Elle déglutit et laisse tomber les baies noires sur la neige. Je sens la peur se propager dans son corps qui se raidit en une fraction de seconde. Son dos est collé à mon ventre, son regard figé sur le buisson. Elle ne sait pas que c'est moi qui tiens sa vie entre mes mains. Elle pense que c'est un Fuyeur. Et c'est mon but. Je veux lui faire peur. L'effrayer assez pour qu'elle ne fasse plus d'actions stupides de ce genre.
— S'il vous plaît, gémit-elle.
Je retire ma dague et la pousse sur le côté. Elle s'écrase sur la neige. Sous son poids, quelques baies explosent et tachent ses vêtements. Lorsqu'elle découvre mon visage dur, elle est déboussolée. Elle jette des regards furtifs aux alentours pour essayer de comprendre mon action.
— Je ne vais rien te faire, craché-je en gardant ma dague en main.
Si j'ai retrouvé Nelwen, cela signifie que d'autres personnes le peuvent aussi. En cas d'attaque, je veux être prête. La jeune blonde hésite à se relever. Ses yeux bleus sortent de leurs orbites et sa respiration ne se calme pas. Je lui tends ma main libre pour qu'elle se remette sur pied.
— Ne pars plus jamais sans nous prévenir, c'est clair ? grogné-je d'un ton autoritaire. La prochaine fois, ce sera un Fuyeur qui tiendra cette dague.
Je mets en évidence la lame saillante. Elle hoche la tête et ravale sa salive. Après un léger temps d'hésitation, elle accepte mon aide pour se relever avec grâce. Elle époussette ses habits sur lesquels quelques flocons de neige se sont accrochés.
— Si un Fuyeur t'avait surprise, tu aurais pu tous nous faire tuer. Nous quatre, et tous les malades pour qui on cherche un remède.
Nelwen baisse la tête et regarde quelques instants la neige à ses pieds.
— Désolée. J'avais faim.
J'ai envie de lui crier dessus, lui dire que l'on a tous faim, qu'une gamine comme elle ne devrait pas être ici, mais je me reprends à temps. Crier empirera les choses. Ce serait le comble de l'indiscrétion. J'en veux à Tulkas d'avoir amené cette enfant avec nous. Je m'en veux de n'avoir pas plus insisté pour qu'elle reste à Morowen. Pour me calmer, j'observe les petites baies rondes qui poussent sur le buisson touffu. J'en attrape une et l'éclate entre mes doigts. De nombreux pépins se dévoilent.
— Je ne sais pas si c'est comestible, avoue Nelwen.
Je lui offre un regard furtif avant de poser mon doigt sur ma langue. Je jette le reste de la baie à terre et patiente un instant. Le fruit a beau être fade, avoir ce soupçon de nourriture dans la bouche m'ouvre encore plus l'appétit. Cela ne fait qu'un jour que nous n'avons rien mangé, mais avec Vorondil, cela fait bientôt deux semaines et demie que nous sommes partis, et nous ne nous sommes réellement nourris qu'à Morowen. Mon estomac se tord et je réprime un gémissement de douleur. Ma langue ne pique pas, c'est déjà un bon point quant à la comestibilité du fruit.
— Ramassons-en quelques-unes, Vorondil saura si nous pouvons les manger.
— Mon oncle aussi, il connaît très bien les plantes, surtout celles du nord.
Je ne réponds rien et me contente de m'activer. Je ne peux pas repartir sans cette précieuse nourriture, sachant qu'elle est peut-être comestible. Je remplis les poches de mon manteau le plus rapidement possible tout en regardant de temps à autre par-dessus mon épaule, à la recherche d'une quelconque menace.
— Je suis désolée, dit calmement Nelwen. Je n'aurai pas dû sortir de la grotte.
Nos regards se croisent. Malgré son jeune âge, je la trouve courageuse. Je ne serais probablement pas allé dans le nord à sa place. J'aurai eu trop peur.
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QORWIN : Le Remède Mortel [TERMINÉE]
FantasíaA Argorfel, où la magie est banale, les Narodims; des êtres dont les pouvoirs ont été enlevés, sont très peu considérés. Mais lorsqu'une maladie frappe la contrée, c'est pourtant sur l'une d'entre eux que tous les espoirs vont reposer. *** Dans la...