Les Fuyeurs s'éloignent et nous faisons de même, sans un bruit. Les lèvres me brûlent tant j'ai envie de parler à Daëron, savoir ce qu'il a derrière la tête, mais je me retiens jusqu'à arriver à l'endroit qu'il a déniché pour passer la journée.
— Quel est ton plan ? lui demandé-je à la seconde où les Fuyeurs ne risquent plus de nous entendre
C'est un renfoncement dans le sol, au bord d'une rivière partiellement gelée, non loin de l'endroit où nous nous étions séparés. Son cheval y est allongé, prenant la moitié de l'espace. Nous y sommes peu dissimilés, mais cela devrait faire l'affaire. Les Fuyeurs sont déjà passés dans les environs. D'après l'Exilé, ils ne risquent pas de repasser de sitôt.
— D'abord, nous allons nous reposer.
Il s'assoit en tailleur au fond de l'abri alors que je reste debout.
— Pardon ? C'est hors de question, il faut aller les chercher, tout de suite !
— Ça ne sert à rien. Nous sommes fatigués et de toute façon, ils sont en sécurité pour encore un ou deux jours.
— En sécurité ? Qu'en sais-tu ! Ils ont été emmenés par des Fuyeurs !
Son regard parcourt le mien. Son visage reste impassible. Je vois bien que mon comportement ne lui plait pas, mais comment pourrais-je réagir autrement ? Ces saletés sans vergogne retiennent mes amis. Chaque seconde qui passe les approches d'un danger plus grand. Je ne sais pas ce que souhaitent les Fuyeurs. De l'argent ? De simples prisonniers ? Dans quel but ? Ce que je sais, c'est qu'ils ne sont certainement pas accueillis avec une haie d'honneur.
— Dis-moi Qorwin, qui de nous deux est le plus familier avec les Montagnes d'Arbos et ses secrets ?
C'est une question piège. Je décide de ne rien répondre, la vérité est évidente. Il sourit de sa petite victoire et me fait signe de m'asseoir face à lui. J'obtempère d'un air nonchalant. Je ne peux empêcher mes jambes de faire des petits mouvements agaçants. La situation qui vient de se dérouler sous mes yeux ne me permet pas d'être calme. J'ai envie de bouger, de courir, de me battre, me venger. Mais à la place, je suis assise au fond d'une cavité, forcée à écouter un homme qui pense tout savoir.
— Cela fait trois générations de Fuyeurs que je vis en ces lieux.
C'est la première fois qu'il me donne une idée sur son âge. Étonnement, je m'attendais à ce qu'il soit plus âgé, bien que son corps n'en témoigne pas.
— Toutes se ressemblent. Tu veux savoir ce qu'ils vont faire de tes compagnons ?
J'acquiesce.
— Ils vont les enfermer, purement et simplement. Entre quatre murs trop proche pour qu'ils puissent s'asseoir. Ils ne vont pas les laisser sortir de là. Ils vont bien les nourrir, histoire qu'ils prennent un peu de graisse. La suite, tu peux la deviner.
Je le regarde d'un air grave. Ça ne peut pas être ce que je pense. Malgré toutes les horreurs que j'ai entendues sur les Fuyeurs, ça ne peut pas être cela. Ses yeux bleus défient les miens. Il ne me croit pas capable de tenir le choc, je le vois. Je relève la tête et ferme mon visage. Je n'ai pas le temps de m'apitoyer sur mon sort.
— Dites-le, sommé-je.
— Tu es sûre ?
— Dites-le.
— Si tel est ton souhait.
Il se replace, avançant légèrement son buste vers moi.
— Ensuite, ils vont les tuer un part un, puis s'en nourrir.
VOUS LISEZ
QORWIN : Le Remède Mortel [TERMINÉE]
FantasyA Argorfel, où la magie est banale, les Narodims; des êtres dont les pouvoirs ont été enlevés, sont très peu considérés. Mais lorsqu'une maladie frappe la contrée, c'est pourtant sur l'une d'entre eux que tous les espoirs vont reposer. *** Dans la...