Chapitre 7 : Les tablettes de fer

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Et par un beau matin, Zacharie et Gébald arrivèrent enfin. Aymeric rentrait d'une promenade matinale quand un rugissement à en faire vibrer la terre déchira le ciel. Une ombre passa devant le soleil encore pâle qui montait doucement dans le ciel et un souffle de vent agita le chevelure du jeune homme qui se précipita vers la cour du château juste à temps pour voir le dragon de terre seposer au sol.
Zacharie se laissa glisser du dos de son jumeau et un large sourire éclaira son visage. Il paraissait en pleine forme, plus rayonnant que jamais. Ils s'étreignirent à la manière des Hérances et Aymeric salua Gébald de la main tandis que le dragon lui adressait un signe de tête enthousiaste. Le jeune homme originaire du désert déclara :
- Pardon pour le retard, j'ai pris mon temps.
- Ce n'est rien, tu as bien fait de te reposer, le rassura Aymeric. Ce n'est pas facile de se remettre d'une mort. Au moins tu es arrivé avant Alaman et Firenza.
Le sourire du chevalier dragon à la peau sombre se fana et il demanda :
- Eux aussi sont morts ?
- Oui mais ils ne devraient pas tarder. Où est-ce que vous vous êtes réincarnés ? Au palais d'Ondre ?
- Non. Sur l'île du royaume des Dragons, répondit Gébald. Un lieu vraiment paradisiaque. Pas vrai Zach ?
Son ton était à la fois moqueur et sérieux, comme s'il partageait une blague avec son jumeau dont eux seul connaissaient le sens, sans trop oser l'appuyer. Zacharie acquiesça, les yeux brillants. Puis le dragon dit :
- Tu peux m'aider à enlever cette selle ? J'aime voler et jouer au cheval mais il ne faut pas pousser le bouchon trop loin ! Je rêve de mon lit.
Zacharie et Aymeric l'aidèrent à se dépêtrer de son équipement et le dragon de terre fila sans demander son reste, baillant à s'en décrocher la mâchoire. Les deux amis regagnèrent le château côte à côte en évitant d'aborder le sujet de la mort. Le chef cuisinier prépara de quoi rassasier Zacharie et Aymeric demanda :
- Tu as besoin de te reposer ?
- Non, j'ai assez dormi. Je suis en pleine forme. Ce n'est pas moi qui ai volé toute la nuit.
Zacharie mangea comme Aymeric ne l'avait jamais vu manger. Les autres chevaliers dragons les rejoignirent et Hermas bouscula un peu le petit attroupement pour retrouver son ancien apprenti.
- Te voilà ! s'exclama t-il sans cacher son soulagement. Et en un seul morceau !
- Vous en doutiez ? sourit Zacharie.
Hermas lui ébouriffa les cheveux comme s'il n'était encore qu'un enfant tout en le couvant d'un regard paternel et protecteur. Ce soir-là, il ne restait plus que deux places vacantes à l'endroit où les chevaliers dragons s'asseyaient habituellement pour dîner. Aymeric s'interrogea sur le lieu ou Alaman et Firenza était revenu à la vie.
Certainement pas à Ondre sinon ils seraient déjà de retour et le roi d'Alembras aurait envoyé un pigeon pour les prévenir. Pas non plus au royaume des Dragons sinon Zacharie et Gébald les auraient vu et seraient restés en leur compagnie. Mais alors où ? Il espéra qu'ils ne s'étaient pas réincarnés sur un territoire lointain et hostile.
Ses craintes furent apaisées deux jours plus tard. Il tournait en rond dans la bibliothèque, trop anxieux pour ses amis manquants et incapable de se distraire en lisant ou en étudiant quand il vit parla fenêtre quatre chevaux avancer dans la cour.
S'il ne connaissait pas le premier duo de cavaliers, le second était loin de lui être inconnu. Comment ne pas reconnaître les chevelures rousses d'Alaman et Firenza ? Le temps qu'il atteigne le hall, les cavaliers avaient déjà mis pied à terre.
