A l'ombre de ma plume

XLII. Haie D'Honneur

- Comme tu l'as toi-même dit mon père était oppressant. Il a fait taire ma féminité avant même qu'elle ne s'exprime. J'ai accepté les tenues amples, le surnom masculin et les jeux de guerre tous les week-ends. Mais il y a une seule chose à laquelle j'ai toujours refusé de renoncer ; mes cheveux. Je les ai toujours adorés. Mon père les a toujours détestés. Il fallait toujours que je les garde attachés sinon il me les coupait.

Dan m'observe silencieusement. Son mutisme est une véritable torture car je n'arrive pas à déchiffrer son expression. Que pense-t-il de cette confession ? Est-il capable de comprendre ce que j'ai vécu ? Saisit-il que mon blocage n'est pas un caprice ? J'ai besoin qu'il me rassure. J'ai besoin qu'il me tende la main. J'ai besoin qu'il m'aide à me défaire de l'emprise que mon défunt père exerce encore sur moi. Les secondes s'écoulent, mais il reste muet. La panique exerce une pression de plus en plus forte sur ma poitrine. Je commence à étouffer. Mes poumons, hors de mon contrôle, bloquent l'air et empêchent l'oxygénation correcte de mon sang. Ma vue se trouble, des étoiles apparaissent autour de moi. Je vais m'évanouir. Dan souriant et attrape à nouveau ma queue de cheval. Son geste confiant parvient à débloquer mes poumons. Une bouffée d'oxygène s'engouffre dans mes bronches. L'air traverse violemment mon corps. Mon amant a-t-il conscience de l'emprise qu'il a sur mon corps ? Un simple geste ou mot de sa part peut me donner la mort ou la vie. À présent c'est lui qui me contrôle. En lui ouvrant mon cœur je lui ai donné tous les pouvoirs sur ma personne. Avec habileté il glisse ses doigts dans l'élastique emprisonnant mes cheveux. Il le descend lentement et libère ma chevelure. Elle retrouve une liberté dont on l'a privée pendant de trop nombreuses années. Son geste libérateur me fait monter le rouge aux joues. Ce moment intime et sensuel me donne l'impression d'être totalement nue devant lui. Ce n'est pas mon corps qui se déshabille, mais mon âme. Elle se dévoile sans aucun artifice ni aucune retenue. Il passe avec délicatesse sa main dans mes cheveux avant d'en ramener plusieurs mèches de chaque côté de mon visage. Je sais que le contraste entre le noir de ma chevelure et la blancheur de mon teint est saisissant. Je n'ai pas besoin de lui demander s'il lui plaît. Ses yeux étincelants le disent à sa place.

- T'es magnifique, murmure-t-il avant de m'embrasser et d'empoigner mes cheveux avec fougue.

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Je suis réveillée par des coups puissants que l'on frappe contre mon sol. 1, 2, 3. Stop. 1, 2, 3. Stop. 1, 2, 3. Stop.

- C'est quoi ce bordel ? Grommelle Dan à moitié endormi.

Je ris avant de me blottir contre son torse nu et d'y poser ma tête.

- C'est Sami. Trois fois trois coups ça veut dire qu'on se retrouve dans une heure.

Mon amant frotte ses yeux avant de caresser ma chevelure du bout des doigts.

- Beaucoup trop d'infos dans cette phrase ma belle. Si je comprends bien Sami habite juste en-dessous et vous avez créé votre propre code morse à base de coups de balai ?

Le ton amusé qu'il utilise me fait réaliser que tout cela doit sembler bizarre d'un point de vue extérieur. Je relève la tête pour acquiescer avant de la reposer contre sa poitrine. Le doux silence où nous sommes est alors brisé par l'harmonieuse mélodie des battements lents et réguliers de son cœur. Je ferme les yeux dans l'espoir de saisir cet instant sous tous ses aspects. Le son de son rythme cardiaque, son odeur vanillée, sa peau douce et brûlante qui frisonne sous la caresse de mes doigts, le goût laissé sur ma langue par ses baisers passionnés. J'analyse, mémorise et grave à jamais le moment dans ma mémoire. Ce souvenir me sera précieux lorsque nous vivrons des instants difficiles.

- Tu sais au début j'étais un peu jaloux de Sami et de votre relation, déclare-t-il sans pouvoir dissimuler une certaine gêne. Mais quand je vois tout ça, toutes vos habitudes je comprends mieux les liens qui vous unissent. J'ai même envie de le remercier d'avoir fait tout ça pour toi. Il a veillé sur ma Léo avant que je ne débarque dans sa vie.

Ces paroles dessinent un sourire sur mes lèvres. Depuis hier tous ses mots ne sont que des gourmandises sucrées qui enrobent mon cœur dans un délicieux sirop de sucre. J'ai du mal à réaliser la tournure, aussi inattendue que positive, prise par notre relation. Suis-je donc devenue sans même le savoir une de ces héroïnes de romance ? Les amours romanesques pourraient-ils donc exister hors des mots écrits à l'encre noire sur des pages de papier blanc ? Je n'en sais rien, mais si c'est bel et bien le cas je n'ai aucunement l'intention de me plaindre. Je suis heureuse. Pleinement. Entièrement.

Alors que je m'apprête à refermer les yeux pour profiter de cet instant hors du temps, mon regard est attiré par le petit bout de métal qui scintille sur mon bureau. Enveloppée dans un véritable cocon de bonheur j'avais oublié ce détail. Une ombre pèse au-dessus de nous comme une épée de Damoclès. Cette balle de revolver me renvoie en pleine figure le pressentiment de catastrophe imminente qui ne me lâche pas depuis plusieurs jours. J'ai beau vouloir le repousser il n'arrête pas de me revenir. Il tient à s'imposer à moi. Cherche-t-il véritablement à m'avertir ?

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Avant de sortir je prends le temps de me regarder une dernière fois dans le miroir. Dan m'a convaincue de ne pas attacher mes cheveux. J'ai accepté uniquement pour lui faire plaisir car les habitudes, bonnes ou mauvaises, sont tenaces. La tension engendrée par l'élastique vient même à me manquer. C'est étrange de les sentir libres. Face à mon reflet j'ai presque des difficultés à me reconnaître. Mon visage paraît plus doux. Mes yeux sont mis en valeur et je me trouve presque jolie ; chose suffisamment rare pour être soulignée. Je découvre également que mes joues ont pris une légère teinte rosée. Est-ce là un des nombreux effets de l'amour ? 

J'ouvre la porte et découvre sans surprise que Sami nous attend déjà. Quand il se retourne vers moi il reste bouche bée. Il lui faut plusieurs minutes avant de retrouver l'usage de la parole.

- Hier la robe. Aujourd'hui les cheveux. J'ai hâte de découvrir ce que tu nous réserves pour demain, annonce-t-il en m'attirant dans ses bras.

- Je te laisse la surprise pour demain, je réponds dans un éclat de rire.

Il relâche son étreinte et je prends le temps d'admirer les deux hommes qui sont à mes côtés.

- Putain ! Je m'exclame tout à coup. Je vous aime tellement. Promettez-moi qu'on restera toujours aussi soudés et complices qu'à cet instant.

Ils acquiescent avant de m'embrasser tour à tour sur le haut du crâne. D'un pas enthousiaste nous descendons les escaliers, prêts à affronter cette nouvelle journée.

Alors que nous arrivons dans le hall d'entrée de l'immeuble, je suis surprise de découvrir que tous les jeunes de la cité se sont réunis à l'extérieur. Cette vision est un véritable coup de poing que l'on me donne dans l'estomac. La nausée me gagne. Mon souffle se coupe. Cette réunion n'indique rien de bon. Un drame est-il encore arrivé au milieu de la nuit ? Est-ce que mon pressentiment s'est avéré juste ? Une catastrophe a forcément eu lieu. La dernière fois que tout le monde s'est agglutiné ici c'était après un terrible règlement de compte ayant fait plusieurs victimes. Je sors de la résidence le cœur battant.

Tous les yeux se tournent alors vers moi. Respire Léo. Alors que ma panique ne fait qu'accroître, les visages qui m'entourent se mettent à sourire. Ils sont accompagnés d'applaudissements et de sifflements de plus en plus forts. Tout le monde exulte en se retournant sur nous. Ils sont heureux. Il n'y a pas eu de catastrophe comme je le redoutais. C'est tout le contraire. Surprise et touchée par la vague de bonheur qui déferle sur moi je jette un œil à Dan et Sami qui semblent tout aussi ébahis que moi par cette haie d'honneur. J'aperçois alors Bruno fendre la foule pour nous rejoindre. Sans réfléchir je saute dans ses bras. Il me soulève et me fait tournoyer avant de me reposer sur le sol.

- T'es au courant que je crois en vous depuis le début. Je savais que vous alliez finir par percer, mais j'avais envie de vous féliciter à notre manière. C'est pas grand-chose je sais. On est juste fier de vous. Merci de nous redonner un peu d'espoir, conclut-il en me transperçant de son regard puissant.

Bruno n'en a probablement pas conscience, mais ses mots me touchent bien plus qu'il ne peut l'imaginer. La reconnaissance des siens est quelque chose qui a bien plus de valeur que toutes les autres récompenses. Les larmes aux yeux je regarde tous les jeunes emplis d'espoir qui m'entourent.

- Merci, dis-je d'une voix troublée par l'émotion.