Chapitre 14 : Dernières formalités

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Tandis qu'Orion le raccompagnait à ses appartements, Aymeric remarqua dans un couloir une femme qui se tenait de profil. Elle regardait par la fenêtre, son regard brun perdu dans le lointain. Une brise légère agitait sa longue chevelure ondulée et châtain qui descendait jusqu'à ses cuisses. Elle paraissait frêle et sa peau pâle comme de la porcelaine accentuait cette impression. Elle portait une longue tunique fluide couleur sable qui collait à son ventre rond qu'elle caressait pensivement.
En entendant leurs pas, elle tourna la tête et Aymeric se fit violence pour conserver son expression neutre. Si la partie gauche de son visage n'avait rien d'anormal et présentait même des traits fins et harmonieux, la droite était ravagée. Ravagée par le feu. La peau rosâtre et lisse comme une cicatrice tranchait nettement avec le reste. L'œil qui émergeait au milieu de ces chairs abîmées conservait sa couleur noisette. La blessure disgracieuse ne la dispensait pourtant pas d'une certaine noblesse et ses prunelles brillait de douceur. Un sourire étira ses lèvres couleur corail quand elle avisa le général Orion. Ce dernier la gratifia d'un signe de tête plein de respect.
- Ma reine, que faites-vous hors de vos appartements ? Il fait encore froid dehors et le bébé peut arriver à tout moment.
- Vous vous faites trop de souci pour moi Orion. Dites-moi plutôt qui est l'homme à vos côtés. Est-ce l'un des chevaliers dragons dont m'a parlé Lothaire ?
Aymeric s'inclina face à la reine, assez étonné. Il ignorait que le roi de Talenza était marié et encore moins que la femme de ce dernier avait ce physique si particulier. Que lui était-il arrivé ?De toute évidence, la brûlure ne datait pas de la veille.
- Je suis Aymeric Clarence, se présenta t-il.
Les yeux de la reine pétillèrent d'amusement et son sourire grandit d'avantage.
- Mon époux m'a beaucoup parlé de vous. Je vais vous faire une confidence car il ne vous le dira jamais lui même : il vous admire énormément.
Cette révélation surprit Aymeric. Le roi de Talenza, l'admirer ? Ce n'était pas l'impression qu'il dégageait. Son scepticisme arracha un rire léger à la reine. Elle s'apprêtait à ajouter autre chose quand une voix s'éleva depuis le haut des escaliers :
- Bérénice ? Que fais-tu dehors avec une tenue aussi légère ? Tu n'as pas enfilé ta robe de chambre ? Et tes pantoufles ? Est-ce que tout va bien ?
En quelques secondes le roi Lothaire se tenait auprès de sa femme, méconnaissable. Son air dédaigneux avait cédé la place à une inquiétude sincère et chacun de ses gestes dégageait de la tendresse. Il regardait sa reine comme si elle était la plus belle chose au monde. Cette dernière s'empressa de le rassurer :
- J'avais simplement besoin de me dégourdir les jambes. Je ne supporte plus de rester allongée toute la journée. J'ai envie d'un peu d'air frais.
- Alors laisse-moi t'accompagner jusqu'aux jardins et marcher avec toi, lui proposa Lothaire avec des yeux de merlan frit.
- Tu n'as pas des affaires plus urgentes à faire que d'escorter ta femme enceinte ? demanda t-elle gentiment.
- Non, répondit le roi d'un ton borné. A mes yeux tu es ma priorité. Viens. Allons profiter de l'extérieur avant que la nuit tombe.
Il proposa son bras à sa femme et elle s'appuya dessus avec une expression ravie. Le souverain de Talenza remarqua à peine la présence de son général et de son invité. Il leur lança simplement :
- A ce soir au dîner.
Le couple royal descendit des escaliers en discutant avec animation.
- On dirait qu'ils s'entendent bien, nota le chevalier dragon. Mariage d'amour ?
- Non : mariage politique. Elle est la fille d'un riche noble de Talenza. Cependant le hasard a voulu qu'elle et mon roi se rencontrent en ignorant tout l'un de l'autre. Ils sont tombés amoureux avant de connaître leurs identités respectives. Leur mariage était vraiment une belle cérémonie. Je n'avais encore jamais vu un couple aussi heureux. L'arrivée prochaine de leur premier enfant enthousiasme mon roi autant qu'elle l'angoisse, expliqua Orion.
- Vous connaissez le roi depuis longtemps ?
Le général hocha la tête, le regard soudain perdu dans le vague.