Ceux dont le visage ne lui disaient rien n'était certainement pas d'origine modeste. Leurs montures étaient des destriers jeunes et puissants, l'un blanc et l'autre noir. Leurs vêtements épais, de bonne facture et brodés, démontraient leur richesse. Ils possédaient chacun une épée dans un fourreau décoré de pierres ambrés qui reflétaient l'éclat du soleil.
Le plus grand des deux semblait être un soldat aguerri. Aymeric le devina à cause de son attitude humble mais sur le qui-vive. Sa main gantée demeurait non loin de la garde de son épée et ses yeux bleu comme un ciel sans nuage observaient attentivement son environnement. Ses cheveux platine étaient relevés et attachés par un ruban blanc. Pas une mèche ne s'en échappait. Pour un homme il possédait des traits fins en dépit de sa gravité qui le vieillissait alors qu'il devait être âgé de seulement quelques années de plus qu'Aymeric.
Son regard acéré se posa sur le chevalier dragon qui sentit un frisson lui remonter l'échine. Il se retint de porter la main à son épée. Cet homme était définitivement un guerrier et un bon pour éveiller ainsi sa soif de combat.
Le second était moins menaçant mais dégageait une aura autoritaire qui signalait qu'il était celui des deux qui commandait. Il devait avoir à peine une trentaine d'années et n'était pas de grande taille. Cependant son visage aux traits réguliers et harmonieux lui conférait une beauté noble, renforcée par sa posture droite et fière. Ses cheveux châtains clairs coupés courts et lisses étaient légèrement coiffés vers l'arrière, preuve qu'il prenait soin de donner une image de lui sérieuse mais pas stricte. Tandis qu'Aymeric le détaillait ce dernier se livra de son côté à un examen rapide, le jugeant avec un air neutre au fond de ses yeux bruns, la bouche plissée dans une moue attentive.
Son inspection achevée il fit quelques pas vers le chevalier dragon et le salua d'un signe de la tête. Aymeric lui rendit la pareille en attendant qu'il décline son identité mais l'homme n'en fit rien, pas plus que celui qui l'accompagnait. Alors que la tension s'installait imperceptiblement, Alaman intervint. Il sauta de cheval et vint se placer aux côtés d'Aymeric en passant un bras autour de ses épaules.
- Salut, je t'ai manqué ?
- Tu as pris ton temps, répondit Aymeric d'un ton plus froid qu'il ne l'aurait voulu.
Son ami ne perdit pas le sourire et sa jumelle les rejoignit et déclara en désignant les deux inconnus :
- Pardonne-nous, nous avons été réincarnés à Talenza et nous sommes restés quelques temps aux côtés du roi.
- Pour quelle raison ? l'interrogea Aymeric en faisant de son mieux pour gommer l'animosité de sa voix.
- La fin des temps, déclara fermement l'homme aux cheveux châtains. Comme vous ne semblez pas décidé à le faire, laissez-moi commencer : je suis le souverain de Talenza, Lothaire de Talenza. L'homme qui m'accompagne est le général de mon armée d'élite : Orion Nimbe. Nous avons besoin de voir le roi.
Aymeric haussa un sourcil, à la fois dubitatif et agacé. Pour qui se prenait-il en adoptant ce ton hautain ? Encore un à qui le pouvoir était monté à la tête ! Ce n'était pas étonnant : il avait hérité de la couronne très tôt, suite à la mort de son père suite à une une malheureuse chute de cheval. Le souverain de Talenza croisa les bras, visiblement contrarié qu'Aymeric ne daigne pas répondre. Ravalant son ressentiment, le chevalier dragons'inclina raidement et déclara :
- Je suis Aymeric Clarence, chevalier dragon de sa majesté d'Alembras. Notre monarque ne séjourne pas ici mais à Ondre.
Le roi de Talenza pinça les lèvres puis dit :
- Nous avons pourtant convenu de nous retrouver ici dans la dernière lettre que nous avons échangé. Peu importe. Je vais l'attendre.
