— Tu devrais aller lui parler, recommandé-je à Vorondil.
— Je ne le connais pas depuis aussi longtemps que vous deux, il ne m'écoutera pas plus.
Vorondil est le dernier à avoir rejoint notre petite troupe. Ce fut un soulagement d'avoir un autre célibataire à mes côtés et de ne plus être la troisième roue du carrosse.
— Mais tu es un mâle. Il a peur d'avoir l'air faible s'il rentre à la Vallée, et encore plus s'il va à Argorfel. C'est sa fierté qui parle là. Pas son envie. Regarde-le.
Lorindol marche d'un pas incertain. Ses gestes sont inhabituels. Il se tapote la tête de temps à autre comme si quelqu'un tentait d'y entrer. Après un temps d'hésitation, Vorondil admet que j'ai raison.
— Je vais y aller. Mais je ne te promets rien.
Il file vers mon ami d'enfance. Je profite du calme qui règne pour écouter le chant des oiseaux, invisibles à mes yeux. Je porte une attention particulière au doux son du vent et aux branches qui craquent sur le sol. Durant mes parties de chasse solitaire, j'ai l'habitude de poser des collets. En voyage, la viande de gibier n'est comestible que trop peu de temps. Ça serait du gâchis de tuer une grosse bête. Au contraire, durant l'Anglomet, on se moquerait de moi si je revenais avec un lapin. Aujourd'hui, nous devons nourrir tous ceux qui se trouvent dans la Vallée. Tout le monde est conscient que cette fête n'est pas celle où nous mangeons le plus, bien au contraire. Il arrive des jours où nous nous endormons l'estomac vide si nous n'avons pas prévu d'amener de la nourriture de notre village.
Ma mère aime prétendre que si notre cœur est rempli, notre ventre importe peu. Elle tient cette phrase de ma grand-mère. Elles se disaient cela durant les périodes douloureuses. J'ai longtemps été d'accord avec elles. Jusqu'à mon premier grand voyage. J'ai passé une semaine sans manger avant de trouver du gibier. Sur le moment, j'avais presque cru à une illusion. Affamée comme j'étais, j'avais commencé à le manger cru. Quand je suis rentrée chez moi après ça, je lui ai dit que peu importe à quel point notre cœur est rempli, un ventre vide, c'est un ventre vide. Elle ne m'a plus jamais répété cette phrase depuis lors.
La rivière est calme, bordée d'une aulnaie humide. C'est un enfer à traverser. Les branches attrapent mes cheveux et agrippent mes vêtements. J'avance le dos rond et les bras devant mon visage. Des moustiques me piquent dans le cou et sur le crâne. Je me tape pour les faire fuir, mais ils sont coriaces. À croire qu'ils aiment encore plus les femmes que Vorondil. J'atteins enfin la rivière qui me donne un second souffle. Sur l'autre berge, la vue est dégagée. Aucun arbuste à l'horizon.
— J'ai l'impression de sortir une deuxième fois du ventre de ma mère, plaisante le rouquin.
Lorindol commence à rire, mais je lui fais signe de se taire quand j'aperçois un faon se désaltérer au loin. C'est plus qu'inhabituel de croiser cette espèce. Leur ouïe est fine tout autant que leur odorat. Je lance un regard à Vorondil. C'est à son tour de jouer. Il encoche une flèche alors que sa respiration s'accélère. Même à cette distance, l'animal l'effraie. J'attrape une dague dans chaque main. Dans le cas où il fait fuir le cervidé, je serais ainsi prête à l'arrêter. Le regard fixé sur sa proie, il tend soigneusement sa corde. Il tente de garder son dos droit, mais sa poitrine monte et descend bien trop rapidement pour précéder un bon tir. Quand la corde vient lui chatouiller le nez, il décoche sa flèche. Celle-ci tombe dans l'eau et faute de le tuer, effraie le faon qui lève la tête. Quand son regard croise le mien, je ne laisse pas une seconde chance à Vorondil. Je lance une dague qui fend l'air en même temps que la flèche de Seïchan. L'animal s'apprête à détaler, mais notre fer se plante dans son thorax.
Le faon fait un bond et s'enfuit tête baissée dans les bois. Je souris et félicite Seïchan d'un signe de tête. Nous le laissons mourir en paix. Il va s'effondrer mortellement non loin de là. Vorondil adopte presque la même réaction que l'animal.
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QORWIN : Le Remède Mortel [TERMINÉE]
FantasyA Argorfel, où la magie est banale, les Narodims; des êtres dont les pouvoirs ont été enlevés, sont très peu considérés. Mais lorsqu'une maladie frappe la contrée, c'est pourtant sur l'une d'entre eux que tous les espoirs vont reposer. *** Dans la...