QORWIN : Le Remède Mortel [TERMINÉE]

Chapitre 8 - 1

Lors de mon premier voyage vers Morowen en solitaire, il neigeait. Le chemin était recouvert de glace. Mon cheval a glissé et j'en suis tombé. Le choc était si fort que je n'ai pas pu respirer durant quelques instants. Mon corps en a profité pour dévaler la pente en direction du précipice. Ce qui m'a sauvé la vie ce jour-là, c'est une de mes dagues, que j'ai utilisée comme un pic pour ne pas tomber dans le vide.

Le sentiment est le même aujourd'hui, des années plus tard. D'abord, un choc qui me coupe la respiration. Ensuite, un petit bout d'espoir sur lequel je me maintiens. La récupération de mes pouvoirs. J'en rêve depuis le jour où on me les a retirés. Le bruit de la plume sur le papier est le seul qui emplit la pièce. Je me retourne lentement, comme pour ne pas briser cet instant qui me semble irréel. La Mondonian a les yeux rivés sur sa lettre. J'essaie de dire quelque chose, mais aucun son ne sort de ma bouche. Mes pensées se mêlent et seul l'espoir parcourt mes veines. La colère, la frustration, se sont envolées aussi certainement qu'une plume au vent.

— Acceptez-vous cette offre ? demande-t-elle d'un ton léger en encrant sa rémige.

— Et les autres ?

— Les autres ? s'étonne-t-elle en levant les yeux vers moi.

Je tente d'avoir l'air calme et sûre de moi, mais l'excitation transparaît dans mon visage.

— Les autres Narodims, auront-ils aussi cette chance ?

Elle rit jaune, me faisant passer pour la pire des idiotes.

— Non, voyons.

Une personne généreuse et droite refuserait cette offre. Elle négocierait pour que tous ceux dans son cas puissent avoir la même chance. Mais je ne suis pas cette personne.

— En plus de cela, j'exige d'être payé dix fois plus que ce que je serais payée pour une expédition à Morowen. De même pour mon partenaire, Vorondil.

— Cinq fois plus.

— Dix.

Elle me toise d'un air sévère, mais finit par céder. Je ne sais pas si c'est, car elle sait que son combat est perdu d'avance, ou si elle pense que nous n'en sortirons pas vivants. L'annonce de la récupération de mes pouvoirs donne un nouveau sens à ma vie. Mon unique quête. Je tente de ne pas oublier que je suis une Narodim, que c'est désormais cette différence qui me définit. Mais l'idée d'être capable de contrôler l'air me fait frémir de joie. Mes jambes flagellent tant elles sont excitées de partir vers ces montagnes tueuses. Plus vite je serais sortie d'ici, plus vite je rentrerai.

— Vous irez à la Cache, reprend la Mondonian. Tulkàs y va tous les soirs, vous le trouverez là-bas. Quand vous le verrez, donnez-lui ceci.

Elle plie soigneusement la lettre et me la tend. Cette fois, pas d'enveloppe, pas de cachet officiel. Je suis autorisée à la lire. Je contourne la table pour plonger le papier dans ma poche. Je décide de ne pas le consulter tout de suite. Je souhaite qu'à ce moment-là, Vorondil soit à mes côtés. J'espère que celui-ci sera heureux de cette mission. Ou du moins s'en contentera. La bourse d'or qui nous attend à la fin de cette aventure nous rendra riches. Cela devrait le ravir.

Sauf que je ne peux pas lui parler de ma réelle motivation. Pas tout de suite. Il se sentirait trahi. Auprès de lui, je dis que je suis heureuse de ne plus avoir de pouvoirs. Que c'est grâce à cela que je suis celle que je suis. Et bien que ce soit vrai, une telle offre ne se refuse pas. Mais c'est un Magicien, il ne peut pas comprendre. Je décide d'apprécier une dernière fois le goût de cette opportunité puis la range dans un coin de ma tête. Je ressortirais cette joie qu'une fois de retour à Argorfel, le remède à la main.