Avant qu'Aymeric puisse répondre, le souverain attrapa la bride de son cheval et le tira vers les écuries, suivi de près par son général. Était-ce une plaisanterie ? Cet homme pensait-il que le château des gardes était sa demeure ?
Une fois sa monture entre de bonnes mains, le régent de Talenza revint d'un pas ferme, son général sur les talons. Il s'arrêta face à Aymeric qui le dominait largement par sa taille et demanda :
- Avez-vous des chambres dans lesquelles nous pourrions nous reposer?
Le jeune homme ravala une remarque mordante et invita les nouveaux venus à le suivre d'un geste de la main. Dans le hall, le reste des chevaliers dragons attendaient et se précipitèrent vers Alaman et Firenza pour les accueillir. Aymeric ne participa pas aux réjouissances. Il guida le roi et son garde du corps vers l'étage réservé aux invités. Il désigna deux portes et lâcha :
- Voici vos appartements.
- Merci pour votre...hospitalité, répondit le roi.
Aymeric se courba de nouveau face à eux et fit vivement demi-tour, peu désireux de rester en compagnie des deux représentants deTalenza. Il retourna auprès de ses amis et Alaman plaisanta en le voyant arriver avec son expression renfrognée :
- Tu ne les as pas tué dans notre dos au moins ?
- Je n'oserais jamais. Seulement en pensée, avoua Aymeric.
Lysange lui donna un petit coup sur le torse et le rabroua gentiment :
- Montre-toi diplomatique et laisse ta rancœur de côté.
Il hocha la tête en retenant un soupir. Il n'avait pas le choix. Secrètement, il espérait que le roi arriverait rapidement pour le débarrasser de ses deux invités indésirables au plus vite. Plutôt que de penser au roi de Talenza et à sa politique militaire discutable, il préféra profiter de la présence de ses amis.
Leur unité était à nouveau complète, pour de bon. La mort n'avait affecté en rien le caractère joyeux et taquin d'Alaman ou le sérieux doux de Firenza. Ils parlèrent longuement et même si le duo savait de quoi le souverain de Talenza voulait s'entretenir avec celui d'Alembras, ils ne révélèrent rien au reste du groupe. Leur visage se ferma dès qu'ils abordaient le sujet.
Alors qu'Alaman racontait combien les femmes de Talenza étaient charmantes avec leur peau doré par le soleil, il fut tiré vers l'arrière et une main ébouriffa ses cheveux soigneusement tressés, délogeant quelques mèches rousses.
- Alors comme ça on revient et on ne prend pas la peine de venir voir cette vieille Venerika ?
Le rouquin éclata de rire sans chercher à sa dégager, ravi de retrouver son ancienne mentore.
- Je savais que tu finirais par me trouver ! dit-il. C'est plus rapide que de parcourir tout le palais à ta recherche !
- Petit fainéant ! Tu ne changeras donc jamais ?
- Pourquoi vouloir changer la perfection ? demanda t-il avec un sourire rayonnant.
Venerika leva les yeux au ciel, aussi excédée qu'amusée et lui donna un petit coup au sommet du crâne. Les plus âgés des chevaliers dragons les rejoignirent petit à petit ainsi que certains membres des autres gardes, principalement des jeunes femmes qui faisaient de l'œil à Alaman. Alors que toute cette foule bavardait joyeusement, une silhouette se découpa sur le seuil du hall et une voix forte résonna dans la large salle :
- Vous vous amusez sans moi ?
Aussitôt la petite assemblée se tourna face à l'arrivant et s'inclina comme un seul homme avec respect. Le roi Alaric leur fit signe de se relever. A sa suite venait Roland et Welson. Il retira sa cape de voyage en poussant un soupir soulagé avant de demander :
- Personne n'a une bière bien fraîche à nous proposer ?
Immédiatement les gardes s'activèrent pour rendre l'arrivée du roi et de son escorte confortable. Pendant que les trois arrivants se détendaient autour d'une boisson dans la salle de banquet, le souverain de Talenza entra dans la salle d'un pas altier, toujours avec son général dans son ombre.
Il avait troqué sa tenue de voyage contre un habit plus voyant et majestueux, riche en broderies. Il salua le monarque d'Alembras qui sirotait tranquillement son verre et déclara de but en blanc :
- Alaric, nous devons parl...
Le roi le coupa d'un geste de la main.
- Vous ne désirez pas vous installer un instant ? Voulez-vous boire quelque chose ?
Le régent de Talenza sembla perplexe puis reprit contenance après un froncement de sourcil.
- Comme je l'ai dit dans ma lettre, la situation est critique et il faut que nous...
- Pas d'inquiétude, je suis venu jusqu'ici pour vous écouter. Mais pour le moment, prenons le temps de nous reposer.
Voyant qu'il était incapable de presser le roi, celui de Talenza s'assit gracieusement face à son aîné, le général Orion à deux pas derrière lui. Aymeric, qui était justement dans la salle pour annoncer au roi que des invités désiraient s'entretenir avec lui, sourit moqueusement en son for intérieur.
Le roi d'Alembras n'était pas quelqu'un qui aimait agir dans l'urgence ou se laisser presser par autrui. Des deux têtes couronnées dans cette pièce il était celui qui menait la danse, à cause de son âge et de son expérience.
Le chevalier dragon les laissa. Avant de partir, son regard croisa celui du général Talenzien. Ses envies guerrières remuèrent à nouveau au fond de son être et il s'empressa de quitter la pièce. Le soir-même, après le banquet, le roi Alaric fit appeler les chevaliers dragons dans la salle des réunions. Le souverain de Talenza était là aussi, plus grave que jamais. Quand Aerine et Ourania aperçurent le général, elles marquèrent un temps d'arrêt, songeuses.
- Qu'est-ce qui ne va pas ? demanda Lysange.
- Rien. Juste une drôle d'impression, répondit sa sœur.
- Pareillement, ajouta Aerine sans quitter le soldat talenzien du regard.
Ils s'installèrent comme ils purent à cause du manque de chaises, la salle étant prévue pour accueillir seulement les commandants des dix factions de l'armée et le roi. Par politesse, les hommes laissèrent les femmes s'asseoir. Venerika refusa le siège que Gordon tirait pour elle et le força à s'y installer. Il obtempéra pour ne pas se faire remarquer et éviter de contrarier la chevalière qui laissa ses mains sur ses épaules larges.
Sur la table, des plaques de fer étaient empilées les unes sur les autres, des dimensions d'une feuille de papier ordinaire et percées sur le côté gauche par des anneaux métalliques afin de les maintenir ensemble.
- C'est un livre de fer, comprit Hydronoé, posté à droite d'Aymeric.
Comme ils attendaient tous en silence, le roi de Talenza prit la parole en posant une main sur le drôle d'ouvrage de métal.
- Merci à tous d'être présents. Suite à ce que vous allez entendre, je vous demanderais de conserver ces informations pour vous et de ne pas les divulguer sans mon accord. C'est extrêmement important.
Aymeric fit la grimace. Le roi les prenaient-ils pour des commères ? Comme leur absence de réponse était éloquente, il continua comme si de rien n'était en désignant les tablettes du menton :
- Ceci est un ouvrage qui est vieux de plusieurs siècles. Il nous vient de l'extrême nord du continent. Il a été ramené à Talenza suite à une expédition ancienne qui avait pour but de cartographier le monde connu et de chercher des territoires inhabités où établir des colonies. Un seul survivant en est revenu avec ceci. Ce livre est en langue primordiale et contient des informations indispensables pour sauver notre monde.
Il ménagea une pause durant laquelle tous commencèrent à chuchoter entre eux, les yeux rivés sur les plaques qui luisaient à la lumière des bougies et des lampes à huile. Aymeric lui-même ne put s'empêcher de les observer avec convoitise.
Les documents en langue primordiale étaient rares, pour ne pas dire inexistants. Sans parler du fait que cette langue était morte depuis longtemps et que ceux capables de la déchiffrer se comptaient sur les doigts d'une main.
