Chapitre 3 - 2

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Je vérifie l'identité des artisans durant encore une bonne heure avant d'annoncer le départ. Une chance que Vorondil m'ait rejoint rapidement, autrement, j'y serais encore. Nous choisissons vingt personnes au hasard pour guider les chevaux durant la marche. Olorìn en fait partie et je l'autorise à déposer discrètement ses affaires dans la carriole la moins remplie. Vorondil ne me donne pas son avis sur la chose. Je sais déjà qu'il n'en a que faire. À ma place, il aurait même fait semblant qu'elle ait son nom sur la liste et l'aurait fait déposer ses objets aux yeux de tous. Ce qui, après réflexion, aurait peut-être été une bonne méthode.

Nous montons tous deux à cru sur nos chevaux, avec une bride pour unique équipement. Contrairement aux Greymars, nous ne voulons pas affubler nos montures d'innombrables morceaux de cuir afin que nous puissions voyager confortablement. Nous préférons laisser l'animal le plus libre possible, car nous pensons que c'est seulement ainsi qu'une relation de confiance peut naître.

Notre cortège se déplace jusqu'à la Grande Place d'Argorfel, un passage obligé pour sortir de la ville. Le centre de la cité est en réalité un immense pont, érigé au-dessus de la rivière de près d'un kilomètre de large. Celle-ci offre une incroyable cascade tout aussi grande qui se jette dans la Mer d'Afixi, à l'ouest du pays. Les quartiers moyens et défavorisés se trouvent sur la terre ferme, en marge du centre.

La Grande Place nous offre la vue la plus imprenable de la ville. Au-delà de la chute d'eau, et ce, à des centaines de mètres du sol, le siège du Conseil semble voler. Construit sur une plateforme reliée à la terre par deux ponts, cette architecture témoigne de notre mémoire pour les actes infâmes et les innombrables corps que cette eau a un jour transportée. Ce grand bâtiment doit son allure de château à sa tour effilée en son centre dont la lumière diffuse de l'aube lui chatouille l'aile est. Blanche comme la soie, son sommet est fait de marbre rouge. Celui-ci est une gracieuseté des Greymars comme signe de paix envers les Magiciens.

Le Conseil est composé de vingt-cinq personnes. Il y a vingt Orphans. Ces derniers sont des citoyens élus par le peuple dont le mandat est révolu chaque année. Les Mondonians sont au nombre de cinq. Ils sont choisis, car ils se sont démarqués par leur sagesse, leur bonté ou leur puissance. Ces derniers sont remplacés seulement en cas de mort, de faute grave ou de démission. D'après mon père, ce livre d'Histoire sur pattes, il n'y a eu qu'un seul Mondobian qui a dû se faire remplacer pour n'avoir pas respecté la loi. Tous les autres ont eu un siège au Conseil jusqu'à leur décès.

Ce palais est pour moi un endroit de mille et une facettes. Je prends parfois plaisir à y aller, lorsque je suis appelée pour que l'on me confie une nouvelle mission par exemple. Mais à d'autres moments, j'aimerais détruire ces murs de pierres pour qu'ils acceptent enfin de donner aux Narodims une seconde chance. La première fois que j'ai participé aux manifestations, c'était il y a deux ans. J'étais déjà messagère. Le Conseil a voulu me retirer mon travail, et c'est ce qu'ils ont fait. Mais ils n'ont trouvé personne pour me remplacer. Les gens ont trop peur de sortir de la ville plus que quelques heures. Ils m'ont alors reprise, quitte à voir et à supporter mes deux côtés. Je tente cependant de ne jamais confondre mes tâches et mes convictions, mais parfois cela se mêle. Ils sont toujours là pour me remettre en place lorsque je sors de leur droit chemin.

Je m'agenouille aux côtés de mes semblables, au bord du précipice, pour plonger mes mains dans l'eau froide. Certains luttent contre leur peur du vide pour venir se recueillir à nos côtés. Je pense à mes ancêtres ayant péri dans cette eau, jetés de son sommet, accrochés à de lourdes pierres. Après la Guerre de la Vallée, où les premiers Elfes vainquirent les premiers Magiciens de Leïros, ces derniers devinrent leurs esclaves. Les conquérants coupèrent les mains des êtres doués de magie afin d'anéantir leurs pouvoirs. Ils s'établirent au nord, dans les Collines Rouges. Neuf longues années plus tard, les magiciens brûlèrent une grande partie du village. Certains réussirent à s'échapper. Les autres furent contraints d'entamer, aux côtés des esclavagistes, ce qu'ils nommèrent la « Grande Marche ». Ils se déplacèrent à pied durant cinq mois pour arriver au sud de la contrée où ils bâtirent la ville qu'ils nommèrent Argorfel. Afin de prouver à leurs esclaves qu'une rébellion avait des conséquences, ils tuèrent la moitié d'entre eux en les jetant de la cascade devant laquelle je me tiens. Je porte mes mains à mon visage pour l'humidifier.

QORWIN : Le Remède Mortel [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant