Le visage du souverain passa par toutes les couleurs. Il ouvrit et ferma la bouche comme un poisson hors de l'eau puis se précipita sur le malheureux serviteur. Il l'attrapa par le col et le secoua comme un prunier en criant :
- Où est-elle ?! Où est-elle ?!
- Dans ses appartements mon seigneur ! répondit le brave homme.
Le roi le relâcha et s'en alla en coup de vent. Aymeric ne le suivit pas et regagna sa propre chambre en souhaitant que tout se passe bien pour la reine. Autour de lui, le château entier était en effervescence. Les serviteurs allaient et venaient dans le chaos le plus total. La plupart du temps ils ne transportaient rien et se contentaient de parler avec animation. Le bruit qu'ils faisaient réveilla Hydronoé qui sortit de sa chambre en se frottant les yeux.
- Qu'est-ce qui se passe ? marmonna t-il.
- La reine accouche, répondit Aymeric.
Son frère sourit et exprima tout haut le pensée que son jumeau avait eu un peu plus tôt :
- J'espère pour elle que tout va bien se passer.
Malheureusement, cela ne se fit pas selon leurs vœux. Alors que le chevalier dragon cherchait à se détendre en lisant un peu, on frappa des coups à en casser la porte. Orion entra avant qu'il ait le temps de fermer son livre. Le général, d'ordinaire si calme, semblait au bord de la crise de nerfs. Des mèches folles s'échappaient de ses cheveux tirés en queue de cheval et il transpirait à grosses gouttes, pâle comme un spectre.
- Nous...il faut un médecin !
- Celui du palais n'est pas là ?
- Si mais...Mais ça ne suffit pas ! La reine perd du sang, l'accouchement se présente mal ! Si on ne fait rien...Elle et l'enfant...Ils vont...Ils vont...
Aymeric abandonna son livre et se rua dans le couloir pour frapper à la porte de Zacharie. Son ami ouvrit, l'air étonné par l'acharnement qu'il avait manifesté en cognant contre la porte. Le demi-dieu ne lui laissa pas le temps de dire un mot et demanda :
- Tu pourrais sauver une femme et son bébé qui risquent la mort à cause d'un accouchement compliqué ?
- Je...Je ne suis pas médecin mais...Je peux essayer.
- Suis le général Orion et fais de ton mieux. Tu es le seul parmi nous à avoir les connaissances médicales nécessaires.
Zacharie prit son sac de remèdes avec lui et emboîta le pas au général. Cette fois Aymeric les accompagna. Ils gagnèrent les appartements de la reine au pas de course. Les cris de douleur qu'elle poussait étaient terrifiants. Sans attendre, Zacharie entra dans la chambre avec Orion. Aymeric attendit et faillit ne pas remarquer le roi, effondré sur un fauteuil et la tête entre les mains. Ses épaules se relevaient et s'abaissaient par saccades tandis que des soupirs étranglés s'échappaient d'entre ses lèvres. Il pleurait !
Aymeric s'agenouilla à ses côtés et murmura :
- Roi Lothaire, ça va aller. Elle va s'en sortir et...
- Cessez de vouloir me consoler ! s'écria le roi en posant ses yeux boursouflés sur lui. Rien ne va ! Ma femme est à l'agonie dans la pièce d'à côté ! Elle risque de mourir, elle et l'enfant qu'elle porte ! Gardez vos mots doucereux pour quelqu'un de plus naïf que moi...Dans l'état actuel des choses même les dieux ne peuvent rien...
- Vous avez essayer...de faire appel à eux ?
Le monarque ricana sombrement et murmura :
- La bonne blague. Ils se fichent bien de nous. Nous leur érigeons des temples, nous leur faisons des offrandes mais rien n'y fait ! Quand vient le moment d'agir ils se défilent ! Où étaient-ils pour sauver ma mère puis mon père ? Où étaient-ils quand Orion s'est retrouvé seul ? Où étaient-ils quand ma femme a été agressée, quand son visage a été brûlé alors qu'elle voulait simplement venir en aide à son prochain ? Les dieux ne sont jamais là. Ils font selon leur bon vouloir et nous ne sommes rien d'autres que des pantins avec lesquels ils jouent comme des enfants gâtés !
De rage, il se leva et commença à faire les cent pas. Il n'avait plus la foi. Je n'ai qu'à l'avoir pour lui, se dit Aymeric. Certes les dieux n'agissaient que très rarement mais le chevalier dragon savait qu'ils n'avaient pas des yeux partout et que certains drames devaient de produire pour la bonne marche du destin. Il espérait que la mort de la reine de Talenza et de son enfant n'en faisait pas partie. Il s'installa en tailleur et ferma les yeux. Le souverain railla :
- Comme si ça allait changer quoi que se soit...
Mais Aymeric ne l'écoutait déjà plus. Il pria la divinité qu'il portait le plus dans son cœur depuis l'enfance, celle qui lui avait donné la vie. Praeslia ne possédait aucun attribut lié à la guérison mais elle donnait le courage et la force de résister. Il la pria de transmettre cette force à la femme du roi, de lui permettre de survivre.
Je peux faire mieux, souffla la voix de la déesse dans son esprit.
Il eut un sursaut. Il ne s'attendait pas à ce qu'elle se manifeste directement dans sa tête ! Après une minute de silence, elle parla de nouveau :
J'ai adressé ta prière à Gaïara.
La déesse de la fertilité et des unions ? s'étonna mentalement Aymeric. Elle va nous aider ?
Ma sœur a grand cœur. Elle aime les humains et même si elle ne peut pas tous les sauver car la mort fait partie du cycle de vos vies, elle ne peut rester les bras croisés si une de ses descendantes souffre.
Attendez...La reine descend de Gaïara ?
D'une de ses filles pour être plus précise, il y a quelques générations de ça.
Alors pourquoi n'est-elle pas intervenue plus tôt ? s'offusqua le chevalier dragon.
Nous ne sommes pas omniscients. Nous prêtons une oreille attentive quand les humains murmurent notre nom et les guidons s'il le désire mais si personne n'attire notre attention, comment pouvons-nous savoir ? Si tu n'avais pas été là, cette femme serait morte en couche à cause de son mari trop borné.
Je comprends...Merci infiniment mère.
Non, merci à toi mon fils. Tu es généreux, tu tiens ça de ton père. Ne change jamais. Même Gaïara a été charmé par ton altruisme. Elle t'apprécie beaucoup et ce n'est pas étonnant qu'elle t'accorde quelques faveurs : elle m'a aidé à te mettre au monde à l'époque.
La voix de la déesse de la guerre s'éteignit dans son esprit et Aymeric revint à la réalité, un peu troublé. Le roi marchait toujours en long, en large et en travers. Un tressaillement nerveux l'agitait à chaque cri de douleur de son épouse. Ils attendirent dans un silence angoissé encore trois longues heures. Soudain, les pleurs d'un nourrisson succédèrent aux hurlements de souffrance de la mère. Le roi Lothaire se figea et tourna des yeux brillants d'espoir et de larmes vers les portes des appartements de sa reine. Elles s'ouvrirent et Orion se glissa vers l'extérieur, un large sourire plaqué sur son visage fatigué.
- C'est une fille mon roi ! Elle est en parfaite santé !
- Une fille...J'ai une fille ! S'écria le roi. Et ma femme ? Comment va t-elle ? Est-ce que je peux la voir ?
- Elle a perdu beaucoup de sang mais l'hémorragie a été arrêté ! Elle est faible mais avec du repos et les soins appropriés, elle vivra.
Le régent de Talenza manqua de défaillir de bonheur. Il se rattrapa à un mur et essuya du revers de la main les larmes qui coulaient sur ses joues. Aymeric se détendit lui aussi. Le régent demanda en reprenant son attitude habituelle :
- Est-ce que je peux la voir ?
- Très brièvement. Le médecin dit qu'elle a besoin de dormir et...
Zacharie l'interrompit en sortant à son tour et chuchota :
- Aymeric, la reine veut s'entretenir avec toi seul à seul.
Le général Orion et le roi Lothaire jetèrent un regard étonné au chevalier dragon qui se demandait lui aussi ce que pouvait lui vouloir la reine. Avant de se faire assassiner par le souverain de Talenza, il entra dans la chambre. Il se dirigea vers le grand lit à baldaquin dont les rideaux couleur sable étaient tirés. Seul un pan était relevé, dévoilant la reine assise dans son lit contre d'épais oreillers qui soutenaient son dos, pâle comme la mort.
Dans la pièce il ne restait qu'une vieille femme qui berçait le nouveau-né en pleurs et un homme qui rinçait ses mains rouges de sang. Sans doute le médecin. Aymeric s'installa au bord du lit et la reine sourit faiblement.
- Merci pour ce que vous avez fait, murmura t-elle.
- Quoi donc ?
- Ne jouez pas l'innocent. Je me sentais partir. Je n'avais plus de forces et je perdais tant de sang...Et soudain je l'ai vu. Gaïara. Savez-vous que je suis sa lointaine descendante ? J'ai même hérité d'une mineure partie de ses pouvoirs. Si je touche une blessure elle guérit plus rapidement et si j'appose les mains sur le ventre d'une femme qui accouche, le travail avance plus vite et moins douloureusement. Quelle ironie...Je devrais être morte avec ma fille mais elle est venue. Parce que vous avez prié pour moi.
- C'est elle qui vous l'a dit ?
La jeune femme hocha la tête avec une expression peinée.
- Cela peut paraître étonnant mais j'ai tourné le dos aux dieux il y a quelques années. Je n'ai pas songé une seule seconde à demander l'aide de Gaïara. Ça aurait été hypocrite. Pourtant elle est tout de même venue. Et elle m'a sauvé. Personne d'autre que moi dans la pièce n'a remarqué sa présence. Quand elle m'a touché, j'ai senti toute sa bonté et mes forces sont revenues. Je me sens un peu honteuse...
- Je doute que Gaïara soit rancunière. Si vous désirez vois faire pardonner alors brûlez des bougies pour elle ou remerciez-la dans vos prières. Elle sera heureuse même si ces petits gestes vous semble futiles.
La reine laissa échapper un léger rire, à peine sonore.
- On dirait que vous connaissez bien les dieux chevalier dragon, mieux que les prêtres qui officient dans les temples. Qui sont-ils pour vous ?
- Ce qu'ils sont pour vous : de la famille, en quelque sorte.
Elle ne sembla pas surprise. Alors qu'Aymeric voulait la laisser se reposer, elle le retint en agrippant faiblement à la manche de son manteau. Ses doigts tremblaient à cause de la fatigue mais ses prunelles brûlaient de détermination.
- Devenez l'un des protecteurs de ma fille. J'ai désigné Orion pour être le premier, soyez le second.
Le chevalier dragon connaissait cette tradition qui avait lieu à la naissance de l'enfant dans la plupart des royaumes d'Amaris. Les parents avaient le droit de choisir des protecteurs : trois au maximum, hommes comme femmes. Si ces derniers venaient à mourir avant que leur enfant ait atteint l'âge adulte alors les protecteurs le prenaient en charge et s'occupaient de l'élever. C'était une demande souvent adressée à des amis proches ou à la famille, pas à des inconnus ! Percevant sa réticence, la reine insista :
- C'est grâce à vous qu'elle vit. J'ai entendu Orion parler de vous à Lothaire. Si quelqu'un est digne de confiance, c'est vous. S'il vous plaît. Je sais que vous avez déjà fait beaucoup pour moi mais si vous devenez le protecteur de ma fille, j'en serais honorée...
Elle raffermit sa prise autour du pan de manche d'Aymeric. Le chevalier dragon se sentit attendri. C'était un peu bête mais il accepta. Le soulagement détendit les traits de la reine qui soupira en s'enfonçant dans les oreilles la soutenant.
- Me voilà rassurée, murmura t-elle. Je ne vous retiens pas plus longtemps, j'ai déjà suffisamment abusé de votre temps et Lothaire ne va pas tarder à enfoncer les portes pour me voir.
Il la laissa et le souverain de Talenza entra après lui en le gratifiant d'une œillade agacée. Orion se posta près de la porte comme pour monter la garde et Zacharie demanda à Aymeric :
- Que te voulais la reine ?
- Que je devienne le protecteur de sa fille. Et j'ai dit oui.
Le jeune homme originaire du désert sourit et déclara :
- C'est un miracle qu'elle ait survécu. Mes connaissances médicales ne m'ont servi à rien. Il faut croire qu'un dieu veillait sur elle.
C'était peu de le dire. En regagnant l'aile des invités, les deux chevaliers dragons entendirent la nouvelle de la naissance de la princesse se répandre dans le château comme une traînée de poudre. Le reste de leurs camarades erraient eux aussi hors de leurs chambres, intrigués par l'effervescence extérieure. Ils avisèrent Aymeric et Zacharie et se massèrent autour du duo.
- Qu'est-ce qui se passe ? les interrogea Gébald. Ils disent tous que la reine a accouché, c'est vrai ?
Son jumeau se chargea de raconter toute l'histoire au petit groupe. Ils se ravirent tous en apprenant la bonne nouvelle. Firenza et Lysange paraissaient encore plus attendries que les autres.
Ce soir-là, ils reçurent tous une invitation pour la présentation de la princesse au peuple et la fête organisée en son honneur. Aymeric aurait aimé refuser pour regagner Alembras au plus vite mais en temps que protecteur de la princesse, il ne pouvait pas s'en aller comme un voleur. Il céda donc et accepta de prolonger son séjour à Talenza. Cependant ils partiraient dès la fin de la fête. Ses obligations de chevalier dragon l'appelaient, ainsi que sa maison toute neuve qu'il avait hâte d'inaugurer.
Le lendemain, il se rendit en ville très tôt. Il acheta des fruits sur un étal en cours de route et les mangea tout en cherchant un cadeau pour la princesse. En tant que protecteur il serait impoli d'assister à sa cérémonie de naissance sans un présent pour elle. Il ne doutait pas qu'elle recevrait une montagne de cadeaux plus luxueux que le sien mais il passa des heures à écumer les rues et les boutiques à peine ouvertes.
Finalement il trouva son bonheur chez un bijoutier. Le prix était un peu élevé mais l'objet lui paraissait plus qu'approprié. Le vendeur le plaça délicatement avec une boîte en bois, enroulé dans une étoffe doré et satinée. En revenant avec sa trouvaille, il croisa la route d'Orion qui donnait des instructions à certains de ses soldats. Il s'interrompit en voyant Aymeric.
- Vous êtes resté pour la cérémonie à ce que je vois. Le roi craignait que vous ne partiez.
- Il s'est trompé comme vous pouvez le constater.
- J'ai appris que la reine vous avait nommé second protecteur de la princesse, dit Orion avec un début de sourire.
- Oui. J'ai justement acheté un cadeau pour elle. Est-ce que la cérémonie se tiendra dans un temple ? Le roi Lothaire ne me semble pas très attaché aux dieux, peut-être qu'il préférera ignorer la tradition et présenter sa fille uniquement au peuple.
- Aussi étonnant que ça puisse paraître, il a décidé de suivre les anciennes coutumes. Peut-être à cause du miracle qui s'est produit hier.
Ils échangèrent une œillade presque complice puis le général retourna organiser le placement de ses troupes en prévision de la fête qui arrivait à grands pas. Même si elle n'avait été annoncée que la veille, la ville en effervescence s'était déjà organisée. En se promenant en ville Aymeric avait vu les taverniers sortirent les tables et des tonneaux de vins et de bières en prévision de la soirée animée.
Même les habitants de la capitale portaient des tenues colorées et soignées. Sans parler de la foule qui affluait des villages alentours et envahissait les rues avec un brouhaha joyeux. Comme il voyageait avec le strict minimum, Aymeric n'avait aucune tenue décente en dehors de son uniforme de chevalier dragon. Il le conserva donc, faute de mieux.
Il quitta le palais quand la nuit tomba, en compagnie du reste de son unité. Alaman, qui avait passé sa journée à flâner en ville et sans doute à charmer quelques demoiselles, les guida jusqu'au temple de la capitale.
Il était grand mais sans décorations superflues et visiblement ancien. Il ne possédait pas de portes car son entrée n'était qu'une immense arche dans la roche surmontée de dragons gravés dans la pierre. Son toit peu pentu et presque plat était recouvert d'ardoises. Une volée de marches conduisait à l'intérieur, bien moins sobre que l'extérieur.
Les murs sculptés avec une précision se rapprochant de la perfection narraient des épisodes mythologiques connus avec un luxe de détails que l'œil ne pouvait englober en une seule fois. Au fond se dressaient, taillées dans un seul bloc et peintes, des statues colossales représentant les dieux. Le cœur d'Aymeric fit un bond en avisant la représentation de Praeslia.
La tension des muscles, l'expression furieuse de sa gueule qui dévoilait ses crocs, la finesse de ses ailes...Il ne manquait pas une écaille ! Elle mesurait à peine un peu moins qu'Hydronoé sous sa forme reptilienne. Il avait l'impression qu'elle allait s'animer d'une seconde à l'autre et pousser un rugissement sonore.
Les deux plus grandes figures de cette œuvre qui dépassait l'entendement étaient au centre, en noir et blanc. Noximence et Phosphoméra, entourés de leurs enfants. Cet édifice n'avait rien a envier à celui d'Alembras. Les personnes les plus proches de la famille royale étaient déjà là, assises en silence sur des bancs en pierre. En tant que protecteur, Aymeric ignorait où se placer. Tout devant ? Ou plutôt vers l'arrière ?
L'arrivée du roi de Talenza et de son général lui évita de se torturer l'esprit avec ce détail trop longtemps. Le souverain portait sa fille lui-même et la berçait avec un sourire tendre. Autour de lui on s'attendrissait face à la petite chose enveloppée dans une couverture blanche et qui n'émettait pas le moindre cri de protestation malgré les murmures perturbants. Le roi dit à Aymeric:
- Venez. Vous vous tiendrez à mes côtés durant la cérémonie.
Le chevalier dragon l'accompagna jusqu'au pied de la statue. Il resta auprès de la représentation de Praeslia, presque rassurée par son regard bleu perçant. De l'autre côté Orion se tenait sous celle de sa mère, Windavic. Le roi Lothaire se planta entre eux, aux pattes des dragons démiurges. Le prêtre qui officiait ne devait pas avoir plus de trente ans. Il prononça le discours d'usage qu'Aymeric écouta d'une oreille distraite. Il se montra plus attentif quand le monarque de Talenza s'avança en soulevant légèrement sa fille.
- Moi, le roi Lothaire de Talenza, suis heureux de vous présenter ma fille, la première princesse du royaume, Constance.
A l'annonce du prénom de l'enfant, la foule se leva pour applaudir. En dépit du bruit, Constance n'éclata pas en sanglot. Elle dormait à poings fermés. Orion s'approcha le premier pour offrir son présent. Il s'agissait d'une couverture couleur sable, douce et épaisse, avec le nom de la princesse brodé au fil d'or. Lothaire l'accepta, tout sourire. Quand le général recula Aymeric comprit que son tour était venu.
Il apporta son cadeau et ouvrit le coffret, dévoilant le bijou entreposé à l'intérieur. C'était un fin bracelet d'or décoré au milieu par un quartz rose en forme de cœur. Il était encore un peu grand pour la princesse mais dans quelques années elle pourrait le porter sans problème. Aymeric n'avait pas choisi cette pierre et cette forme au hasard.
C'était un moyen subtil de rappeler que l'existence de cette minuscule fillette était due à l'intervention de Gaïara. Le souverain de Talenza le comprit car son sourire flancha un peu avant de revenir comme si de rien n'était. Aymeric lui laissa le coffret et retourna à sa place.
Après cela les invités défilèrent en nombre pour déposer devant le roi des jouets, des vêtements, d'autres bijoux et même des livres. La pile de cadeau arrivait aux genoux du souverain et le cernait. Il remerciait tout le monde et quand il ne resta plus de cadeaux à offrir, des serviteurs s'empressèrent de ramasser ceux qui entouraient le régent pour les entreposer dans de grands paniers.
Après la cérémonie dans le temple le roi alla en ville, protégé par une escorte, pour présenter sa fille aux habitants de la capitale. Aymeric et Orion le suivirent en silence. La foule restait à une distance respectueuse et admirait la petite fille avec des yeux brillants. Aymeric poussa un soupir de soulagement discret quand ils revinrent vers le château et que le roi ordonna le début des festivités.
Le jeune homme se joignit aux Talenziens. Il partagea quelques bières avec de parfaits inconnus qui ne devaient pas en être à leur première choppe. Au loin des musiciens accompagnaient un chanteur qui faisait déjà l'éloge de la princesse. Tant de festivités pour un si petit être.
Aymeric se demanda si le royaume des dragons aurait fait une telle fête pour lui si son père l'avait officiellement déclaré. Sans doute pas. Généralement on préférait cacher les enfants illégitimes. Il ne s'amusa pas tardivement dans les rues et regagna le palais tôt dans la soirée. Il ne s'attendait pas à découvrir le roi dans les escaliers, supporté par Orion.
- Tu n'aurais pas dû boire autant, le gronda son général.
- C'est la naissance de ma fille ! Je veux la fêter dignement ! protesta le monarque. D'ailleurs, où est passé mon verre de vin ?
- Tu l'as renversé sur le tapis, dans le couloir des armures.
Le roi Lothaire ricana, visiblement très fier de lui.
- Tant mieux, il était hideux. Maintenant j'ai une bonne raison de le changer.
- Que va dire Bérénice quand je vais te ramener dans cet état ? soupira Orion.
- Je ne vais pas dormir avec elle. Elle a besoin de se reposer et je ronfle quand j'ai trop bu. Je me contenterais du canapé.
- Lequel ? Il y en a une centaine dans le château.
- N'importe lequel ! grogna le régent de Talenza. Mais avant, je ne suis pas contre un dernier verre...
- Tu es infernal ! Tu ne bois pas souvent mais quand tu commences tu ne sais pas t'arrêter ! Pas de dernier verre sinon je vais te retrouver en train de vomir je ne sais où dans un coin du palais !
- Sur le tapis où j'ai renversé mon vin ! rit le roi. Pour terminer de le ruiner.
Aymeric passa à hauteur des deux hommes en retenant avec toute la difficulté du monde son envie de rire. Orion lui adressa un regard mi-amusé, mi-désespéré. Quand à Lothaire, il brailla :
- Bonsoir Aymeric ! J'espère que vous vous amusez ! Désolé de vous avoir retenu ici mais ma femme comptait énormément sur votre présence. Merci d'avoir joué le jeu, elle était enchanté du cadeau que vous avez fait à notre fille. Je suis certain qu'elle val'adorer quand elle sera plus grande !
Aymeric, qui ne s'attendait pas à un tel déluge de bonne humeur et d'honnêteté, remercia le souverain ivre et regagna ses appartements, le cœur léger.
Il se félicita de ne pas avoir trop fait la fête au petit matin,quand il sortit du lit reposé et sans gueule de bois. Il prit son temps pour se laver et manger, sachant que ses autres compagnons avaient été moins sages que lui. Ils partirent en fin de matinée. Alaman avait encore le regard vitreux et grimaçait quand on parlait trop fort près de lui. Le roi Lothaire, qui vint leur souhaiter bonne route, ne valait pas mieux. Derrière lui Orion se portait comme un charme, une lueur moqueuse dans le regard.
Aymeric était heureux de reprendre enfin la route mais aussi un peu chagriné de laisser Orion derrière lui. Leur chemin serait sans doute amené à se croiser dans un futur proche alors il le salua en espérant le revoir dans des circonstances aussi joyeuses que la naissance de la princesse Constance.
Les dragons se transformèrent une fois loin de la civilisation. Ils prirent la voie des airs, direction Alembras. Le voyage de retour sembla moins long au demi-dieu que l'allée, en dépit de son envie de regagner le château des gardes. Il ne chercha pas à pousser les dragons au surmenage et les laissa adopter le rythme qui leur convenaient.
Quand ils se posèrent enfin dans la grande cour en soulevant un nuage de poussière, Aymeric murmura pour lui-même :
- C'est maintenant que l'attente reprend...
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Chevalier dragon : Tome 3 : Le crépuscule du monde
FantasyDe retour de mission, Aymeric et ses compagnons n'ont pas le droit au repos. Ils partent seconder leurs aînés à Ronto, où un mal mystérieux plongent les dragons dans une rage profonde. L'arrivée soudaine du roi de Talenza et les nouvelles inquiétant...