Chapitre 10 - 1

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À notre entrée à Morowen, nous réveillons l'homme au poste de garde. Ce dernier est censé contrôler toutes les entrées et sorties dans la grotte, mais, au vu de la bave qui coule au coin de ses lèvres, il ne prend pas son travail très au sérieux. La petite bicoque dans laquelle il passe ses journées menace de s'écrouler à chaque instant. Le bois a pourri sous l'emprise de la mousse et l'odeur qu'il dégage ne me rassure pas. Il faut avouer que l'humidité omniprésente n'aide pas à se sentir bien. Je sens déjà mon corps s'alourdir alors que la sueur pointe le bout de son nez. Les Greymars sont habitués à cette température. Moi, clairement pas. À Argorfel, le temps est bon presque tout au long de l'année et notre peau constamment bronzée prouve la présence continuelle du soleil. Bien au contraire, le Greymar face à nous est aussi blanc que la neige qui entoure sa ville, et ses congénères n'y font pas exception.

— Bienvenue à Morowen, nous souhaite-t-il en réprimant un bâillement. Que puis-je pour vous ?

Ma réponse est déjà toute faite. Les gouttes de sueur sur mon front se mélangent à celles générées par le stress. Je sais que cet homme va me laisser passer, mais je n'aime pas le fait de m'incruster dans cette ville pour une fausse mission. Je ne peux pas lui avouer la véritable raison de notre venue. Je doute que le roi des Greymars approuve. Il aurait été plus simple de nous faire passer pour de simples voyageurs, mais nous ne pouvons pas. Le garde nous connaît, c'est le même depuis le premier jour où j'ai été messagère. Le seul moyen qui s'offre à nous pour entrer est donc de lui faire part du même discours que d'habitude.

— Nous sommes les messagers d'Argorfel, expliqué-je. Nous avons une lettre à délivrer au palais.

Il accepte mon explication d'un signe de tête, sans broncher. Avec les événements actuels, ça ne serait pas étonnant que le Conseil souhaite prendre contact avec le roi de Morowen. D'ailleurs, cala m'étonne qu'ils ne l'aient pas fait. Vorondil et moi descendons de nos chevaux pour offrir les rênes au garde. Ce dernier est chargé de les surveiller durant notre court séjour. Ce service est réservé aux messagers. Un simple citoyen serait obligé de payer l'une des écuries de la ville pour que sa monture soit gardée. Ce brin de supériorité me décroche toujours un sourire. Malgré moi. Ça me rappelle que même si nous sommes toujours en vadrouille, en danger et sous-payés, nous tirons quelques avantages de notre métier. Surtout à Morowen où les messagers sont très respectés. Ils ont même une chambre dans le palais royal. Un luxe que je ne suis pas prête de me voir offrir par le Conseil.

Nous avançons dans la rue principale, bordée par de petites échoppes en tout genre. Vêtements, restaurants, accessoires, tout y est. Je salive devant les étals de nourriture et je dois me forcer pour dévier le regard. Après s'être retenus devant toute sorte de grignotines, nous craquons pour une petite pâtisserie le temps de se remplir le ventre avant ce soir. Elle est sèche, loin d'être aussi goûteuse que celles de ma mère, mais elle me remplit quelque peu le ventre ce qui m'enlève toute envie de me plaindre. Nous avons des choses à faire avant de nous reposer, mais il nous aurait été impossible de faire tout cela le ventre vide, alors qu'à chaque coin de rue des effluves de divers mets nous parcourent les narines. Le ragoût de sanglier que je prends d'habitude à la taverne de la Cache me parcourt l'esprit et mon ventre ne dissimule pas son mécontentement. J'ai encore faim.

Je me concentre sur la beauté qui m'entoure pour éviter de penser à cette préoccupation. Cela a beau faire plus d'une dizaine de fois que je viens à Morowen, je suis toujours impressionnée par le caractère unique de cette grotte. L'obscurité de celle-ci nous happe un peu plus à chacun de nos pas. De hautes torches illuminent l'allée, dont les passants nous observent avec étonnement. Il est rare de croiser quelqu'un d'une autre espèce dans une ville. La plupart du temps, ce sont des messagers. Les vêtements des Greymars sont épais et assez amples pour couvrir leurs formes. Je me suis toujours demandé si leur tenue vestimentaire était telle dans le but de pallier à la combinaison qui semble plus qu'inconfortable qu'ils portent pour aller miner. Les couleurs vives de leurs étoffes donnent un semblant de vie à l'endroit grisâtre.

QORWIN : Le Remède Mortel [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant