Aymeric émergea du sommeil avec les premiers rayons pâles du soleil qui peinaient à percer les nuages gris qui étouffaient la ville. Il tira Lysange du lit et ils se préparèrent silencieusement à regagner la frontière entre le royaume des vivants et des morts. Les médecins les attendaient dans la salle principale, avec des outres qui occupaient une table entière.
- Nous pensons que ce remède pourraient soulager les malades, à défaut de les curer. Peut-même qu'ils auront quelques jours de répit. Vous pourriez le leur distribuer ?
Ils acceptèrent, faute de mieux, et employèrent les soldats pour les aider à transporter les outres, en plus de l'eau et des vivres à distribuer ce jour-là. Les malades se tenaient à l'écart des morts mais ressemblaient déjà à des cadavres. Beaucoup gisaient dans la rue, le dos contre un mur et la tête basse. Parfois une quinte de toux les agitait, signe qu'ils vivaient encore. Ils avaient le regard vide, un regard dans lequel ne brillait plus la moindre lueur d'espoir mais la flamme de la fièvre. Ils se préparaient déjà à la mort.
Aymeric les aida à boire le remède, secondé par Lysange. Certains infectés parvenaient à l'ingurgiter et d'autres le recrachaient avec du sang en s'étouffant à moitié. Il fallait se montrer infiniment patient et procéder avec des gestes minutieux, ce qui grignota peu à peu la patience d'Aymeric.
La journée progressait lentement quand un sentiment de danger imminent étreignit le cœur du chevalier dragon. Il se redressa en portant une main à la garde de son épée, les sens en alerte. Une ombre noire masqua la lumière pâle du soleil une fraction de seconde. Le demi-dieu tourna la tête vers les cieux juste à temps pour voir une gigantesque silhouette ailée piquer droit vers eux. Son instinct lui hurla que le danger approchait. Il hurla :
- Mettez-vous à l'abri ! Ceux qui peuvent se déplacer, fuyez ! Les autres, réfugiez vous dans les maisons ! Dépêchez-vous !
Une étincelle de vie anima aussitôt les malades, ravivée par l'urgence dans la voix d'Aymeric et leur désir de vivre encore, ne serait-ce que quelques heures. Ils s'affolèrent et s'éparpillèrent dans une hâte un peu confuse. La peur permit aux plus forts de fuir mais les autres restèrent face contre le pavé, trop faibles pour bouger. Aymeric se précipita vers le plus proche et le hissa sur son dos pour le déposer dans la première maison vide qu'il croisa.
Dehors des hurlements de frayeur trouèrent le silence qui plantait sur la ville à cause de la maladie. Une lueur orangé filtra à travers les fenêtres de la maison, accompagnée par un son semblable à celui d'une explosion.
Les cris redoublèrent d'intensité, stridents et porteurs d'une terreur sans nom, primitive et glaçante. Aymeric se précipita hors de l'habitation. Une vague de chaleur le frappa tandis que devant lui dansait une mer de flammes. Les habitations aux alentours se consumaient en craquant comme du bois sec. Des formes vaguement humaines se tordaient dans le brasier en poussant des gémissements inhumains.
Aymeric chercha le dragon du regard. Il effectuait une boucle au-dessus de leur tête. Le soleil éclairait ses écailles rouges, à peine plus sombres que celles de Firenza et Brazidas. Sa gueule fumait encore sous l'effet des flammes qu'il venait de cracher.
Hydronoé, transforme toi et utilise ton pouvoir pour éteindre les flammes.
Il n'attendit pas que son jumeau, qui se trouvait à quatre rues de là d'après leur lien, réponde. Il se précipita à l'endroit où il avait aperçu Ourania la dernière fois, pour lui demander de prendre leur attaquant en chasse. Une autre vague de feu l'empêcha de la rejoindre. Il recula juste à temps pour ne pas finir brûlé vif, contrairement aux malheureux qui gisaient dans la rue. Aymeric serra les dents et tira son épée hors de son fourreau. Face à un dragon sous sa forme originelle, ce geste était vain.
Sans ses compagnons, il ne parviendrait à rien. Ils devaient se regrouper avant que les flammes les séparent !Il contourna une maison incendiée à la recherche de Lysange, la plus proche de lui. Elle se tenait au milieu d'une rue encore épargnée par le feu, en compagnie d'un groupe de malades qui se déplaçait tant bien que mal. Elle les encourageait à accélérer la cadence pour se mettre à l'abri quand le dragon plongea une troisième fois.
- Lysange, attention !
Son avertissement provoqua une vague de panique parmi le groupe qui s'éparpilla dans tous les sens. Ils bousculèrent le chevalier dragon qui remontait la rue en courant pour rejoindre sa compagne. Le dragon se rapprochait de seconde en seconde. Il vit ses yeux jaunes brillants d'intelligence, sa gueule entrouverte plus brûlante que le cœur d'une forge et ses crocs effilés.
Il cracha un feu presque blanc qui siffla dans l'air glacé et s'abattit entre Aymeric et Lysange. Le jeune homme recula en se protégeant le visage avec les bras. La chaleur fit éclater les pavés et l'air devint irrespirable, suffoquant. Puis un cri, à la fois de surprise et de peur, lui glaça le sang.
- Lysange ! hurla t-il.
- Aymeric ! répondit sa compagne d'une voix aiguë.
Un rire rocailleux acheva leur échange tandis que le dragon de feu remontait vers le ciel. De désespoir, le demi-dieu banda les muscles de son bras armé et projeta son épée à la manière d'un javelot. Elle siffla dans l'air et se planta entre deux écailles, dans l'épaule du dragon. Ce dernier grogna de mécontentement plus que de douleur et effectua demi-tour. Il se posa face à Aymeric, Lysange dans une patte. La jeune sylphe se débattait avec acharnement mais ne parvenait pas à dégager ses bras pour saisir son épée.
