Je ressens chaque battement de mon cœur dans mes tempes. Je serre mes mains entre elles pour les empêcher de trembler et plante mes ongles dans mes paumes. Lorsque ses yeux verts se posent sur moi, je dois redoubler d'efforts pour ne pas lui montrer mon appréhension. Il me fait un grand sourire, de ceux qu'il ne m'offre qu'en expédition. Ceux qui me rappellent à quel point l'aventure le passionne et qu'il ne se sent serein qu'en-dehors de la ville. Il attend mes mots et je me les répète dans ma tête. « J'ai accepté cette mission pour recouvrer mes pouvoirs » pensé-je. Non, c'est trop direct. Je retourne la phrase dans tous les sens, change des mots, change les verbes, mais rien ne sonne correctement.
— Je vais me coucher, finis-je par lâcher.
Tout mon corps devient mou, détendu, comme si j'avais enfin laissé aller mes pensées. Mais il n'en est rien. J'ai tout simplement fait preuve de couardise face à lui. Je n'assume pas mes choix. Je ne m'assume pas moi-même. Je me relève et marche vers la grotte l'air las. Je me recroqueville au fond de celle-ci, au coin du feu. J'essaie de penser à autre chose et plonge mon regard dans les flammes. La danse du feu m'apaise toujours.
Cette nuit, j'ai du mal à dormir. J'ai l'impression que la pierre est plus dure que les fois précédentes. Que le froid est plus menaçant. Que la nature est plus dangereuse. Vorondil, lui, dort à poings fermés jusqu'au lever du soleil.
Le fait de reprendre la route m'aide à penser à autre chose. Je me concentre sur le chemin à emprunter et admire, avec toujours autant d'émerveillement, les sommets qui m'entourent. Par endroit, ils sont plus hauts et le sentier, plus tortueux. Je sais que Morowen est proche lorsque nos chevaux gravissent le flanc d'une montagne bien distincte. La vue y est incroyable. Les pics ne sont pas aussi menaçants qu'au nord. La chaîne de montagne semble presque sécuritaire. Seuls les plus hauts monts sont blanchis par la neige. Je reconnais le plus grand. Sa face ouest, caractéristique, est aussi droite que la lame d'une épée et son sommet est plat. Le mont Groulx. Il tient son nom de l'Elfe qui l'a un jour escaladé. Malheureusement, elle ne l'a pas redescendu de son propre chef. Son corps a été retrouvé par des Greymars quelques jours plus tard, alors qu'ils s'en allaient miner dans les environs. Rares sont les histoires d'alpinisme qui se finissent bien. Cela me pousse presque à penser que pour mériter un sommet, il faut y laisser sa vie.
La veille de notre arrivée à Morowen, Vorondil accepte de s'habiller plus chaudement. Le manteau en peau de gibier que je lui prête lui fait presque un garrot autour des bras, mais c'est préférable comparé à l'hypothermie. Cela lui donne une excuse pour râler un peu plus toutes les heures. À chaque mouvement, je l'entends grogner qu'il va s'acheter un nouveau manteau à la seconde où nous arriverons à Morowen. Ses complaintes me font penser qu'il y a encore une chose que je n'ai pas encore partagée avec lui. Avec toute cette excitation, cette multitude de sentiment et de pensées qui tournent en boucle dans ma tête depuis deux semaines, j'en ai oublié l'argent que m'a donné la Mondonian. Les talons bien ancrés dans les flancs de mon cheval, je fouille dans mon sac à dos pour trouver la bourse d'or. Je la lance à Vorondil qui, jusqu'à cet instant, ignorait son existence. Il la soupèse et me regarde avec un air surpris. Il dénoue la petite ficelle qui l'entoure et regarde à l'intérieur. Il ne tarde pas à relever les yeux, ahuris.
— Où as-tu trouvé ça ? s'empresse-t-il de me demander, le sourire aux lèvres. Qu'as-tu volé ?
— Je n'ai rien volé. C'est de la part du Conseil. Une avance sur notre butin.
Il fronce soudainement les sourcils, très peu convaincu par mon aveu.
— Pourquoi nous donneraient-ils une avance ? Ils ne l'ont jamais fait.
— Le nord est froid. La Mondonian m'a dit d'utiliser cet or pour nous acheter des vêtements adéquats.
