Chapitre 12 : Transformations

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Appuyé contre son bureau, il ferma les yeux et implora sa mère devenir en insistant sur l'urgence de la situation. Il sut qu'elle était dans la même pièce quand la flamme de la bougie flancha. Il se retourna et la trouva debout au centre de sa chambre.
Elle portait une cape rouge sang par-dessus une tunique de cuir noir. Une ceinture garnie de dagues pendait à sa taille, un carquois rempli de flèches dépassait de derrière son épaule et elle avait un arc en bois sombre dans la main. Elle posa son arme contre le lit d'Aymeric avant de s'approcher pour l'étreindre. Il avait beau ne pas la connaître, ce contact l'apaisa un peu.
- Je me demandais quand tu ferrais appel à moi, dit-elle. Montre-moi.
Elle lui saisit les mains avec une délicatesse surprenante et observa ses ongles en pinçant les lèvres. Ses yeux scrutateurs remontèrent jusqu'aux cheveux de son fils et elle demanda avec suspicion :
- Est-ce que tu les teins ?
- Oui.
- A quel point sont-ils rouges ?
- L'avant l'est presque intégralement. Il n'y a que l'arrière qui n'est pas touché.
En prononçant ses mots, il se rendit compte que la chevelure de Praeslia était semblable à la sienne, ce qui renforça sa première hypothèse. Il lui montra aussi ses dents et Praeslia émit un claquement de langue mécontent.
- Ça progresse plus vite que je l'imaginais, murmura t-elle.
- Qu'est-ce qui m'arrive ? osa demander Aymeric.
- Tu te transformes en dragon.
Même s'il s'attendait à cette réponse et se pensait prêt à la recevoir, le choc fut rude. Il aurait préféré se tromper.
- Pourquoi maintenant ? s'enquit-il en gardant son calme.
- A cause des temps de troubles qui approchent. Une grande guerre se prépare et le sang que tu as hérité de moi se réveille et réagit à l'appel du combat. Ta part dragon devient plus forte que ta part humaine.
- Est-ce qu'elle peut prendre le dessus ? l'interrogea t-il en réprimant un tressaillement. Éliminer mon aspect humain et me rendre complètement...dragon ?
- Non. C'est impossible. Tu es un demi-dieu. Jusqu'à récemment, ton côté dragon était assoupi. La guerre va le réveiller et le renforcer, à tel point que tu deviendras physiquement semblable à un dragon lié à un humain par le sang mais jamais tu ne changeras en dragon pour le restant de tes jours.
Cette nouvelle rassura un peu Aymeric. Non pas qu'il n'appréciait pas les dragons mais passer sa vie sous la forme d'un énorme reptile ailé n'aurait pas eu que des avantages.
- Dans combien de temps serais-je pleinement transformé ?
- Difficile à dire. Tout dépendra de la fréquence des Jours et des Nuits précédant le chaos.
Il s'étonna à peine qu'elle soit au courant de l'histoire des tablettes mais en profita pour la questionner :
- Que sais-tu là-dessus ?
- Rien de plus que ce que Libraca a confié aux mortels. J'ai vécu le premier chaos. Nous avons bien failli disparaître. Si les humains ne nous avaient pas épaulé, ce présent n'existerait pas.
- Que s'est-il passé ?
