Le prince essaya de conserver une allure noble mais sa tête et ses mains tremblèrent alors qu'il expliqua :
- Nous ne savons pas exactement. Nous dînions en compagnie du roi et...Tout s'est passé si vite ! Un homme a fait irruption dans la salle avec un poignard. Il avait le regard complètement fou. Il s'est jeté sur mon père avant que les gardes puissent l'arrêter mais Lisbeth s'est interposé et la lame...la lame s'est planté dans son cœur ! Elle est morte sur le coup et quand il l'a retiré il y avait...il y avait tant de sang. Alors Brazidas a hurlé comme s'il avait ressenti sa souffrance puis il a précipitamment quitté le palais. Je l'ai fait chercher en ville et dans la campagne environnante, il n'y a aucune trace de lui !
Le prince semblait sur le point de défaillir. De toute évidence, il n'avait pas l'habitude de voir du sang ou des morts.
- Et l'homme qui a attaqué ? l'interrogea Aymeric en essayant de masquer son choc.
- Il a retourné la lame contre lui juste après. Il avait l'air si...fou mais pas seulement. Quelque chose l'effrayait. Nous avons découvert en examinant son corps qu'il était sans doute torturé depuis de longs mois. Il avait des centaines de cicatrices dont certaines encore très récentes. Nous pensons qu'il a été contraint à agir ainsi. En revanche nous ne connaissons pas son identité. Il n'est pas d'Hangaï, c'est tout ce que nous sommes en mesure de dire.
- Cette affaire n'a aucun sens, murmura Aymeric.
- Peut-être que si...murmura le prince. Il y a quelques semaines de cela, mon père est parvenu à débusquer l'un des repaires de la ligue des assassins au cœur même de la capitale. Il a décapité le chef de ce lieu lui-même, lors d'une cérémonie publique. Je pense qu'il s'agit de représailles...
Encore la ligue des assassins....Ces derniers temps Aymeric en entendait beaucoup trop parler. Le chevalier dragon remercia le prince et retourna auprès de ses compagnons qui attendaient les nouvelles. Il n'avait pas fini d'annoncer la mort de la princesse et de son jumeau qu'Alaman et Firenza repartaient déjà en direction d'Alembras. Alya, qui était descendue pour admirer l'architecture d'Hangaï, protesta :
- Ils s'en vont sans nous !
- C'est naturel : Alaman a un rendez-vous galant urgent, se moqua Gébald.
Ourania lui donna un coup d'aile.
- Ne te moque pas, grogna t-elle. Ce qui se passe est sérieux.
- Ourania a raison, confirma Aymeric. Nous allons prendre une journée de repos et rentrer aussi vite que possible. Notre mission touche à son terme mais nous ne devons pas oublier que le continent risque d'avoir besoin de nous à nouveau très bientôt.
La mort de Lisbeth doucha leur contentement face à l'achèvement du recensement des treize espoirs. Sur le trajet du retour, Aymeric ne ménagea pas les dragons. Ils volèrent plus rapidement que d'ordinaire et dormirent moins longtemps. Il s'en voulait un peu de les presser autant mais il ressentait le besoin de regagner le château des gardes au plus vite pour vérifier l'état de santé de Lisbeth et Brazidas suite à leur réincarnation.
Quand ils atteignirent leur destination, Hydronoé et Gébald étaient si épuisés qu'Alya et Ourania les aidèrent à regagner leur chambre. Pendant que le reste des chevaliers dragons se reposait enfin suite à ce voyage au rythme infernal, Aymeric écrivit un rapport détaillé au roi d'Alembras puis trompa l'ennui en s'exerçant à l'épée dans la salle d'arme. Il n'avait pas sommeil malgré les privations, bien au contraire.
Après quatre jours à s'entraîner avec presque la moitié de leur effectif en moins, Lisbeth, Brazidas, Alaman et Firenza refirent surface. La princesse et son frère se portaient comme des charmes en dépit de leur mort. Ils évitèrent d'aborder le sujet et Aymeric ne les força pas à en parler, rassuré qu'ils soient sur pieds et prêts à reprendre du service. En voyant Lisbeth, Alya, qui résidait temporairement au château des gardes, s'écria :
- Mais tu es la femme d'Alaman !
Le commentaire fit rougir Alaman comme Lisbeth et ils dirent en chœur :
- C'est faux !
- Plus pour longtemps, marmonna Alya au reste du groupe avec un sourire en coin.
- Les lois du nord ne s'appliquent pas à Alembras, se défendit Lisbeth.
- Tout à fait : elles ne font pas autorité ici, l'appuya Alaman.
Les observer se chamailler comme des enfants réchauffa un peu le cœur angoissé d'Aymeric. Le problème de Lisbeth et Brazidas étant réglé, il ne s'inquiétait pas tant à cause de la troisième nuit mais de sa transformation.
Comme si son corps avait perçu ses peurs, il se réveilla le lendemain du retour du quatuor avec une douleur insupportable au crâne. Il porta la main à son front et effleura à gauche un bout dur et pointu. Il s'empressa de quitter le lit, tirant Lysange de son sommeil.
- Aymeric ? appela t-elle d'une voix ensommeillée. Où est-ce que tu vas ?
- Ce n'est rien. Je reviens vite, murmura t-il en se ruant vers la salle de bain.
Dans le grand miroir à côté de la baignoire en bois, il constata que ce qu'il craignait se réalisait. Ses cornes poussaient. Elles étaient déjà visibles à travers ses mèches noires, impossible de les camoufler. L'heure était venue de faire tomber les masques. Il inspira profondément et pria sa mère de lui donner un peu de courage. Il retira ses gants et leva sa main garnie de griffes noires pour l'observer sous tous les angles. Comment allaient-ils réagir ?
Il chassa son souci avant qu'il se transforme en peur et le paralyse. Il regagna sa chambre d'un pas plus pesant et Lysange demanda alors qu'il était dans le couloir :
- Tout va bien chéri ?
- J'ai quelque chose à te montrer, lui dit-il avant d'entrer. Quelque chose que tu devrais savoir depuis longtemps.
Il se fit violence pour pénétrer dans la chambre à coucher et s'offrir à son regard. D'abord elle ne remarqua pas les changements. Puis le choc écarquilla ses yeux quand elle vit les griffes et les cornes.
- Que t'arrive t-il ? murmura t-elle après un long silence.
- Je me transforme en dragon, à cause de la guerre qui approche...Il n'y a pas que des avantages à être le fils de Praeslia...
Elle quitta le lit pour venir à sa hauteur et toucha ses cornes du bout des doigts, puis ses mains, comme pour s'assurer que c'était bien réel.
- Tu n'avais pas de maladie de peau.
- Oui.
- Tu as menti.
- Pardonne-moi...
Elle plongea ses yeux bleus dans les siens. Aucune trace de colère ne miroitait dans ses iris clairs. Elle l'embrassa sur la joue avant d'enfouir sa tête contre son torse. Ses bras entourèrent la taille d'Aymeric qui profita de cette étreinte avec soulagement. Il avait été bête. Lysange était Lysange. Comment avait-il pu douter d'elle et penser qu'elle pourrait le rejeter, elle qui clamait la paix et l'acceptation de l'autre en dépit des différences ?
- Je t'aime, lui susurra t-il.
Elle l'embrassa tendrement en guise de réponse et ils passèrent le reste de la matinée au lit à se chuchoter des mots doux, blottis l'un contre l'autre. Ils auraient pu continuer longtemps si Alaman n'avait pas hurlé depuis l'extérieur :
- Aymeric ! Lysange ! Vous êtes morts ? On a entraînement je vous rappelle !
Aymeric se redressa en se rappelant qu'il avait totalement négligé les exercices avc sa garde au profit de son étreinte romantique avec sa compagne. Ils s'embrassèrent, se rhabillèrent en vitesse et ouvrirent à Alaman qui n'était pas le seul derrière la porte. Tous les chevaliers dragons de leur génération l'accompagnaient, plus ou moins soucieux. Seuls Hydronoé et Ourania étaient absents, sans aucun doute avertis des activités de leurs jumeaux grâce au lien. Au début, ses compagnons ne remarquèrent rien. C'est Zacharie qui avisa ses cornes le premier. Il murmura :
- Ça s'est donc répandu à ce point...
Les autres suivirent son regard et poussèrent des cris de surprise accompagnés d'un ou deux jurons.
- Entrez, leur dit Aymeric. J'ai des choses à vous dire.
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Chevalier dragon : Tome 3 : Le crépuscule du monde
FantasyDe retour de mission, Aymeric et ses compagnons n'ont pas le droit au repos. Ils partent seconder leurs aînés à Ronto, où un mal mystérieux plongent les dragons dans une rage profonde. L'arrivée soudaine du roi de Talenza et les nouvelles inquiétant...