- Nous nous sommes connus alors que nous étions enfants. Il était déjà très capricieux à cette époque. Quant à moi je n'étais qu'un simple fils de servant, destiné à servir à mon tour. Le caractère déplorable de Lothaire, encore prince à cette époque, a voulu que je sois amené à essayer de le servir. Ce n'était pas de tout repos. Il me fuyait constamment, essayait de me faire sortir de mes gonds...Il n'avait pas d'ami. Moi non plus voyez-vous. Nous avons commencé à nous rapprocher avec la mort de mon père. Je n'avais pas d'autre famille. Même si Lothaire essayait de se montrer désagréable avec moi, ma peine l'a touché. Il a tout mit en œuvre pour que je reprenne pied, surprenant même son père. C'était la première fois qu'il s'investissait autant pour quelqu'un. Nous sommes devenus amis durant cette période. Après cela il a refusé qu'un autre que moi le serve. Il a même fait en sorte que je sois éduqué à ses côtés et que je reçoive des cours d'escrime. En voyant que j'étais doué, c'est lui qui m'a proposé de m'enrôler dans l'armée. J'ai suivi son conseil et je ne le regrette pas. Aujourd'hui je fais de mon mieux pour le soutenir à mon tour. Être roi n'est pas une tâche aisée. Et vous ? Comment êtes-vous devenu un chevalier dragon ? En dehors du nom de votre mère, je ne connais rien de vous.
- Accrochez-vous, l'histoire est compliquée et commence dans un royaume autre que celui d'Alembras, qui est ma patrie d'adoption, commença Aymeric.
Il raconta son histoire personnelle dans les grandes lignes sans essayer de cacher le fait qu'il soit fils de roi. Du moins le fils bâtard d'un roi. Ils arpentaient le château en même temps qu'ils conversaient et échangeaient des détails sur leur vie privée. Le général Orion écoutait avec sérieux. Aymeric finit par lui demander :
- Comment avez-vous su que votre mère était Windavic ?
- Elle est venu me voir plusieurs fois. Lors de la mort de mon père, lorsque j'ai commencé à prendre conscience de mes pouvoirs, et le jour de la cérémonie où le roi m'a nommé général de l'armée. Je pense que si je l'appelais maintenant elle arriverait sur-le-champ mais nous n'avons pas grand-chose à nous dire. Je crains de tenir mon côté taciturne de ma mère...
- Pourtant je vous trouve bavard depuis tout à l'heure, plaisanta le chevalier dragon.
- C'est parce que je n'avais jamais eu l'occasion de parler avec un autre demi-dieu avant. Nous avons, en dehors de nos parents divins, des points communs.
Il n'avait pas tort. Aymeric aussi commençait à l'apprécier. Lors de leur première rencontre, il l'avait trouvé froid et impassible mais il savait que ce n'était qu'un masque, celui du général des armées de Talenza. Le vrai Orion était tout autre, comme il le découvrait à présent.
Ils bavardèrent comme des servantes échangeant des ragots sans faire attention à l'heure. Orion présentait à Aymeric les plus belles œuvres d'art du palais quand un serviteur vint les interrompre avec un air gêné.
- Sire Orion, le roi m'a dit de vous faire savoir que vous êtes en retard pour le repas.
Loin de s'affoler, le général se contenta de remercier le serviteur pour avoir délivré le message et se mit en route vers la salle à manger en compagnie d'Aymeric. C'était une pièce de taille moyenne, plus chaleureuse que luxueuse. Des chandeliers disposés le long des murs dispensaient leur lumière tremblotante et baignait la salle dans des tons orangés. Le plafond peint représentait un dragon vert, sans doute Hoforymis, dieu de la vie végétale, autour d'une corne d'abondance.
La grande table de bois autour de laquelle tout le monde était déjà assis débordait de nourriture. Le monarque siégeait bien entendu en bout de table, sa reine à sa gauche et une chaise libre à sa droite. Le général prit place sur celle-ci tandis qu'Aymeric s'installait sur la dernière, à côté de Lysange.
- Où étais-tu ? murmura sa compagne.
- Avec le général Orion. Nous avons discuté. Sans doute un peu trop.
- D'ordinaire tu es ponctuel. Votre conversation devait vraiment être passionnante pour t'absorber à ce point.
- Oui. Je te ferais un petit résumé lors de notre voyage pour le désert, demain.
Leur léger retard fut rapidement oublié et ils commencèrent à manger. La reine, Lysange, Zacharie, Gébald, Firenza et le plus âgé des explorateurs firent la majeure partie de la conversation. Il était surtout question d'enfants, de mariage et de famille. Quand la reine apprit que la jeune sylphe et son compagnon construisait une maison et se considéraient déjà comme mari et femme, elles'exclama :
- Félicitations ! Vous allez bientôt avoir des enfants alors !
Aymeric manqua de s'étouffer avec son vin et Hydronoé lui tapota discrètement le dos. Lysange répondit :
- Nous préférons attendre que les troubles qui planent sur le continent soient passés pour fonder une famille. Si la guerre nous retient à l'autre bout des terres, nous serons incapables d'élever nos enfants.