Les seuls à ne pas s'émerveiller ou se questionner sur ce trésor étaient le roi Alaric, Alaman et Firenza. Le souverain de Talenza les laissa se calmer avant de poursuivre :
- Jusqu'à récemment, comme vous pouvez vous en douter, il était impossible pour nous de traduire les inscriptions gravées sur ses tablettes. Puis, comme un signe des dieux, vos compagnons se sont réincarnés chez moi et ont apporté leur aide durant leur séjour pour traduire ce que vous voyez ici. Ce que nous avons découvert dépasse toutes nos attentes, dans le mauvais sens du terme. Il est écrit sur ses tablettes que la fin de notre monde approche.
Il se tut et un silence de mort s'abattit sur la salle. Cette fois personne n'échangea la moindre parole avec son voisin. Le visage grave et sous tension, ils attendaient des explications. Le régent de Talenza ouvrit le livre de métal à la première page et demanda:
- Alaman, est-ce que vous pouvez assurer la traduction de ce passage pour moi s'il vous plaît ?
Un sourire se dessina sur les lèvres du rouquin qui obéit sans dissimuler sa fierté. Il avait raconté à Aymeric, après son retour des terres du nord, qu'il était capable de déchiffrer la langue primordiale aussi simplement que s'il s'agissait de sa langue maternelle. Le jeune homme avait hâte de l'entendre lire, lui qui n'y était jamais parvenu auparavant. Alaman s'éclaircit la voix et déclama d'un ton solennel :
- Voici la parole de Libraca entendue au cœur du sanctuaire et qui annonce des jours sombres à notre engeance lointaine. Du plus haut des cieux, le jour et la nuit se succèdent et le temps qui passe efface les malheurs et les temps obscurs de la mémoire des Hommes. Dans deux fois mille ans, voici que ce qui vient d'être achevé recommencera. Il y aura trois Jours et trois Nuits. La première Nuit, les contrariétés de Noximence s'éveilleront et grouilleront sur la terre, supprimant les peuples pour accroître le leur et transformant la vie en landes désolées. Puis le premier Jour viendra et la mort sera chassée de son royaume par la recrudescence de la vie qui fera de cette place abandonnée sa demeure. La seconde Nuit, le mal prendra sa revanche. La terre sera blessée et gémira, remplacée des montagnes de cadavres. Au deuxième Jour, la lumière vengera la perte des innocents et enverra ses treize espoirs auprès des Hommes pour les soutenir face aux désastres et lutter contre l'inévitable. La troisième Nuit, les miasmes grouilleront par la terre, l'eau et l'air. D'une main glaciale, ils videront les villages et les villes de leur souffle. Les vivants tomberont sous le poids des morts. Le troisième et dernier Jour, le dieu endormi désirera s'éveiller et appellera à lui son frère car ensemble ils assureront le salut de tous par l'offrande de leur cœur au sein du conflit entre anciens et nouveaux chaos. Avant lui, deux viendront au monde, unis par le sang, et deux s'uniront à eux, par l'esprit. Ils seront comme le soleil et la lune qui courent l'un après l'autre sans pouvoir se rattraper et si l'un sera reconnu par tous, l'autre demeurera dans l'ombre. Les sentiments noirs embraseront le cœur du plus sombre tandis que la lumière vacillera sous les coups des sots. A l'aube de l'âge de sagesse et au crépuscule de celui de l'innocence, ils se joindront. Par l'appel des plus anciens dont l'approche perturbera le monde, le combat s'engagera. De là il n'y aura que deux issues : la survie ou la mort.
Alaman s'arrêta là, laissant chacun perdu dans ses pensées et ses réflexions. Bien qu'il ait lu quasiment l'intégralité de la bibliothèque du château des gardes, Aymeric ne comprenait rien à ses formulations anciennes. Il n'était pas le seul car Venerika déclara :
- Alaman je ne veux surtout pas te froisser mais...tu es certain que ce que tu viens de lire est correct ?
