QORWIN : Le Remède Mortel [TERMINÉE]

Chapitre 15 - 1

Le point lumineux, solitaire dans la nuit noire, varie en intensité chaque seconde. Le volcan de Morowen est encore trop loin pour que je puisse discerner autre chose que la lumière produite par sa lave. Durant un instant, je me sens seule au monde sur ce sommet enneigé, avec face à moi la plus grande chaîne de montagne de la contrée. J'admire les étoiles et me perds dans des constellations que j'imagine. Je tâtonne ma ceinture et ma cuissarde pour rencontrer le contact rassurant de mes dagues. Daëron n'a pas tardé à me les rendre, ainsi que l'épée de Nelwen. Celle qui a failli lui ôter la vie a été retrouvée par Vorondil, plantée dans l'arbre.

L'air est frais, mais je me permets de laisser mes gants dans la poche de mon manteau. Garder les mains froides me permet de rester bien éveillée. Je ne manque pas de sommeil, mais le temps de la digestion est arrivé. Avec la quantité d'ours que j'ai mangé, cela va mettre du temps. En dessert, nous avons apprécié les baies que nous avons cueillies avec Nelwen. Dans nos poches, elles avaient beau s'être changées en un écrabouilli loin d'être appétissant, le sucre qu'elles contiennent était trop tentant. Aucun de nous ne connaissait ces fruits, mis à part Daëron, qui nous a confirmé qu'ils étaient comestibles. Je lui ai tout de même laissé l'honneur d'y goûter en premier.

On ne connait jamais assez bien les gens et leurs intentions. Je préfère m'en méfier. Surtout qu'il s'est montré flou quant à ses intentions concernant Arbos. Il prétend qu'il veut le rencontrer, voilà tout. Mais son aide est précieuse et on ne peut pas la refuser.

Nous avançons sur une crête de montagne dangereuse, Daëron en tête de ligne. Éviter les Fuyeurs le jour signifie devoir faire face au déplacement des montagnes la nuit. Et comme la nuit d'hier nous l'a appris, il ne faut pas être dans les vallées à ce moment-là. Mon cheval n'est pas serein, mais je tente de le calmer. Ce n'est pas le moment de paniquer.

— C'est là que l'on s'arrête, annonce Daëron en descendant de sa monture avec agilité.

Tulkàs a eu la bonté de lui offrir son cheval et parcourt maintenant les terres sur le même dos que Nelwen. La minceur de l'arrête nous permet seulement de nous déplacer les uns derrière les autres. Tulkàs n'est pas rassuré, mais tente de le cacher aux yeux de tous. Sauf à ceux Nelwen, qui a pris les rênes. Elle lui parle de choses et d'autres pour essayer de lui changer les idées.

De son vieux sac tressé, Daëron sort une longue corde brune. Elle n'a pas l'air toute neuve et je mets en doute sa solidité, mais l'Exilé connait par cœur ces montagnes et comment y survivre. Si l'on jouait au jeu de qui survit le plus longtemps, je parierai sur lui. C'est la raison pour laquelle personne n'a bronché quand il nous a annoncé que nous allions être sur le sommet des montagnes lorsque celles-ci se déplaceraient. Nous avons déjà était en bas, et cela ne nous tente pas de recommencer.

Il lève la tête vers la lune et monte sa main vers celle-ci, le pouce et l'auriculaire déplié.

— Ça va commencer dans cinq minutes, en déduit-il.

Il se hâte de sortir sa corde au complet. Je m'apprête à descendre de ma monture pour l'aider, mais il me l'interdit aussitôt.

— Enfile ça comme une bandoulière, me commande-t-il en me tendant un bout de corde noué.

Son visage ne m'offre pas un sourire, pas un clin d'œil rassurant, rien. Aussi froid que le vent qui s'élève. Quand j'effleure sa main par mégarde au moment de prendre la corde, une émotion se dessine sur son visage. Il me regarde d'un air perturbé, comme s'il n'avait pas eu de contact humain depuis trop longtemps. Je m'apprête m'excuser, mais il ne m'en laisse pas le temps. Le cordage est assez long pour que chaque personne puisse l'attacher à son corps.

— Si l'un de nous tombe, les autres devront le retenir. Je vous préviens, une fois la corde tendue, c'est loin d'être agréable. Donc tâchez de ne pas tomber.