Vorondil prend une pièce d'or qu'il fait danser entre ses doigts. Après l'avoir observé sous toutes les coutumes, il la remet dans la bourse et me lance le paquet de cuir.
— Garde-les pour toi. Je ne veux pas de cet argent.
Son cheval accélère et j'indique au mien d'en faire autant.
— Depuis quand refuses-tu de l'argent ? demandé-je, surprise par sa réaction.
— Depuis que le Conseil nous en donne avant que nous ayons fait ce qu'il demande. Si nous revenons sans le remède, ils nous reprendront jusqu'à la dernière pièce de ce sac. Je ne veux pas les dépenser puis me retrouver avec une dette sur le dos.
J'ai déjà réfléchi à cette possibilité, mais l'ai immédiatement rayée de mes pensées. Si nous revenons, c'est avec le remède. Je préfère mourir dans les montagnes que revenir les mains vides.
— De toute façon, reprend Vorondil, j'ai de quoi me payer des vêtements.
Comme preuve, il sort de sa poche de pantalon une poignée d'objets scintillants. Lorsqu'il déplie ses doigts, je découvre de merveilleux bijoux sertis de pierres précieuses.
— Un bracelet avec trois saphirs, une bague d'améthyste, une autre d'aventurine, nomme-t-il.
Il regarde fièrement sa trouvaille et les replace en lieu sûr. Je n'ai pas besoin de lui demander où il les a volés, je le sais déjà. Je reconnais le bracelet, il avait attiré mon œil au marché de l'Anglomet.
— L'Anglomet n'est pas que le paradis des marchands, explique-t-il d'un ton joyeux, c'est aussi celui des voleurs !
Pour ma part, je n'ai rien volé là-bas cette année, contrairement à toutes les précédentes. Vorondil paraît déçu quand je ne lui montre aucun objet en retour.
— Ce n'est pas comme ça que tu deviendras une aussi bonne voleuse que moi.
— Je ne compte pas l'être, avoué-je. Je veux que le vol reste un plaisir et non une nécessité.
— Moi aussi ! J'ai toujours fait cela pour le plaisir.
— Dès que tu ne voles rien durant un mois, tu dis que celui-ci est gâché... Tu as besoin de voler pour te sentir bien. C'est ce que j'appelle une nécessité.
Vorondil tangue volontairement sur son cheval, incapable d'avouer l'évidente vérité.
— Quoi qu'il en soit, une fois à Morowen, il faudra passer à la Casse.
Je soupire. Bien que je sois plusieurs fois allé à ce marché noir, je ne m'y hâte jamais. Ce n'est pas une bonne chose que de braver l'interdit. Malgré tout, j'accepte d'y accompagner mon ami. Je comprends sa décision : ces pierres précieuses ne se vendront jamais aussi cher qu'à Morowen.
Ma fatigue arrive au même moment que la lune. L'excitation de notre arrivée dans la ville des Greymars m'empêche de dormir. Alors, durant la moitié de la nuit, j'admire le ciel étoilé. Quand je me réveille, la neige a commencé à me recouvrir et lorsque nous reprenons notre chevauchée, je grelotte encore. La nuit passée à l'air libre m'a rafraichie et mes membres peinent à se réchauffer. Mes vêtements humides ne m'aident en rien. Ils me refroidissent et ne me donnent pas fière allure.
À la seconde où le pont de Morowen apparaît, toutes mes plaintes s'échappent pour laisser place à une immense joie. Deux falaises abruptes sont reliées par des blocs de roches solides. Un trou béant me fait face de l'autre côté, dans lequel des points lumineux éclairent les habitations. Nous sommes enfin arrivés devant la grotte, celle dans laquelle est construit Morowen. Je regarde Vorondil, à la fois joyeux et craintif. Pour lui, c'est l'avancement vers une possible richesse. Pour moi, c'est un pas de plus vers l'objectif de ma vie.
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QORWIN : Le Remède Mortel [TERMINÉE]
FantasyA Argorfel, où la magie est banale, les Narodims; des êtres dont les pouvoirs ont été enlevés, sont très peu considérés. Mais lorsqu'une maladie frappe la contrée, c'est pourtant sur l'une d'entre eux que tous les espoirs vont reposer. *** Dans la...