité pour me sortir de ma somnolence. Son ton choqué m'amuse et me fait éclater de rire. La bonne humeur que je ressens parvient alors à me faire sortir du lit avec le sourire aux lèvres.

- Ouais, je réponds en bâillant. T'as pas entendu notre engueulade ?

- Oh si ! Je crois bien que tout le monde l'a entendue.

Gênée par sa réponse je peux sentir le rouge me monter aux joues. Avoir fait une scène m'embarrasse et ne me ressemble pas. Pour éloigner définitivement le sommeil je frotte mes yeux avec vigueur et m'étire. Au même instant j'entends un sifflement grivois derrière moi. Je réalise alors qu'en levant les bras mon tee-shirt oversize est un peu trop remonté et a dévoilé ma culotte à tout le monde. Immédiatement je baisse les bras et tire sur le devant du haut pour couvrir mes jambes. En me retournant je découvre sans surprise que le sifflement provient de Dan qui fixe mes jambes tout en se mordant les lèvres.

- Dérange-toi pas surtout !

Cette réflexion farouche est sortie spontanément de ma bouche. Je la regrette et redoute qu'elle ne soit le léger souffle qui embrase à nouveau les braises d'un feu provoquant alors un incendie ravageur. Toutefois le sourire espiègle qui s'affiche sur ses lèvres en entendant mes mots me surprend. Après quelques secondes il dédaigne détourner le regard de mes jambes pour plonger ses yeux dans les miens. Une nouvelle décharge électrique parcourt mon ventre. Il a dû la ressentir également car au même instant il s'éloigne pour rejoindre la cuisine. Malgré ma tenue, inhabituellement légère, je décide de rejoindre les garçons attablés autour de l'îlot central de la cuisine pour le petit-déjeuner. Comme par hasard la seule place libre se situe en face de Dan. La vie semble s'amuser avec moi ou plutôt à mes dépens. En m'asseyant mon attention se porte sur Sami à l'autre bout de la table. Il mange ses céréales sans rien dire. Son visage fatigué et ses cernes marqués m'indiquent que sa nuit a été particulièrement difficile. La culpabilité se jette de manière imprévisible sur moi. Comment ai-je pu passer une aussi bonne nuit pendant que mon ami était assailli par la colère et la peine ? Depuis le temps que nous nous côtoyons,nous n'avons plus besoin de parler pour nous dire certaines choses comme les larmes qu'il a versées toute la nuit. Quelle idiote je fais ! Comment ai-je pu lui faire autant de mal ? C'est parce que toi t'as jamais eu de père que tu me demandes ça ?  Mes paroles et le ton cinglant avec lequel je les ai prononcées me reviennent en mémoire. Égoïste, stupide, lâche, indigne. Un flot de mots ininterrompu pour qualifier la bassesse de mon comportement ruisselle dans mon esprit et accroît ma culpabilité.

- En tout cas t'es pas un mec jaloux Sami !

La voix de Dan me coupe dans ma flagellation à base d'adjectifs qualificatifs. Je relève la tête uniquement pour le fusiller du regard. À son air narquois je sais déjà qu'il s'apprête à dire une bêtise dans l'espoir de remettre le feu aux poudres.

- Tu laisses ta meuf seule quelques heures et tu la retrouves le lendemain avec le tee-shirt d'un autre mec sur les épaules.

Putain ! A quoi joue-t-il ? Sami ne réagit pas et continue de manger en fixant la bouteille de lait qui lui fait face. Dan surpris par le manque total de réaction de son collègue hausse les épaules avant de mordre à pleines dents, ou plutôt crocs dans son cas, dans sa tartine. Comment a-t-il su que mon haut était à un autre membre de l'équipe ? En posant les yeux dessus je découvre alors que le prénom de son propriétaire est brodé dans un fin lettrage blanc sur ma poitrine.

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Alors que tout le monde a terminé son petit-déjeuner et rejoint le studio, je me retrouve seule avec Dan et Sami. L'état de mon meilleur ami commence à m'inquiéter. Il n'a pas posé les yeux sur moi une seule fois et semble complètement mort de l'intérieur. Alors que je range le lave-vaisselle, je sens le regard de Dan qui ne me lâche pas une seule seconde. Je prends une profonde inspiration et tente de me calmer, mais son attitude est trop agaçante.

- Qu'est-ce que tu veux ? Finis-je par demander avec nervosité. T'as pas autre chose à foutre que de me regarder faire le ménage ?

- Je t'admire. T'as trouvé ta place finalement.

- Ecoute si t'as un truc à me dire, fais-le et passe à autre chose.

- Interdite de studio, mais recommandée en cuisine.

- Attends. Tu sous-entends quoi là ?

Mon sang bout. Il cherche à m'énerver et, comme l'idiote que je suis, je rentre dans son jeu.

- T'avais pas ta place dans le studio. Mais rester dans la cuisine pour une femme c'est la place idéale.

Furieuse d'entendre cette phrase volontairement sexiste j'attrape la première chose qui me tombe sous la main et la lui lance avec violence au visage. Ce doit être son jour de chance car il ne reçoit qu'un rouleau d'essuie-tout en pleine face.

- Une vraie tigresse, annonce-t-il à l'attention de Sami en rejoignant le studio.

Maintenant seule avec mon meilleur ami je m'assieds à ses côtés pour m'excuser et lui expliquer l'idée que j'ai eu pour continuer à écrire pour lui.

- Je suis désolée pour...

- ... abrège, me coupe-t-il avec froideur.

Le regard de dégoût qu'il pose sur moi me brise le cœur. Il est encore furieux et mes excuses ne l'intéressent pas. Il n'est pas prêt à dépasser notre querelle. Même si l'idée ne me plaît pas, je n'ai pas d'autre choix que de lui laisser le temps dont il a besoin. Je lutte contre moi-même et ravale mes mots pour simplement lui exposer ma ruse.

- Appelle-moi comme ça j'entendrai le son sur lequel je dois écrire. Je t'enverrai les paroles sur notre google doc.

- Okay.

Sans perdre plus de temps il se lève pour rejoindre le studio. J'ai la terrible sensation de perdre mon meilleur ami et de ne rien pouvoir faire pour le rattraper. Le temps creuse un fossé entre nous. La manière dont il m'a répondu a été un nouveau coup de poignard planté dans mon cœur. Il n'y a rien de pire que de voir les gens qu'on aime devenir des inconnus.

- T'as changé Léo, lance-t-il en descendant les escaliers.

- Comment ça ?

- À moitié à poil dans une cuisine entourée de mec que tu connais à peine. Ça te ressemble pas. Ma Chica se serait jamais montrée comme ça.

J'ai déjà pris des gifles dans ma vie, mais jamais des aussi violentes que celle-ci. C'est la première fois qu'il critique mon style vestimentaire, mais aussi surprenant que ça puisse paraître pour moi je n'en ai rien à faire. Ce n'est pas cela qui me brise. Ma Chica. L'idée qu'il ne me considère plus comme celle que j'étais et que je suis toujours me blesse plus que toute autre chose. Je sais qu'il a prononcé ces paroles uniquement pour me blesser, mais je ne peux pas contenir mes larmes.  

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Voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. Dans la vie il faut choisir son clan. Installée au soleil sur un transat aux bords de la piscine avec mon carnet Moleskine, j'ai choisi de faire partie des optimistes. La situation dans laquelle je suis ne me plaît pas, mais elle a tout de même des avantages et des conditions agréables.

Après m'avoir fait subir, sans le savoir, une conversation interminable sur les montres l'équipe écoute enfin le son du jour. Le rythme est assez lent avec une tonalité plutôt sombre qui colle parfaitement à mon état d'esprit. Dès que la musique se termine, Sami raccroche avant de m'envoyer le thème :TRAHISON. L'utilisation des majuscules n'est pas anecdotique. Il y a un message derrière. C'est ce que ressent mon meilleur ami pour moi. L'inspiration ne se fait pas attendre et en seulement quelques minutes j'ai noirci de mots toute une page de mon précieux carnet. Je les recopie sur mon téléphone avant de les envoyer à Sami. Couteau dans le dos, j'ai plus les mots. Mais avec de la patience tu regagneras ma confiance. Cette dernière parole est lourde de sens. Comprendra-t-il le message caché dans cette chanson ?

A l'ombre de ma plumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant