Chapitre 15 : La résurrection des terres brûlées

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Ils partirent en fin de matinée. Le voyage se déroula plus vite que la fois précédente. En volant ils évitèrent les tribus qu'Ourania partaient repérer en éclaireur. Aucune tempête de sable ne vint les ralentir et personne n'attaqua le campement qu'ils montaient à la tombée de la nuit autour d'un feu allumé par Firenza ou Brazidas. Après quelques journées de vol sous un soleil de plomb, ils arrivèrent en vue des terres brûlées. Cependant l'endroit ne méritait plus de porter ce nom.
Depuis le ciel s'étendait un océan de verdure zébré par l'éclat argenté des cours d'eau. Des arbres avaient poussés ça et là et des touches de couleurs suggéraient la présence de fleurs. Ils se posèrent en milieu de journée à la frontière entre le désert et cette terre de nouveau luxuriante. Aymeric et Gildas, son passager de la garde des explorateurs avec qui il avait sympathisé, posèrent pied à terre. Les bottes du jeune homme s'enfoncèrent dans le sable. Il posa la main sur la garde de son épée et lança aux autres :
- Restez sur vos gardes. Nous ne sommes sans doute pas les seuls dans les parages.
Il ajouta à l'intention des dragons :
- Conservez votre forme. Ça les dissuadera d'approcher.
- On ne devrait pas se montrer discret ? s'inquiéta Hydronoé.
- Si les événements écrits sur les tablettes se réalisent alors l'existence des dragons ne restera pas un secret encore longtemps.
Sur ce, Aymeric foula les anciennes terres brûlées. Ses semelles aplatirent l'herbe tendre. Le vert tranchait avec l'orangé des grains de sable. C'était comme si l'aridité se heurtait à une barrière invisible. D'un côté le sable et la sécheresse, de l'autre la végétation et la vie. Même la température était plus supportable.
Ses compagnons le suivirent et les explorateurs commencèrent leur travail. Ils se mirent à récolter des échantillons de chaque plante, qu'ils dessinèrent dans des carnets avant de les presser entre deux pages vierges pour les conserver sans les abîmer. Ils établirent une carte des lieux au fur et à mesure de leur progression. Même s'ils travaillaient avec rigueur et dans le calme, ils émanaient d'eux une certaine fébrilité.
Aymeric partageait leur enthousiasme. Cela tenait du miracle, les témoins Hérances n'avaient pas menti ni exagéré ! Par endroits des tapis de fleurs s'épanouissaient, les pétales tendus vers le ciel. L'odeur qui s'en dégageait était entêtante. Les ruisseaux qui coulaient autour d'eux gargouillaient joyeusement. L'eau était si transparente qu'on pouvait voir le fond sablonneux. Alaman plongea la main dedans puis enfonça sa tête entière à l'intérieure. Il la retira en s'ébrouant comme le ferait un chien et poussa un soupir de soulagement.
- Enfin un peu de fraîcheur ! Je n'en pouvais plus de cette chaleur infernale ! Regarde mon cou ! J'ai la couleur d'une écrevisse !
- On t'avait prévenu de protéger ta peau, tu n'avais qu'à écouter, le réprimanda Firenza.
- Je ne pouvais pas deviner que j'allais rôtir à ce point ! Sans la crème de Zacharie ça ferait un mal de chien.
- Les peaux claires attrapent plus facilement des coups de soleil, dit Byron en passant près d'eux.
- J'avais pas remarqué, bougonna le rouquin.
- Dans combien de temps aurez-vous fini ? demanda Aymeric au jeune explorateur.
Byron eut l'air désolé et dit :
- Il y a tant à faire ici...Nous n'aurons sans doute pas achevé de tout répertorier avant demain soir.
- Très bien. Prenez votre temps, nous allons monter le camp.
Sa réponse rassura le jeune homme qui repartit en expédition, Firenza sur les talons.
Les chevaliers dragons humains se chargèrent de monter les tentes tandis que les dragons servaient de garde du corps aux explorateurs. Pendant que Zacharie terminait d'entreposer l'équipement de vol dans une tente, Alaman préparait un feu et sortait son nécessaire de cuisine. Lysange dépliait les couvertures et rangeait les sacs dans les tentes tandis que Lisbeth rassemblait du bois pour entretenir les futures flammes. Aymeric aida le rouquin à cuisiner. Ce dernier dit:
- Comment allons-nous renommer cet endroit ? On ne peut pas continuer de l'appeler les terres brûlées alors qu'il est luxuriant !
- Les explorateurs se pencheront sur la question, répondit Aymeric.
- Pourquoi pas les terres ressuscitées ? proposa Alaman. Ça c'est un nom qui en jette !
- Alors il faut que tu le soumettes au chef de l'expédition, dit le demi-dieu.
Alors que le tatoué allait approuver, ses yeux noirs se posèrent sur les gants d'Aymeric.
- Tu n'as pas chaud avec ça ? Tu les as gardé pendant tout le voyage.
- C'est parce que la dernière fois j'ai attrapé des coups de soleil sur les mains, mentit Aymeric. C'était très désagréable donc je préfère ne pas retenter l'expérience.
- Vraiment ? demanda Lysange dans son dos. Je n'ai pas le souvenir que tu aies pris des coups de soleil lors de notre premier voyage.
Il préféra hausser les épaules plutôt que d'inventer un nouveau mensonge. Raconter des bobards à ses compagnons le couvrait de honte. Mais il préférait cacher la vérité, encore un peu. Alaman assaisonnait leur dîner du soir qui mijotait doucement dans une petite marmite sur le feu quand Byron revint avec les bras chargés de fruits. Il déposa son butin par terre, fier de lui.
- Regardez ce que j'ai cueilli ! Des fruits exotiques ! Il coûte une fortune à Alembras ! Et les arbres en sont pleins ! Il y a des branches lourdes à en craquer ! Des bananes, des grenades, des figues, des litchis, des mangues et même ce truc !
Il désigna un drôle de fruit rond hérissé de petites pointes, comme un litchi géant de couleur jaune vaguement verdâtre.
- C'est un durian, dit Lisbeth. On en trouve à Hangaï. Ce n'est pas censé pousser ici.
- C'est donc ça ! J'en avais déjà vu en tranches sur des marchés et j'ai croisé ce nom dans des traités de botanique mais je ne pensais pas qu'il s'agissait de ça. Je n'ai jamais goûté. Est-ce que c'est bon ?
- A tes risques et périls, le prévint la princesse. Tout dépend de l'espèce et de la maturité du fruit. L'odeur est parfois...écœurante. Normalement la chair est sucrée mais il faut parvenir à surpasser l'obstacle olfactif que représente cette chose. Quant à l'état de ton haleine une fois que tu l'auras ingéré...Bonne chance à toi pour que Firenza t'approche encore !
Le jeune explorateur déglutit et laissa soigneusement le fruit de côté. Il apporta le reste de ses trouvailles à Alaman qui déclara:
- Bien joué ! Voilà le dessert de ce soir ! Fruits frais et gorgés de soleil !
- J'ai hâte de voir s'ils ont bon goût ! Le sol est devenu très riche maintenant, dit Byron en se penchant pour enfoncer sa main entre les herbes grasses.
Il gratta et retira une poignée de terre brune presque noire.
- Tout peux pousser ici, expliqua t-il avec admiration.
Son regard s'assombrit la seconde d'après.
- Mais j'ai peur que cette terre attire les convoitises et provoque des conflits. Avant personne n'en voulait car elle était stérile mais désormais elle est idéale pour l'agriculture. Celui qui mettra la main dessus pourra prospérer.
- Ce ne sont pas nos affaires mais celles des tribus du désert,intervint Aymeric. Cette terre est sur leur territoire. Quoiqu'il arrive à l'avenir, nous n'avons pas à nous en mêler. Les peuples qui vivent ici sont intelligents. Ils savent qu'il est important de prendre soin des ressources. Ils ne pilleront pas cet endroit, bien au contraire. Ils le voient comme un présent des dieux alors ils le traiteront avec respect. Du moins je l'espère pour eux.
Les autres explorateurs rentrèrent une fois la nuit tombée. Alaman les accueillit en leur servant un bol de soupe fumante. Avec le soir la fraîcheur était revenue et manger chaud autour du feu les réchauffa. Ce soir-là, ils entendirent surtout les explorateurs parler de leurs découvertes et prévoir la façon dont les mettre en page une fois de retour au château des gardes.
- Tout ceci est bien beau mais en dehors de végétaux, je n'ai pas vu la moindre vie animale. Pas d'insectes, pas d'oiseaux, ni même de mammifères ! s'exclama Gildas.
- La terre est revenue à la vie et uniquement elle, dit un autre explorateur. Mais il faudra peu de temps avant que la vie animale ne la colonise. Certaines espèces du désert vont venir trouver refuge ici et peut-être changer grâce à ce nouveau milieu !
- Encore ta théorie de l'évolution ? Puisque je te dis que ça ne tient pas debout ! Les dieux ont façonné le monde, il n'y a pas d'évolution ! dit Gildas.
- Qu'est-ce que tu en sais ? Tu es allé leur demander ? Moi aussi je pense qu'ils nous ont crée mais entre les premier Hommes et nous, peut-être que des changements se sont produits à cause de notre environnement ou de notre alimentation ! Sinon pourquoi n'avons nous pas tous la même couleur de peau ?
- Les dieux ont peut-être voulu être originaux ou nous doter des meilleurs atouts pour survivre dans tel ou tel endroit sur le continent, ce n'est pas un drame !
- Pourtant il y a ce crâne humain trouvé lors d'un effondrement qui a une forme différente du nôtre et assez proche du singe qui pourrait...
Gildas l'interrompit :
- Tu as ta réponse : c'était un singe. Arrête avec tes idées farfelues.
Le débat se poursuivit tard dans la nuit. Si ses compagnons allèrent se coucher avant la fin, Aymeric écouta jusqu'au bout. Les arguments des deux côtés se valaient mais il devait avouer que cette théorie sur l'évolution des espèces avaient un côté séduisant. Il demanderait à sa mère la prochaine fois qu'il la verrait, pour avoir le fin mot de l'histoire.
Il n'alla pas dormir dans sa tente mais s'enroula dans sa couverture et s'adossa à Hydronoé qui, sous sa forme de dragon, dormait la tête entre les pattes. Son jumeau, profondément assoupi, remua à peine quand il s'assit contre lui. Le demi-dieu admira le ciel plus brillant que nulle part ailleurs et glissa lentement dans le sommeil, bercé par la respiration lente de son frère.
Il se réveilla avec une aile à la membrane bleutée au-dessus de la tête. Il se glissa hors du couvert de l'aile d'Hydronoé et s'étira. Le camp entier dormait encore. Du moins c'est ce qu'il croyait. Byron et Firenza manquaient à l'appel. Il fureta dans les environs avec l'espoir de les apercevoir et les découvrit près d'un court d'eau.
Byron se baignait et éclaboussait Firenza. La dragonne riait. Elle donna un grand coup d'aile à la surface de l'eau et son compagnon se prit une vague en pleine figure. Il en tomba sur les fesses et, après un moment d'incrédulité, éclata de rire à son tour. Comme ils ne risquaient rien, Aymeric laissa les deux amoureux en paix.
Comme la veille, à peine extirpés de leur couverture, les explorateurs se remirent au travail. Ils demandaient parfois l'aide des chevaliers dragons pour avoir des sacs supplémentaires où entreposer leurs échantillons mais sinon Aymeric et ses compagnons se sentaient bien inutiles. Une fois le camp démonté et le repas de l'après-midi préparé, ils durent trouver de quoi s'occuper.