- Tu dois connaître le mythe des premiers Hommes. Sache que ce mythes'inspire du premier chaos mais que certains éléments ne sont pas exacts. Le passage du temps a modifié la réalité, comme pour la plupart des légendes. La vérité n'est pas que Noximence détestait les humains, pas plus que Phosphoméra ne les adorait. Ils les considéraient d'un œil indifférent jusqu'au jour où ils s'unirent et où ma mère engendra deux œufs, deux futures divinités. Elle les plaça sur la terre, comme nous le faisons tous. Les œufs croisèrent le chemin d'un vieil homme qui les offrit en guise de cadeau de mariage à son fils. Peu de temps après, la femme de ce fils donna le jour à des jumeaux et ces deux enfants, par accident sans doute, se lièrent avec les deux œufs par le sang. Deux dragons naquirent : un aussi lumineux que Phosphoméra et un aussi sombre que Noximence. On peut dire qu'il s'agissait là des premiers chevaliers dragons, dans un sens. Malheureusement, au fil des années, les jumeaux commencèrent à se battre de plus en plus fréquemment et celui avec le cœur le plus obscur, lié au dragon noir, décida de faire la guerre aux dieux. Son jumeau décida de s'opposer à lui avec l'aide de son frère dragon. Voir leurs enfants se battre était insupportable pour Noximence et Phosphoméra qui se joignirent à la bataille pour tenter de les séparer et les protéger à la fois. La puissance du combat ravagea la terre et tua de nombreux Hommes. C'est à ce moment-là que nous sommes intervenus. Tu connais la suite. Mais un élément a été effacé à la toute fin : les enfants si semblables aux démiurges et leurs jumeaux humains sont morts. Ils avaient une particularité vois-tu : ils ne possédaient pas de cœur comme ceux des dieux ou des dragons lié à un humain. Ils mourraient si on les tuait, comme n'importe quel dragon ou humain ordinaire. Pas de réincarnation pour eux, aucune chance de retour. Nous avons sauvé ces terres de justesse en sacrifiant quatre vies pour préserver les survivants de cette catastrophe. Phosphoméra et Noximence étaient si tristes de nous voir pleurer la mort de nos créations et d'avoir perdu deux nouveaux-nés qu'ils nous aidèrent à forger une nouvelle race d'Hommes. Cela apaisa leur peine et ils leur prêtèrent attention de nombreux siècles sans penser à concevoir d'autres dieux. Jusqu'à aujourd'hui. Tout recommence, comme à l'époque. Et cette guerre t'appelle, elle éveille en toi ce qu'il y a de divin.
- Génial, j'avais bien besoin de ça, soupira le jeune homme.
- Je suppose que tu comptes le cacher encore jusqu'à ce que ta transformation soit impossible à dissimuler ?
Aymeric acquiesça, un peu surpris que sa mère le connaisse aussi bien. Il allait garder le silence, pour n'affoler personne et surtout pas Lysange. Il ne doutait pas que ses amis seraient étonnés mais accepteraient tout à fait sa nouvelle apparence mais qu'en serait-il du reste des gardes ? Et puis ne risquait-il pas de causer la panique en révélant qu'il se métamorphosait parce que la guerre était à leur porte ? Ils avaient besoin de conserver le moral. Pour le moment il ferait donc profil bas, quitte à paraître bizarre auprès de ses compagnons d'armes.
- Garde courage mon fils. Si vous demeurez solidaires, vous vaincrez.
- Merci...d'être venue et de m'avoir parlé...
- C'est naturel. On ne fait pas souvent appel à moi ces derniers temps, même si la situation risque d'évoluer sous peu. N'ai pas peur de ce changement Aymeric. Il va te rendre plus fort que tu le crois.
Elle pressa tendrement l'épaule d'Aymeric avec un sourire apaisant qui calma pour un temps les craintes du chevalier dragon. L'instant d'après elle avait disparu, comme si elle n'avait jamais été là.
Il fit donc comme convenu et cacha toutes les petites transformations qui survenaient chez lui avec succès. Pour oublier à quel point son monde vacillait il se rattacha aux deux seules choses encore stables : sa garde et sa future maison.
En prévision des troubles à venir, il s'entraînait souvent avec ses compagnons mais aussi avec les autres divisions du château. Il apprit à travailler avec les divers corps de l'armée d'Alembras. C'était la volonté du roi, afin de commencer à les unifier.
Après l'entraînement, il allait toujours sur le chantier de sa demeure qui progressait de jour en jour. Pendant que les ouvriers œuvraient à l'intérieur pour poser les sols et faire l'escalier, il s'enfermait dans l'établi pour fabriquer des meubles. Hydronoé lui apportait souvent le bois nécessaire en transportant des troncs entiers sous sa forme de dragon. Alaman, très manuel, acceptait souvent de lui prêter main forte. Lysange n'était pas en reste et ils travaillaient souvent à deux dans la petite pièce déjà encombrée par le matériel, les meubles à moitié terminés et les copeaux de bois.
Chaque fois qu'il travaillait ici Aymeric songeait à Zolan et à son rêve de devenir ébéniste. Il avait l'impression de le sentir penché au-dessus de lui quand il ponçait un meuble ou taillait une pièce dans le bois.
Il vécut de cette façon, entre les entraînements et les travaux, jusqu'au printemps. Un après-midi, alors qu'il rentrait tout juste au château et satisfait d'avoir fini une chaise, il croisa la route de Zacharie qui lui tendit une lettre :
- De la part du roi d'Ondre, dit-il. Ça devrait te plaire.
Aymeric prit la missive et la lu avec un air songeur :

Chevalier dragon : Tome 3 : Le crépuscule du mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant