Le soleil se lève et réchauffe l'air ambiant. Les chevaux du paddock se bousculent à l'abreuvoir. Des objets artisanaux de toutes sortes s'empilent dans les charrettes derrière nous. Il y a des bijoux, en passant par des petits meubles, des poteries ou encore des armes. Certains sont conservés dans de grands sacs en toile de jute pour éviter qu'ils ne s'abîment ou ne s'éparpillent. D'autres ont simplement été posés là où il y avait de la place, rendant certains endroits bancals. Les vingt canassons sont attelés et commencent à s'impatienter. Le brouhaha de la foule n'aide pas à les calmer. Les habitants aussi ont hâte de partir.
Avec Vorondil, nous formons une barrière et vérifions l'identité de tous les habitants avant de les laisser déposer leurs créations. Ils paient cher pour pouvoir vendre durant l'Anglomet, mais la plupart d'entre eux reviennent avec une belle bourse de pièces d'or. J'ai la tête penchée sur le parchemin, une plume d'encre à la main. J'ai cessé de regarder les personnes à qui je m'adresse par peur d'attraper un torticolis.
— Bonjour, votre nom, s'il vous plaît.
— Olorìn.
Finalement, je lève les yeux avec un grand sourire.
— Oh ! Comment vas-tu ? l'interrogé-je en m'apprêtant à l'enlacer.
Je me ravise lorsque je vois les gros sacs qui pendent à ses bras, chargés d'instruments de musique plus originaux les uns que les autres.
— Ce sont de belles créations que tu nous amènes là.
— Merci ! Certains instruments ne fonctionnent pas très bien, mais bon, je les vendrais aux Elfes, avoue-t-elle avec un rire coquin.
Je pouffe tout en vérifiant que son nom soit sur la liste, bien que je n'en ai aucun doute. Olorìn fait partie des habitués de l'Anglomet. Elle y participe chaque année et son stand est l'un des plus appréciés. Je retourne deux fois le papier pour trouver son nom, sans succès. Je m'apprête à demander à Vorondil de vérifier sur son parchemin, mais elle m'arrête d'un geste de la main. Elle secoue la tête avec un sourire timide, sa natte de femme mariée tombant sur son visage. Je prends une grande inspiration. C'est une grosse faveur qu'elle me demande là, et je risque gros si j'accepte qu'elle vende ses objets sans autorisation. Encore plus si je lui accorde une place dans une charrette. D'un autre côté, c'est la première fois qu'elle me le demande, elle paie toujours sa place d'habitude. Si cette année elle ne l'a pas, c'est, car l'argent n'est pas suffisamment rentré. La priver de l'Anglomet serait ignoble de ma part. C'est là que les artisans font le plus de bénéfices. D'autant plus que je sais qu'elle a un homme et trois enfants à charge. Je lis un « s'il te plaît » sur ses lèvres qui me fend le cœur.
Bien que j'aie toujours été très bien lotie, ma mère m'a sensibilisée à la pauvreté durant toute ma jeunesse. Elle y a fait face durant la sienne. Un toit, oui, elle en avait un sur la tête, mais il risquait de lui tomber dessus à chaque courant d'air. Elle passait des journées entières le ventre vide, car ses parents ne chassaient pas et travaillaient peu. C'est mon père qui l'a aidée à sortir de cette misère. Il a réparé le toit de sa maison avec le peu de connaissances qu'il avait et les a nourris avec ses maigres ressources, délaissant sa famille pour celle de ma mère. Elle me racontait que c'est lui qui lui avait donné de l'espoir durant tant d'années, avant même qu'ils ne s'adressent la parole. Les quartiers pauvres se trouvent à l'extrémité ouest de la ville, par-delà la grande rivière sur laquelle est érigée Argorfel. Maman avait la chance d'avoir une vue sur l'Océan Apeirique, ce qui est rare, même pour les gens fortunés. Alors, elle regardait mon père de sa fenêtre. Il allait pécher tous les matins au lever du soleil, sur son petit bateau de fortune. Si ma mère était dans la position d'Olorìn aujourd'hui, j'aurais aimé qu'elle tombe sur quelqu'un de clément. J'estime qu'il est donc de mon devoir de l'être.
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QORWIN : Le Remède Mortel [TERMINÉE]
FantasyA Argorfel, où la magie est banale, les Narodims; des êtres dont les pouvoirs ont été enlevés, sont très peu considérés. Mais lorsqu'une maladie frappe la contrée, c'est pourtant sur l'une d'entre eux que tous les espoirs vont reposer. *** Dans la...