Alaman s'octroya une sieste à l'ombre d'un arbre. Non loin Lisbeth tira un livre de son sac et bouquina en silence. Zacharie décida de se baigner et Aymeric l'aurait imité si Lysange ne lui avait pas proposé une promenade. Ils marchèrent au milieu de la nature luxuriante sans trop s'éloigner du campement. Ils croisèrent Gébald qui dorait au soleil sur le dos, les ailes étendues.
- On se croirait en plein été. J'ai hâte que les beaux jours reviennent à Alembras, lui confia Lysange.
- Moi aussi. Car ça voudra dire que notre maison sera finie et que nous serons installés dedans !
- C'est vrai ! Il faudra faire une pendaison de crémaillère !
- J'y compte bien ! Nous inviterons tout le monde. Ils se sont tous investis sur ce chantier, il faut les remercier.
En fin de journée, les explorateurs annoncèrent qu'ils avaient terminé leur première vague de catalogage. Ils rassemblèrent leurs bagages et dirent au revoir aux terres ressuscitées. Le nom proposé par Alaman avait été adopté à l'unanimité la veille. Les explorateurs remontèrent à dos de dragon à regret.
- Si seulement nous avions pu pousser notre expédition plus loin dans les terres, soupira Gildas. J'aurais aimé revoir les falaises et l'océan...
- Nous demanderons une permission au roi pour revenir ! le réconforta Byron.
- Je l'espère ! Nous n'avons fait qu'effleurer la surface...Qui sait ce qui se cache plus loin à un ou deux jours de marche ? Voilà pourquoi faire de la reconnaissance me déprime....
Le voyage retour se déroula aussi bien que l'allée. Le désert se montra généreux avec eux cette fois encore. Ils regagnèrent Talenza pour se reposer, le temps d'une soirée. Le roi demanda à voir Aymeric dans le même salon que la fois précédente. Dès que le chevalier dragon pénétra dans la pièce, le souverain demanda enlevant à peine le nez du parchemin qu'il lisait.
- Comment s'est passé l'expédition ?
Aymeric commençait à s'habituer aux manières directes du régent de Talenza et répondit :
- Elle s'est avérée très enrichissante. Nous n'avons pas rencontré le moindre problème. Et les terres ressuscitées sont sublimes. Il y a une abondance de vie végétale, une profusion de fruits dont certains ne sont pas de la région. La prophétie sur la tablette disait vrai. Si un jour vous avez l'occasion de visiter cet endroit alors n'hésitez pas.
- Un jour peut-être. Pour le moment j'ai plus pressant à faire que d'aller voir des arbres et de l'herbe.
Toujours aussi charmant.
- Orion m'a parlé de votre visite dans l'enclave, dit le roi en changeant de sujet. Vous avez fait forte impression à nos soldats.Mon propre général ne tarit pas d'éloge à votre sujet. Il est rare qu'il fasse autant l'éloge d'autrui.
Aymeric n'arrivait pas à déterminer comment il devait prendre ces paroles. Et qu'est-ce qu'il sentait dans la voix du souverain, caché derrière son apparente neutralité ?
- Le général Orion est trop généreux avec moi. Il oublie que lui aussi a de grandes capacités. Vous avez bien fait de lui offrir ce poste.
- Il le méritait. Il a toujours travaillé plus que les autres et jamais pour des raisons égoïstes. Il est mon bras droit, l'homme le plus loyal de tout le continent. Je pourrais lui confier ma vie et celle de ma femme sans une once d'hésitation. Il a su...
L'entrée fracassante d'un serviteur coupa le roi au milieu de son discours pourtant si passionné. Les portes claquèrent contre les murs et le serviteur, rouge et la souffle court, cria :
- Mon roi ! Votre femme ! Elle accouche !

Chevalier dragon : Tome 3 : Le crépuscule du mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant