Il quitta la salle de réunion et son général lui emboîta le pas en déplaçant un léger souffle d'air sur son passage. Les chevaliers dragons ne sortirent pas tout de suite. Chacun assimilait les nouvelles dans son coin, ignorant s'il fallait être plutôt pessimiste ou optimiste quant à la situation.
Après tout, cette espèce de pseudo-prophétie venue du fond des âges et des terres ne disait en rien s'ils vaincraient ou périraient. Quand le roi d'Alembras se leva, Aymeric le suivi à l'extérieur. Ils marchèrent côte à côte dans le couloir. Le jeune homme lâcha de but en blanc :
- Est-il digne de confiance ?
- Le roi Lothaire a beaucoup de défauts mais ce n'est pas un manipulateur ou un menteur, bien au contraire. Pour l'avoir côtoyé de nombreuses fois, et bien avant qu'il accède au trône, je peux te dire que c'est un homme intelligent et borné mais pas quelqu'un de malveillant malgré sa politique parfois un peu rude.
- Kidnapper des enfants pour les enrôler de force me semble plus que rude, commenta Aymeric.
- Ne laisse pas ton jugement personnel obscurcir ton esprit. J'ai discuté de cette affaire avec lui il y a des années de cela et depuis les choses ont changé. Je ne cherche pas à l'excuser pour ses erreurs passées mais j'essaie de te faire comprendre que les gens peuvent évoluer Aymeric. Lui, toi ou moi. Nous changeons tous. L'heure n'est plus aux chamailleries. Nous devons nous unir et faire front.
- Je ferais de mon mieux, dit Aymeric en inclinant la tête.
- Je le sais. Après tout, tu ne m'as jamais déçu.
Sur ses mots le monarque regagna ses appartements et Aymeric le laissa en paix. Pensif, il sortit en espérant clarifier ses pensées grâce à une promenade dans les bois, cerné par la solitude et le calme. Il n'était pas arrivé au milieu de la cour que le général Orion se planta face à lui. Ils s'observèrent quelques secondes puis le soldat s'inclina excessivement bas face à Aymeric. Il dit d'une voix ferme :
- Sire Aymeric, affrontez-moi.
Sa demande laissa le jeune homme perplexe dans un premier temps. Le général désirait réellement un duel ? Là, maintenant ? Après des nouvelles si graves ? Le Talenzien se redressa et attendit une réponse, la main sur la garde de son épée.
- Pourquoi ? l'interrogea Aymeric.
- On dit que vous êtes la meilleure lame d'Alembras et je suis considéré comme le meilleur épéiste de Talenza. Je veux savoir lequel de nous deux aurait le dessus dans un affrontement.
Voilà qui avait le mérite d'être clair. Aymeric aurait pu refuser si un détail concernant le général ne l'avait pas arrêté : il avait entendu des rumeurs affirmant que, comme lui, il était un demi-dieu, fils de Windavic et qu'il avait été un des premiers à s'enrôler dans l'arméed'élite du roi Lothaire, de son plein gré. Néanmoins il résista à son envie croissante de se confronter à cet homme.
- Désolé, je suis occupé.
Le général n'abandonna pas et s'inclina d'avantage face à lui en réitérant sa demande. Son regard bleu, qui n'avait manifesté que de l'indifférence depuis son arrivée au château des gardes, brillait d'une lueur féroce, celle d'une guerrier désireux de croiser le fer. Comprenant qu'il ne pourrait pas se soustraire à cet affrontement, Aymeric tira son épée hors de son fourreau.
- En garde.
Avec un sourire léger un brin carnassier, le général Talenzien tira sa lame au clair et se positionna face à son adversaire. Aymeric vit à sa posture qu'il serait un opposant coriace. Aucune ouverture, une musculature puissante et un visage impassible doublé d'un regard attentif. Il était sans conteste un incroyable épéiste, sans parler de sa vitesse et de son endurance supérieure à celle d'un humain ordinaire du fait de sa moitié divine.
Plus le chevalier dragon l'observait, plus il ressentait l'envie d'attaquer. Son sang bouillait dans ses veines et sa soif de combat enflait de seconde en seconde face à ce défi. Comme toujours, il brida son instinct. Pour le moment il n'avait perdu qu'une seule fois de toute son existence, face à la déesse de la guerre en personne.
Qu'en était-il s'il affrontait un demi-dieu ? L'issue incertaine du duel le motivait plus que n'importe quoi d'autre. Des soldats des autres gardes qui passaient par là interrompirent leurs activités et s'approchèrent pour observer le combat.
Pour une fois Aymeric attaqua le premier, incapable de résister plus longtemps à l'appel de la confrontation. Alors qu'il arrivait à toute allure, sa lame ne rencontra que le vide et un souffle d'air siffla près de son oreille droite.
Par instinct il se retourna en brandissant son épée, bloquant la lame du général. Celui-ci était rapide, très rapide. Aymeric allait devoir se méfier car la corpulence d'Orion ne l'empêchait pas de se déplacer avec aisance. Son adversaire attaqua de nouveau, multipliant les coups avec précision et vivacité. Le jeune homme les bloqua tous tout en cherchant un moyen de prendre le dessus.
Mais le général jouait sur sa vitesse et esquivait la moindre attaque pour mieux la contrer et rendre les coups. A ce rythme-là, Aymeric finirait par s'épuiser. Il fallait qu'il le coince, le temps de le désarmer et pour l'empêcher de passer dans son dos une fois de plus.
Autour d'eux la foule se fit plus dense et des membres des gardes sortirent du château pour rejoindre la troupe des curieux. D'autres se pressèrent aux fenêtres pour les regarder s'affronter. Aymeric avisa le roi Alaric et celui de Talenza sur le seuil du château.
Son manque de concentration lui valu un assaut du général de Talenza qui aurait pu lui coûter la défaite si son instinct de survie ne l'avait pas poussé à se déporter. La lame de son adversaire effleura sa manche, entaillant légèrement le tissu. Il se focalisa sur le demi-dieu et fit mine de l'attaquer, épée en avant.
Au dernier moment, il se laissa glisser au sol et faucha les jambes de son ennemi qui bascula vers l'arrière. Aymeric se redressa avant qu'Orion ne s'écrase au sol, prêt à bloquer le bras armée de son opposant sous sa botte et à loger la pointe de sa lame au creux du cou du général. Mais celui-ci ne toucha jamais terre.
Un puissant souffle de vent le projeta dans les airs et il se retrouva en suspension au dessus du sol, les cheveux et les vêtements agités par le vent. Aymeric haussa un sourcil. Voilà qui était inattendu. Ainsi donc le fils de Windavic pouvait contrôler les airs...Rien de bien étonnant en y réfléchissant mais le jeune homme n'avait pas envisagé que le combat prendrait cette tournure. Les habitants du château des gardes poussèrent des cris de surprise tandis que le demi-dieu regagnait la terre ferme.
Sa démonstration de pouvoir étonnante ne déstabilisa pas Aymeric qui avait déjà une nouvelle stratégie en tête pour le vaincre. Il réitéra son attaque précédente avec toute la vitesse dont il disposait et son adversaire s'envola avant même qu'il le touche. Un sourire étira les lèvres du chevalier dragon.
Il bondit et agrippa la cheville du général Talenzien alors que son opposant laissait le vent le soulever et tira de toutes ses forces. La puissance physique d'un enfant de Praeslia était infiniment plus grande que celle d'un enfant de Windavic. Son adversaire s'écrasa contre les pavés avec un grognement de douleur et tendit la main vers Aymeric.
Une rafale violente essaya de déséquilibrer le chevalier dragon mais la furie de l'air ne pouvait rien contre la rage guerrière du jeune homme. Il tenait le général Talenzien à sa merci et dès qu'il sentit la victoire approcher il s'autorisa à libérer un peu plus ses instincts, à lâcher la bride de la bête terrible qui dormait en lui.
Submergé par le désir de vaincre, il lutta contre le vent qui gagnait en intensité et tira le général à lui. L'étonnement se lisait sur le visage de son adversaire. Les rafales devenaient si puissantes autour d'eux que les spectateurs reculèrent prudemment. Avant que son opposant essaie de se relever, Aymeric bondit vers lui et acheva de combler l'espace entre eux.
Le général Talenzien se protégea avec son épée et les deux lames entrèrent en collision. Bloqué entre le sol et Aymeric, il était impossible pour lui de s'échapper. Il utilisa toute la force de ses bras pour repousser la lame du chevalier dragon. Peine perdue. Centimètre par centimètre, Aymeric gagnait du terrain.
Il fit lentement glisser son épée et inclina la pointe sous la gorge de son adversaire. Le chevalier dragon cessa de forcer quand l'acier se posa sur la chair. Aussitôt les vent moururent et la tension entre les deux combattants se dissipa. Le général Talenzien était à bout de souffle, contrairement à Aymeric qui peinait à se contenir, saturé par une vive excitation toute guerrière. Il prit une grande inspiration et rengaina son épée à regret avant de tendre la main au général Orion. Celui-ci s'en saisit et se laissa hisser avec un air stupéfait. Aymeric le salua respectueusement et dit :
- Vous êtes en effet un excellent épéiste. Merci pour ce combat.
Il s'éloigna et la foule s'écarta pour le laisser passer, admirative. Pourtant il ne méritait pas d'être regardé ainsi. Il n'avait aucun mérite, aucune gloire à retirer de cette victoire. Même s'ils étaient tous les deux des demi-dieux, sa mère restait Praeslia, la déesse de la guerre. Alors qu'il prenait la direction de la forêt, le général le rattrapa en s'écriant :
- Attendez ! Sire Aymeric !
Le jeune homme soupira. Encore Sire ? Il laissa le général venir à sa hauteur. Celui-ci essayait toujours de reprendre sa respiration et l'interrogea entre deux halètements :
- Comment...Comment avez-vous fait ?
- Comment ai-je fait pour quoi ?
- Pour résister au vent. Personne ne peut rester debout que je l'utilise à cette intensité.
- Disons que vous n'êtes pas le seul à avoir un parent dans le panthéon divin, avoua le chevalier dragon.
Sa réponse laissa le général sans voix et Aymeric reprit son chemin vers la forêt comme il l'avait initialement prévu. Il marcha entre les arbres jusqu'à ce que le feu dans ses veines s'apaise. Aussitôt il se sentit épuisé et son ventre cria famine. Il regagna le château et trouva refuge dans les cuisines où on lui offrit généreusement de quoi calmer son appétit féroce. Le chef cuisinier le resservit avec plaisir et déclara :
- J'ai vu la fin de ton combat contre le général du roi Lothaire. Tu as été impressionnant. Ça mérite bien une double ration !
Aymeric ne se fit pas prier et dévora le contenu de son assiette en louant intérieurement la cuisine du chef. Pour un peu il lui demanderait presque des biscuits au chocolat, comme lorsqu'il était petit.
En quittant la pièce animée, surchauffée et saturée d'odeurs de nourriture, il songea à faire une sieste même si ce n'était pas dans ses habitudes. Alaman le croisa dans le couloir menant aux chambres et s'écria :
- Comme toujours Aymeric s'est imposé comme le champion incontesté du château des gardes ! Mais qui pourra donc le battre ?
- Ma mère, répondit le demi-dieu avec un sourire.
- Un point pour toi ! Mais les dieux ne comptent pas, je te parlais du commun des mortels. Te connaissant tu resteras invaincu.
- Ne jamais dire jamais ! Il y a toujours plus fort que soi.
Sur cette parole pleine de sagesse, il alla se reposer avant de lire jusqu'à l'heure des bains et du banquet. Le roi de Talenza et son général dînaient parmi eux, à droite et à gauche du roi. Le soldat talenzien observa attentivement Aymeric une bonne partie du repas et ce dernier fit comme si de rien n'était. Alaman dit avec un clin d'œil :
- J'ai l'impression que tu as une touche.
- Ne dis pas de bêtises, répondit le jeune homme en prenant un morceau de pain.
- Il a l'air de te dévorer du regard, tu n'es même pas un peu tenté ? Il est sacrément bel homme, plaisanta le rouquin en battant des cils.
- En plus de sauter sur tout ce qui a une poitrine il te faut aussi les hommes ? demanda Lisbeth d'un ton cassant.
Après un silence, Alaman répliqua avec malice :
- Et pourquoi pas ? Après tout certaines de mes conquêtes avaient un côté plus viril que féminin.
- Tu es répugnant, dit la princesse en serrant les poings sur la table.
- Moi je trouve qu'Alaman a raison. C'est un homme charismatique, dit Hydronoé, l'air de rien.
Après un blanc qui enveloppa le groupe, Gébald demanda :
- Tu as quelque chose à nous avouer Hydro ?
- Non, pourquoi ? s'étonna l'intéressé. Je ne faisais que donner mon avis.
- C'est vrai que son comportement est curieux, déclara Zacharie pour détourner la conversation. Pourquoi est-ce qu'il te fixe avec autant d'insistance ?
- J'ai peut-être laissé échappé face à lui que je suis un demi-dieu, avoua Aymeric.
- Ceci explique cela, déclara Ourania. Il doit chercher qui est ton parent parmi les dragons primordiaux.
- C'est vrai qu'il est difficile de deviner que ta mère est Praeslia, intervint Brazidas.
- Vraiment ? demanda Aymeric.
Le dragon de feu sembla soudain mal à l'aise et se dandina en regardant son assiette. Il bafouilla maladroitement :
- Hum...Eh bien...Dans les légendes les enfants de Praeslia sont toujours assez...excessifs. Et perpétuellement violents, à la recherche des conflits. Toi tu es plutôt modéré, tu fais attention aux autres. Tu n'es pas celui qu'on imagine venir à table avec le visage couvert de sang, un sourire cruel et une lame où des morceaux de tes adversaires seraient encore collés, comme les enfants de Praeslia décrits dans les mythes.
Après son explication il commença à manger sans dire un mot de plus ni les regarder, comme s'il n'avait pas ouvert la bouche. Aymeric réprima un sourire amusé. Il préférait le Brazidas timide au Brazidas arrogant. Ils terminaient le repas quand le roi d'Alembras se leva.
Tous les gardes se turent, pressentant une annonce importante. Le monarque résuma ce que les chevaliers dragons avaient appris ce matin d'un ton grave et toute la bonne humeur s'envola. Les visages se fermèrent et le dîner prit une allure de rassemblement stratégique. Une fois la situation exposée le roi Alaric dit :
- Après une discussion le roi Lothaire et moi avons décidé d'organiser un rassemblement dans les jours à venir à Ondre, avec les autres dirigeants d'Amaris. Nous désirons nous entretenir avec eux pour déterminer la marche à suivre. Mon objectif est de prévenir la population d'Amaris afin qu'elle se tienne prête en cas de danger. Je vous tiendrais au courant de ce qui ressortira de cette rencontre par courrier. Vous aussi faites de votre mieux pour les années à venir car Alembras va avoir besoin de vous.
Il se rassit et les habitants du château échangèrent des commentaires à voix basse, aussi choqués que les chevaliers dragons plus tôt. Silencieusement, ils quittèrent la table. Alors qu'Aymeric montait l'escalier, le général Orion cria depuis le bas des marches :
- Sire Aymeric !
Le chevalier dragon se retourna vers lui et le demi-dieu se propulsa dans les airs pour atterrir en douceur à ses côtés.
- Je n'arrive pas à déterminer qui est votre parent divin, dit-il avec une légère contrariété.
- Cela vous importe vraiment ?
- Oui. Les demi-dieux ne sont pas légions, je veux savoir à qui j'ai affaire.
- Vous connaissez d'autres enfants des dragons primordiaux ? l'interrogea Aymeric.
- Non. Vous êtes le premier que je rencontre, d'où ma curiosité, expliqua le général.
- Et les soldats qui sont dans votre armée d'élite ?
- Ils sont des descendants des enfants des dieux ou de dragons ordinaires. Ils n'ont pas de lien direct avec une divinité comme vous et moi.
- Et ils sont heureux dans votre armée ? insista le jeune homme.
- En tant que général de celle-ci je dirais que oui même si, une fois leur formation militaire achevée, nous leur laissons le choix : s'engager définitivement ou vivre comme des citoyens ordinaires.
- C'est déjà mieux que leur enrôlement brutal qui ne leur laisse pas la possibilité de grandir auprès de leur, critiqua Aymeric sans cacher son mépris.
Le général fronça les sourcils et observa le jeune homme avec surprise.
- Vous semblez avoir un avis très arrêté sur la question, dit-il. Je conviens que les premiers temps, lors du décret de réunir tous les enfants de dragons par le roi Lothaire, l'organisation laissait à désirer et certaines interventions auprès des enfants concernés se sont mal passées. Mais depuis les choses ont évolué et les torts ont été réparés. Venez voir à Talenza par vous-même. Nous ne sommes pas des montres. Nous voulons simplement protéger les descendants des dragons des persécutions des Hommes. En tant que demi-dieu, je suppose que vous êtes au courant. Pour vivre heureux, vivons cachés.
Aymeric lui donna raison sur ce dernier point. Depuis l'enfance on lui avait demandé de ne pas faire étalage de ses capacités et de cacher sa véritable puissance. Tout cela sans savoir qui il était.
La différence n'était jamais bien perçue, que l'on descende d'un dragon ou d'un humain quelconque. Il le voyait avec lui comme avec chacun de ses compagnons. Désormais il connaissait l'identité de ses parents et il n'allait certainement pas crier sur les toits que sa mère était la déesse de la guerre.
- Si j'ai un jour l'occasion de visiter Talenza, je viendrais voir de mes propres yeux, accepta t-il.
Sa réponse arracha un léger sourire au général qui déclara :
- En échange, que diriez-vous de me donner le nom de votre parent divin ?
- Je suis certain que vous êtes capable de deviner, s'amusa Aymeric.
- J'ai eu beau vous observer durant le dîner, je n'ai toujours pas le moindre indice concret, juste des suppositions hasardeuses.
Le chevalier dragon se résigna et pointa ses iris bleu glace.
- Le voilà votre indice concret. Ne cherchez pas plus loin.
Après un froncement de sourcils, le général Orion sembla comprendre et écarquilla les yeux à cause du choc. Il demeura figé au milieu des escaliers, scrutant attentivement Aymeric comme s'il pensait qu'il s'agissait d'une vaste plaisanterie. Le jeune homme le salua d'un signe de tête et regagna sa chambre sans que le Talenzien le suive.
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Chevalier dragon : Tome 3 : Le crépuscule du monde
FantastikDe retour de mission, Aymeric et ses compagnons n'ont pas le droit au repos. Ils partent seconder leurs aînés à Ronto, où un mal mystérieux plongent les dragons dans une rage profonde. L'arrivée soudaine du roi de Talenza et les nouvelles inquiétant...