- C'est dommage...Le roi Alaric ne peut pas vous accorder le droit de ne pas aller combattre si vous avez des enfants ?
- Mon amour, les chevaliers dragons sont des soldats puissants. Un seul d'entre eux peut changer l'issue d'une guerre. Le roi Alaric est généreux mais je doute qu'il accepte de se séparer de ses meilleurs atouts alors que notre monde court un si grand danger, expliqua le souverain de Talenza.
Cela les amena à parler de politique et Aymeric se joignit plus volontiers à la conversation qu'auparavant. Le dîner ne se prolongea pas tard dans la soirée. En raison de leur voyage le lendemain, ils devaient se coucher tôt.
Aymeric s'endormit rapidement après un bain et se leva avec le soleil. Il déjeuna dans la même salle que la veille en compagnie du roi Lothaire encore mal réveillé et du général Orion déjà en armure. Il alla ensuite revêtir sa tenue de vol et passer son sac de voyage sur ses épaules.
Alors qu'il quittait sa chambre, il croisa Reydan. L'envoyé des Hérances l'attendait appuyé contre le mur, les yeux rivés sur un masque en bois grimaçant accroché juste en face. Il se redressa en avisant le chevalier dragon.
- Sire Aymeric, j'ai des questions concernant notre voyage. Je comptais les aborder lors du dîner hier mais je n'ai pas trouvé l'occasion de le faire.
Le chevalier dragon essaya de se remémorer l'emplacement du Hérance à la table et ce qu'il y avait fait. Si sa mémoire ne lui jouait pas des tours Reydan avait siégé à côté de Gébald et n'avait pas ouvert la bouche de la soirée. En y réfléchissant bien, il avait même paru contrarié.
- J'aimerais savoir comment nous allons vous accompagner jusqu'aux terres brûlées. Nous n'avons pas de montures et vos dragons irons trop vite pour nous.
- Vous désirez venir avec nous ? s'étonna Aymeric.
- Bien entendu.
- Pour quelles raisons ? s'enquit le chevalier dragon.
- Les environs des terres brûlées sont dangereux. Ils regorgent de criminels. Ces deniers se sont sans doute rendu compte du changement qui s'est opéré et je suis prêt à parier mon titre de meilleur guerrier qu'ils ont déjà pris possession des lieux. Si vous vous rendez là-bas, ils attaqueront.
- Je vous remercie mais nous sommes en mesure de nous défendre.
Le guerrier Hérance le jaugea du regard avec une grimace.
- Vous paraissez fort mais je connais le désert mieux que vous. Je l'ai déjà vu faire ployer des hommes de votre stature.
- Je connais les rudiments de la survie en milieu aride. Et nous avons un expert qui sait déjouer les pièges du désert aussi bien que vous, ajouta t-il.
- Zach, devina Reydan.
Tiens, il utilisait le surnom de Zacharie ? Le connaissait-il du temps ou son ami vivait encore dans cette tribu ? Sans aucun doute. Ils devaient être proches pour qu'il l'appelle ainsi.
- En effet. Zacharie a une bonne connaissance du terrain. Il nous guidera. Je vous remercie de vouloir vous investir autant mais votre peuple à plus besoin de vous que nous, je vous l'assure.
Reydan sembla être à court d'arguments et fit demi-tour sans ajouter un mot, la mine sombre. Un doute trottait dans l'esprit d'Aymeric. S'inquiétait-il réellement pour leur groupe ou ses motivations trouvaient-elles leur source ailleurs ? Il ne parvenait pas bien à cerner le guerrier mais son instinct lui soufflait de se méfier.
- Qu'est-ce qu'il te demandait ? l'interrogea Zacharie.
Si Aymeric ne l'avait pas aperçu en train de l'épier depuis la porte entrebâillée de sa chambre, il aurait sursauté.
- Il tenait à nous accompagner jusqu'aux terres brûlées.
- Tu as dit oui ? le questionna son ami sans sortir dans le couloir.
- Malgré son insistance, j'ai décliné sa proposition. Nos jumeaux pourraient voler avec trois personnes sur le dos mais ça ne serait confortable ni pour les passagers ni pour eux. Nous devons nous livrer à une inspection rapide puis regagner le château des gardes. Inutile de rallonger notre voyage dans le désert alors que la présence des Hérances n'est pas nécessaire à la réussite de la mission.
- Tant mieux, dit Zacharie avec soulagement.
- On dirait que lui t'apprécies mais toi non...
- Plus il est loin de moi et mieux je me porte, répondit le jeune homme originaire du désert avant de refermer sa porte.
Même si les paroles de son ami l'intriguait, Aymeric décida de les laisser de côté pour continuer de préparer leur départ.

Chevalier dragon : Tome 3 : Le crépuscule du mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant