Mes pensées s'effritent pour ne laisser place qu'à une seule phrase qui tourne en boucle dans ma tête : ma quête a tué une enfant. Je reste sur place de longues minutes, tétanisée, alors que Tulkàs descend de son cheval et crie le nom de Nelwen sans discontinuer. Il creuse frénétiquement dans la neige, espérant tomber par miracle sur sa nièce. Vorondil fait de même et je ne fais que les regarder.
— Qorwin ! me crie mon ami pour me faire sortir de ma transe.
Quand je sursaute à l'entente de mon prénom, il m'offre un regard compatissant, mais néanmoins pressant. Il faut que je les aide.
— Nelwen ! hurle Tulkàs sans perdre espoir.
Je mets pied à terre et balaie l'horizon des yeux. J'ai déjà eu à faire à des avalanches, mais jamais d'aussi grosses. Malgré tout, je sais ce que c'est que de rester coincé sous la neige. De ne voir que du blanc, si t'en est-ce que l'on est capable d'ouvrir les paupières. De perdre son oxygène peu à peu et de sentir le manque d'air dans ses poumons. De se voir partir à petit feu. La première fois où je me suis retrouvée piégée, ce n'était pas très profond. Une partie de mon habituelle cape noire de voyage dépassait à la surface et Vorondil a pu creuser la neige pour me sortir de là. La seconde fois, j'étais seule. Désorientée. J'ai craché dans la neige le peu de salive que le stress m'avait laissée pour savoir par où creuser. Je m'en suis sortie in extemis, mais une minute de plus sous la neige m'aurait coûté la vie.
Là, face à ce désert blanc, je ne vois ni cape, ni manteau, ni cheveux dépasser. Il n'y a que la neige, et l'absence de vie.
— Nelwen ! me metté-je à crier.
Non pas en espérant qu'elle me réponde, mais simplement pour lui prouver que nous sommes là, en train de la chercher, si t'en es qu'elle nous entend. Je rejoins les deux hommes. Nous ne creusons pas profond, mais sur une grande superficie, à la recherche d'une trace quelconque. Tulkàs continue d'hurler sans cesse le prénom de sa nièce, mais il n'y a toujours aucune trace d'elle. À force de pelleter la neige, elle s'infiltre dans mes gants et vient refroidir mes mains. Mais je ne peux pas m'arrêter pour si peu. Je ne peux pas abandonner cette enfant. C'est ma quête. Les gens qui m'y accompagnent sont sous ma responsabilité. Si je compte les abandonner, autant leur planter ma dague dans le cœur dès le départ.
Soudain, à deux mètres de mon visage, je vois la neige se mettre en mouvement. Un tourbillon se crée. J'écarquille les yeux, surprise par ce relent d'espoir. Une main sort violemment d'entre les flocons. Sans me poser de questions, je saute dessus et la tire de toutes mes forces.
— Elle est là ! hurlé-je.
Ma voix est teintée de joie et d'étonnement. Les cheveux blonds de Nelwen sortent en premier, en même temps qu'un long râle pour reprendre sa respiration. Rapidement, ses épaules se dégagent elles aussi. Je me laisse légèrement tomber en arrière pour utiliser mon corps entier pour faire levier. La neige autour d'elle s'anime. Comme vivante, elle bouge pour s'éloigner de son corps. Je pousse un soupir de soulagement lorsque Nelwen est allongée face contre neige, saine et sauve. Elle prend une grande bouffée d'air frais comme si elle avait été privée d'oxygène durant cent ans. Je respire aussi fort qu'elle, comme si soudain, je me rappelle qu'en altitude, l'air vient parfois à manquer. Son ventre est contre le sol froid. Ses cheveux forment une auréole sur le blanc immaculé. Lorsqu'elle relève son visage, elle semble épuisée. Quelques flocons s'étant nichés dans ses longs sourcils tombent pour rejoindre les autres. Ses petits yeux bleus, semblables à deux billes aussi rondes que la pleine lune, me fixent. Son regard sur moi a changé. Il n'est plus hautain ou compétitif, mais empli de reconnaissance.
— Merci, chuchote-t-elle pour que seule moi l'entende.
Je lui offre un sourire soulagé. Ses mots me font du bien. Ils me prouvent qu'elle est vivante, et plus intelligente et aimable qu'elle ne l'a laissé penser jusqu'alors. Tulkas et Vorondil accourent à nos côtés. Le doyen aide sa nièce à se relever.
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QORWIN : Le Remède Mortel [TERMINÉE]
FantasyA Argorfel, où la magie est banale, les Narodims; des êtres dont les pouvoirs ont été enlevés, sont très peu considérés. Mais lorsqu'une maladie frappe la contrée, c'est pourtant sur l'une d'entre eux que tous les espoirs vont reposer. *** Dans la...