A l'ombre de ma plume

LI. Sarah

Le courage. Voici une qualité que notre société sous-estime. Cette force vit en chacun de nous sous différents degrés. Les téméraires sont prêts à braver tous les dangers. Certaines personnes préfèrent les appeler les inconscients. N'oublions pas que tout est une question de point de vue. On trouve ensuite les intrépides. Rien ne les arrête, mais ils agissent avec plus de prudence ou de réflexion. Là aussi tout est une question de point de vue. Enfin la dernière catégorie est celle des craintifs. Leur bravoure est comparable à un soufflé au fromage. Elle gonfle jusqu'au premier obstacle qu'elle croise avant de se dégonfler. Je ne fais partie d'aucune de ces catégories. Je ne suis ni téméraire ni craintive. Je suis aveugle car mon courage repose uniquement sur mon ignorance. Je ne sais pas ce qui m'attend alors je fonce tête baissée. Après tout on dit bien que sur un malentendu ça peut marcher. Voici l'état d'esprit dans lequel je suis alors que je me dirige vers l'immeuble de Dan.

Je n'ai pas rallumé mon téléphone depuis mon arrivée. Je ne sais donc pas s'il a essayé de me contacter. M'a-t-il envoyé des messages d'amour ou de haine ? Est-il passé à autre chose ? Je n'en sais rien et je redoute que la réponse ne me plaise pas. Non Léo ! N'oublie pas qu'il faut penser positif pour l'attirer vers toi. Pour la première fois j'ai mis toutes les chances de mon côté. Cheveux lâchés comme Dan les aime. Petit jean moulant avec un tee-shirt simple, mais au décolleté légèrement aguicheur. Je suis même allée chez le boulanger pour acheter des viennoiseries. 

Il est un peu plus de sept heures quand je me faufile dans le hall de son immeuble. Je monte les marches deux par deux excitée par l'idée de le revoir. Je sais qu'il est encore tôt, mais je ne tenais plus en place. Devant sa porte j'appuie trois ou quatre fois sur sa sonnette. Calme-toi Léo, m'ordonne ma voix intérieure. Lorsqu'elle s'ouvre sur Dan je dois lutter pour ne pas lui sauter dans les bras.

- C'est quoi le problème ? Grommelle-t-il d'une voix endormie.

Ses cheveux en bataille et le simple caleçon qu'il porte m'indiquent que je l'ai tiré du lit. Il frotte ses yeux et j'attends impatiemment que nos regards se croisent. À l'instant où c'est le cas il a un mouvement de recul comme si quelqu'un venait de le frapper.

- Léo ! Mais... Tu... Quoi...

Choqué par ma présence il est incapable de faire une phrase complète.

- Je suis venue avec des gourmandises pour me faire pardonner, dis-je en agitant le sachet de la boulangerie sous son nez.

Dan passe ses mains derrière sa nuque avant de se mordre les lèvres. Je le connais suffisamment pour savoir qu'il est gêné. 

- Je peux repasser si...

La vision qui apparaît alors sous mes yeux m'empêche de finir ma phrase. Sarah vêtue d'une simple culotte et d'un tee-shirt de Dan s'étire derrière lui. J'ai l'impression d'avoir reçu un coup sur la tête. Abasourdie je cligne plusieurs fois des yeux pour être sûre que je ne suis pas en train d'halluciner.

- C'est sympa, annonce-t-elle en attrapant les viennoiseries que je tiens en main.

Son sourire triomphant me donne envie de lui donner une bonne paire de claques, mais je serre les poings pour me retenir. C'est de ta faute Léo, me dit ma voix intérieure avec dédain. Malgré tout je n'en reviens pas. Sarah m'avait affirmé avoir fait une croix sur Dan. La vérité c'est qu'elle n'est qu'une manipulatrice qui attendait le moment opportun pour le reconquérir.

Pendant quelques secondes nous nous dévisageons sans dire un mot. La situation est gênante ou ridicule. Je ne sais pas encore. Je ne sais pas non plus si je déteste cette femme ou Dan. Sentant que je ne vais pas pouvoir retenir mes larmes je décide de partir en courant pour garder le peu de dignité qu'il me reste.