- Relâche la ! ordonna Aymeric.
Son opposant éclata de rire.
- Tu n'es pas en mesure de me donner des ordres, dit-il d'une voix douce comme du velours.
Il ouvrit la gueule pour cracher des flammes mais Aymeric se précipita sur lui en tirant son couteau de chasse hors de sa gaine. Face au dragon il ressemblait à une punaise armé d'une écharde mais il ne baisserait pas les bras, pas tant que Lysange serait en danger. Il visait le cœur qui battait sourdement sous les écailles et se concentra sur cet objectif pour oblitérer le reste.
Il esquiva le jet de flamme à l'aide d'une roulade. La chaleur embrasa son manteau, qu'il retira avant que le feu lèche sa peau. Il se rua sur son gigantesque opposant, l'esprit clair mais la peur au ventre.
Il craignait pour la vie de Lysange, toujours dans la patte du dragon de feu. Comme il se focalisait trop sur sa compagne, il ne remarqua pas la contraction des muscles de son adversaire. Celui-ci pivota à une vitesse folle et sa queue heurta Aymeric de plein fouet.
Le chevalier dragon effectua un vol plané qu'il termina contre le mur d'une maison à demi-effondrée en poussant un cri de douleur étouffée par le choc de l'impact. Le dragon s'approcha en prenant tout son temps, plein d'assurance. Aymeric, le respiration coupée et la vision brouillée, tenta de reprendre ses esprits malgré la douleur qui saturait son corps. Il ne pouvait pas garder le nez dans la poussière ! Lysange...Lysange avait besoin de lui.
Il se redressa sur les coudes dans un effort surhumain mais un poids s'abattit sur son dos et le cloua au sol. Une douleur sourde explosa dans sa chair, comme si on lui creusait la peau du dos avec la lame d'une épée. Il hurla de douleur tandis que du sang chaud imbibait ses vêtements, se répandait sur les pavés, parmi les ruines.
- NON ! Hurla Lysange à s'en briser les cordes vocales. NON !
Aymeric songea que la mort était proche. Le dragon enfoncerait sa griffe dans son corps d'une seconde à l'autre et le transpercerait de part et d'autre avant d'infliger un sort similaire à sa compagne. Dans un sursaut de courage et de colère, il dégaina un de ses poignards et le plongea dans la patte qui le surplombait en visant au hasard, la main faible mais la prise ferme.
Il sentit la lame se loger entre les écailles et traverser la peau. Il l'enfonça d'avantage en puisant dans ses réserves, jusqu'à toucher l'os. Le sang de son adversaire ruissela le long de son bras, se répandit au sol avec le sien.
Le dragon le projeta contre le mur encore intacte d'une maison détruite pour se débarrasser de cette gêne plus agaçante que douloureuse, expulsant l'air des poumons d'Aymeric. Il perdit sa prise sur sa lame et les blocs de pierre derrière lui tremblèrent. Une partie d'entre eux se détachèrent avec un raclement sourd et les gravats s'abattirent sur lui.
Il cria de souffrance et s'agita vainement en griffant le pavé pour s'extraire des décombres. Une voile sombre tomba devant ses yeux tandis que ses forces le quittaient. Le dragon décolla et emporta Lysange avec lui. Aymeric sombra dans l'inconscience au milieu du brasier hurlant qui dévorait Ronto.***
L'air glacial gela le visage de Lysange. Ses longues mèches blanches, agitées par le vent, lui fouettèrent le visage. Ronto n'était plus qu'un point noir surmonté d'une fumée opaque. Lysange sentait encore l'odeur de la fumée et de la chair en combustion, imprégnée dans ses vêtements. La chaleur que dégageait la patte du dragon qui emprisonnait son corps ne l'aidait pas à oublier l'intensité de l'incendie. Les hurlements d'agonie des pauvres gens piégés par le feu accentuèrent la nausée qu'elle tentait de refréner à cause de la hauteur.
Son ravisseur prit de l'altitude très rapidement, trop pour elle et son vertige. Il resserra sa prise autour d'elle et elle se sentit comme broyée entre des rochers. Elle essaya de se concentrer sur le lien qui l'unissait à Ourania pour l'appeler à l'aide. Elle était stupide de ne pas y avoir songé plus tôt mais entre l'incendie et Aymeric...
Penser à son compagnon la déconcentra. Elle entendait encore son cri de douleur, elle voyait la griffe du dragon de feu tracer un sillon sanglant dans son dos, puis le mur s'écrouler sur lui...Pourtant il avait lutté jusqu'au bout, pour tenter de la secourir. Une colère terrible s'empara d'elle. Elle hurla :
- Lâchez moi !
Son kidnappeur fit la sourde oreille L'étreinte du dragon autour d'elle la compressait tellement qu'elle ne parvenait plus à respirer. Elle suffoqua sans cesser de se démener, désespérée. Elle aurait aimé mourir mais elle pressentait que son ravisseur ne souhaitait pas l'achever, ce qui la paniqua d'autant plus.
Ourania, à l'aide...lança t-elle faiblement. Ouri...
Sa jumelle viendrait. Elle la sauverait, la ramènerait aux côtés de ses compagnons. Elle tenta de rester éveillée, lutta en mobilisant toute sa volonté mais le manque d'air la plongea dans un monde de ténèbres.
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Chevalier dragon : Tome 3 : Le crépuscule du monde
FantasiaDe retour de mission, Aymeric et ses compagnons n'ont pas le droit au repos. Ils partent seconder leurs aînés à Ronto, où un mal mystérieux plongent les dragons dans une rage profonde. L'arrivée soudaine du roi de Talenza et les nouvelles inquiétant...