- Plus que sûr, affirma le jeune homme sans se démonter. Si tu n'as pas confiance en moi alors crois le roi Lothaire qui a un parchemin avec une traduction en ancien talenzien qui reprend dans les grandes lignes ce que je viens de dire. Il n'y a pas d'erreur possible de ma part : je lis la langue primordiale comme si je la connaissais depuis toujours.
- Et que veux dire ce charabia ? s'enquit Gordon en posant les coudes sur la table.
- Là est toute la question, répondit le souverain de Talenza. Nous ne savons pas exactement. La suite des plaques explicitent ce texte avec des paragraphes complémentaires ou des dessins mais c'est tout aussi peu clair et nous ne comprenons pas le détail. Certains passages ont subi les outrages du temps et sont presque illisibles. Mes érudits se sont penchés dessus pour essayer de l'interpréter et ils en ont tiré la conclusion que notre continent va subir bientôt, mais nous pensons que tout a déjà débuté, trois grandes catastrophes et trois grands miracles qui sont énoncés dans ses lignes sous le nom des nuits et des jours. Selon eux l'une d'entre elle, la première catastrophe, était l'invasion des démons du désert que vous avez heureusement avorté grâce à votre vigilance. C'est d'ailleurs à cause de votre avertissement que j'ai ressorti cet ouvrage et sa traduction des archives. Malheureusement, nous ne savions plus si ce qui était dit en ancien Talenzien allait de paire avec le texte original. C'est là que votre ami Alaman intervient. Il a lu ces tablettes naturellement sans avoir jeté un œil à la traduction avant et tout concordait. Sachant désormais ce qui nous attend, je viens demander l'aide d'Alembras pour limiter les dégâts qui vont se produire.
- Quand ? l'interrogea Thaha.
- Nous l'ignorons, dit honnêtement le roi Lothaire. Des jours, des mois, des années ou au contraire dans l'heure, la seconde suivante...Impossible de le savoir. Les textes ne disent rien sur la fréquence des catastrophes et des miracles.
- Donc nous allons attendre les bras croisés sans savoir ce qui va nous arriver ou comment l'empêcher ? intervint Mirzal. A quoi bon connaître le futur si cela ne nous avance pas plus que de rester dans le flou ?
Certains chevaliers dragons approuvèrent et le roi Alaric se leva en leur faisant signe de s'apaiser. Il déclara d'un ton confiant :
- L'avenir est moins pessimiste que ce que vous croyez. Savoir qu'il existe une menace nous rendra plus vigilant et plus aptes à réagir : nous ne serons pas pris de court. Comme l'a fait remarqué le roi Lothaire, nous avons réussi à repousser l'invasion des démons du désert. Cela qui prouve que nous sommes en mesure d'agir, de nous défendre. Une catastrophe a déjà été évitée, le prochain événement sera donc un miracle. En attendant qu'il se produise, nous pouvons allier nos forces à celles de Talenza et travailler ensemble pour déchiffrer le sens caché des tablettes.
Ils hochèrent tous la tête et même si l'idée de devoir aider le souverain de Talenza rebutait Aymeric, il rangea sa mauvaise opinion du personnage de côté. Il s'agissait avant tout de la sécurité d'Amaris et de ses habitants, qu'il s'était engagé à protéger entant que chevalier dragon.
- Puis-je effectuer une copie du texte ? demanda Thaha. Ainsi je pourrais l'étudier dans le calme sans avoir à vous voler votre exemplaire.
Le monarque talenzien accepta et lui tendit les plaques de fer sans la moindre hésitation. La dragonne les attrapa avec précaution et les admira comme s'il s'agissait d'un collier de pierres précieuses. Elle remercia le roi pour sa confiance en s'inclinant. Celui-ci dit :
- Je vous laisse jusqu'à mon départ pour le recopier. Je ne vais pas m'attarder ici, mon royaume a besoin de moi. Soyez rapide.

Chevalier dragon : Tome 3 : Le crépuscule du mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant