Il met un instant à répondre, trop obnubilé par son hameçon.
— Il y a eu une énième manifestation de la part de tes petits copains les Narodims. La porte du Conseil était la cible des lames. Je pense qu'il vous suffira d'aller crier là-bas une ou deux fois de plus et vous réussirez à la trouer assez pour créer une fenêtre.
— J'imagine que le Conseil n'a toujours pas dit un mot... soupiré-je.
Il me regarde d'un air désoler et secoue la tête. Je ne peux pas vraiment dire que cela me surprend. Cela fait des années que nous —les Narodims— allons régulièrement devant le Conseil pour demander un changement de loi. Nous revendiquons le droit d'avoir une deuxième opportunité de contrôler nos pouvoirs rendus à l'âge adulte. Mais pour l'heure, le Conseil n'entend même pas l'écho de nos mots. Je me souviens encore de la fois où j'avais tenté de faire un simple courant d'air pour refroidir un gâteau fait par ma mère mais qu'à la place, j'avais engendré une bourrasque telle que certaines portes de ma maison s'étaient brisées.
La fois qui a été décisive, c'est lorsque j'ai propulsé un élève de ma classe dans un mur et qu'il a écopé d'un mois à l'hôpital et d'un traumatisme crânien. Le soir même, mes pouvoirs de l'air m'ont été retirés, me rendant Narodim. J'étais effondrée. Mais ce jour m'a fait comprendre que quelque chose d'autre m'attendait. Quelque chose pour laquelle j'étais douée. Le combat à mains armées. Les dagues sont pour moins une évidence depuis le jour où j'ai posé les doigts dessus, chez un forgeron du village. Maintenant, elles sont les extensions de mes bras. À cette pensée, je tapote ma ceinture et mes cuissardes pour vérifier qu'elles soient bien là. Ces lames coûtent trop cher pour les perdre.
Lorindol joue avec sa canne, tirant sur sa ligne puis la faisant retourner au large. C'est un piètre pêcheur, mais il se plaît à croire le contraire parce qu'il a un jour attrapé un maquereau. Il n'a pas la patience pour la pêche. Ni la vivacité pour la chasse. Un gros caillou tombe dans l'eau, pile à côté de l'hameçon. Je me retourne vers l'entrée de la baie sachant, sans même l'avoir vu, qui s'y trouve. Qui d'autre que Vorondil pour faire ça...
— Tu fais chier ! J'en avais un ! ment Lorindol
Vorondil éclate d'un rire rauque, semblable à sa voix, et accourt vers nous.
— Ne t'inquiète pas, je suis certain qu'il n'était pas bon.
Il manque de tomber plusieurs fois en descendant, comme si ses gros muscles, couplés à son enveloppe graisseuse, l'empêchent d'avoir une mobilité optimale.
— Je suis content de te voir Qorwin, m'avoue-t-il en me donnant une accolade. On dirait que ton voyage s'est bien passé !
Ses yeux verts parcourent mon corps à la recherche de nouvelles cicatrices, mais il n'en trouve aucune. Vorondil connaît le danger qui rôde à l'extérieur de la ville. Il est le deuxième et dernier messager d'Argorfel. Nous faisons certaines de nos missions ensemble, lorsque les messages sont d'une grande importance. Notre amitié s'est construite en écumant les routes et en se partageant du gibier cru.
— Alors, prêt pour l'Anglomet ? demande-t-il en se frottant les mains. Qorwin, tu as été mandatée avec moi pour guider les villageois.
J'ai l'impression de me prendre une pierre en plein visage. Je ne m'attendais pas à ça.
— Mais je viens à peine de rentrer ! D'habitude, ils nous laissent au moins trois jours de repos avant de repartir !
— Mais là, c'est l'Anglomet ! Il y a beaucoup de bénévoles qui se sont retirés cette année, ils n'aiment plus guider. Ils disent que c'est trop de responsabilités.
Je grogne en mettant mon visage entre mes mains. Moi qui pensais pouvoir me reposer et rejoindre la Vallée plus tard, c'est raté.
— J'espère au moins qu'une belle bourse d'or nous attendra à l'arrivée, grommelé-je.
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QORWIN : Le Remède Mortel [TERMINÉE]
FantasiaA Argorfel, où la magie est banale, les Narodims; des êtres dont les pouvoirs ont été enlevés, sont très peu considérés. Mais lorsqu'une maladie frappe la contrée, c'est pourtant sur l'une d'entre eux que tous les espoirs vont reposer. *** Dans la...