Chapitre 1 - 1

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La sensation de l'eau fraîche sur ma peau nue me détend. Après un cycle de lune de voyage, mon corps est meurtri et mes muscles sont fatigués. J'ouvre les yeux pour embrasser l'océan qui s'offre à moi. La baie des Echoués est le seul endroit au sud de la contrée où il est possible de se baigner sans risquer d'être expulsé sur les roches. Je prends un instant pour respirer pleinement l'air salin, cette odeur familière dans laquelle j'ai grandi. Elle m'a manqué durant mon absence. Le parfum de l'océan enveloppe Argorfel, la ville où je suis née. C'est là que tous les Magiciens vivent.

Parmi eux, je suis l'habitante qui part le plus souvent de la maison. Je suis messagère, chargée de faire parvenir aux différents peuples les informations délivrées par le Conseil. Elles peuvent concerner des sujets divers et variés comme les échanges, les lois ou les actualités. Je ne sais pas toujours ce qui est dit dans les communiqués. J'ai été tentée de lires ces secrets à de nombreuses reprises, mais si j'avais le malheur d'ouvrir une enveloppe, cela se verrait. Je serais alors passible de plusieurs années de prison, voire de peine de mort. Autant dire que je préfère éviter.

Mon dernier voyage était à l'occasion de la naissance du premier poulain printanier. Je fus envoyée au sud des Montagnes d'Arbos pour annoncer la nouvelle aux Greymars, le peuple minier. Cet heureux évènement indique pour la contrée le début de la nouvelle année, qui est célébrée en grande pompe. Durant la fête de l'Anglomet qui s'étend sur deux semaines, toutes les espèces se rejoignent dans la Vallée de l'éternel. Nous célébrons cette période historique durant laquelle nos ancêtres ont signé un pacte de paix. C'est l'occasion de se retrouver pour faire commerce et participer aux jeux traditionnels. L'unique fois dans l'année où les espèces se retrouvent. Les habitants d'Argorfel ne quittent pas la ville autrement que pour l'Anglomet ou pour aller chasser. Et même là, c'est dans un périmètre restreint. Ils ne partent généralement pas à plus d'une heure de chevauchée, par peur de se perdre.

Je regarde les vagues au loin qui commencent à curieusement grossir. Elles arrivent vers moi à une vitesse inhabituelle. Je n'ai pas le temps de sortir de l'eau. Elles sont déjà prêtes à me happer. Prise d'un élan de panique, je plonge espérant éviter la collision. Je me sens attirée par le fond. Ma peau râpe sur les cailloux et j'ouvre la bouche par surprise. De l'eau entre par mes narines me donnant l'impression de remplir mes poumons d'eau. Je me propulse à la surface et tente de reprendre mon souffle en crachotant.

— Tu n'as pas eu trop peur ? se moque une voix derrière moi.

Je fais volte-face et vois Lorindol au sommet de la grande pente menant à la baie, une canne à pêche à la main.

— Imbécile, ralé-je en m'assurant qu'il ne perçoive pas ma nudité à travers l'eau brunâtre.

Je crache une dernière fois dans l'océan pour m'aider à faire partir le goût salé dans ma bouche. Lorindol est un Magicien de l'eau. Il est capable de la contrôler et de lui faire prendre la forme qu'il désire, ce qui est impressionnant pour une personne aussi jeune. La plupart prennent toute une vie pour avoir un aussi bon contrôle. Pour ma part, même l'éternité ne me suffirait pas. Mes pouvoirs m'ont été enlevés il y a quelques années par le Conseil. Lorsqu'un enfant est incapable de gérer ses dons, ils lui sont ôtés afin d'éviter les possibles dommages collatéraux. Je ne suis pas la seule dans ce cas.

Nous sommes ce que l'on appelle des Narodims. Des Magiciens sans pouvoirs. Rien de très glorieux. Bien que nous ne sommes pas reclus de notre société, nous sommes loin d'être adulés. Être Narodim est une honte aux yeux du monde. Nous essayons de voir cela comme une opportunité. Une chance de se réinventer. Mais au fond, il n'en est rien. Nous nous rassurons comme nous le pouvons.

— Un jour, tu vas me tuer ! le réprimé-je faussement agacée.

Je ne peux m'empêcher de sourire. Le voir me fait du bien. Cela fait des semaines que je n'ai pas été en présence de quelqu'un en qui j'ai totalement confiance. Ou même simplement quelqu'un avec qui je peux parler. Je n'ai encore dis à personne que je suis revenue de mon voyage. Un instant de calme et de sérénité dans l'océan s'impose à moi comme une évidence à chaque fois que je rentre d'une expédition. Loin de moi l'introversion, j'aime cependant avoir certains moments de solitude. Il faut dire que sur les routes, j'en ai à revendre. Mais il faut toujours être sur ses gardes. N'importe quel animal peut vous prendre pour son prochain repas. Et durant les nuits d'hiver, le froid est plus aiguisé que la lame d'un couteau.

QORWIN : Le Remède Mortel [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant