Le grand jour approchait.
En tant que future mariée, Lisbeth aurait dû se montrer enchantée mais elle désespérait. Plus les jours passaient, plus elle se morfondait. Ce mariage avait été imposé par sa mère et la grand-mère d'Ezimaël. Son père avait accepté uniquement pour renforcer son alliance avec le royaume des Dragons. Bien entendu, il avait demandé l'avis de Lisbeth et, du haut de ses dix ans, elle avait accepté.
Pas par romantisme en s'imaginant rencontrer l'âme sœur en la personne d'Ezimaël mais pour accomplir son devoir de princesse et rendre son père fier. Pour qu'il la remarque, juste un peu. Et maintenant, du haut de ses vingts et quelques années, elle mourrait d'envie de remonter le temps et d'étrangler son ancienne elle pour l'empêcher de dire oui.
- Cette robe te va comme un gant. Les couturières ont fait un travail fabuleux, dit sa mère en la tirant de ses pensées grises.
Lisbeth jeta un regard dans le miroir face à elle. En effet, la robe était époustouflante. Mais aussi étouffante. Le corset la serrait et elle n'appréciait pas les nombreuses couches de tulle. Elle ressemblait à une grosse meringue. Des pierres translucides, sans doute du diamant, et des perles décoraient le haut de sa robe à la place des rubis qu'elle souhaitait tant. De la dentelle cachait ses bras et son cou. Elle la grattait. Si cela n'avait tenu qu'à elle, elle aurait arraché cette décoration superflue qui ne la mettait pas en valeur.
Malheureusement ce mariage était celui de sa mère plutôt que le sien. Celle-ci décidait de tout. Par chance, Lisbeth était parvenu à inviter ses compagnons d'armes. Elle ne leur avait pas dit, bien entendu. Ils ne l'aimaient pas et elle tenait à ce quel es choses restent ainsi. Bientôt elle vivrait au royaume des Dragons. Elle préférait qu'ils ne soient pas attristés par son départ.
- Le prince Ezimaël sera ravi d'avoir une femme telle que toi à son bras.
Le prince Ezimaël, parlons-en ! Elle avait fait en sorte qu'il la déteste. Dès qu'elle l'avait rencontré, elle avait comprit qu'il était quelqu'un de bien. Trop bien pour elle, la princesse capricieuse. Elle avait pensé qu'en le poussant à bout, il parviendrait à rompre leurs fiançailles. Mais sa stratégie n'avait pas fonctionné.
Ezimaël était trop bon et obéissant pour aller à l'encontre des décisions de sa famille. Elle ne lui en voulait pas. Après tout, elle non plus ne s'était pas opposé à son père et sa mère. Elle refusait de décevoir son paternel même si ce n'était pas l'envie qui lui en manquait.
- Père va t-il venir voir ma robe ?
- Il la verra le jour du mariage, répondit sa mère. Il a plus important à faire.
Lisbeth serra les dents. Il avait toujours mieux à faire. Dès que cela la concernait, le reste devenait plus important. Il aurait sans doute préféré avoir un garçon. Un héritier a qui confier les rênes du royaume. Sauf qu'il n'avait pas eu d'autre enfant après elle. Alors elle avait tenté de lui montrer qu'elle était digne d'être sa fille et que ça ne la rendait pas moins capable qu'un homme par tous les moyens possibles.
Elle était allé jusqu'à se lier à un dragon pour entrer dans l'armée. C'était sans doute le meilleur choix qu'elle ait jamais fait. Outre son lien avec Brazidas qui se considérait comme son alter ego et demeurait à ses côtés quoi qu'il advienne, elle aimait être un chevalier dragon. Le château des gardes, le travail d'équipe, les missions...Tout ça lui plaisait même si elle faisait semblant de ne pas s'investir pour rendre son inévitable départ moins douloureux pour elle. C'était une bouffée d'air frais, un vent de liberté.
Elle avait appris plus en quelques mois au château des gardes que durant le reste de sa vie cloîtrée dans le palais d'Ondre. Mais elle avait aussi fait en sorte de ne pas s'attacher et que personne ne s'attache à elle, pas même son jumeau. Dire qu'ils s'étaient acharnés pour créer du lien avec elle ! Elle en avait été désolée mais c'était ainsi. Moins d'attachement, moins de souffrance.
- Tu peux retirer ta robe, dit sa mère en se levant.
- Où allez-vous ?
- Je dois régler quelques détails concernant notre départ demain. Ton père tient absolument à partir à dos de dragon.
Elle n'ajouta rien et quitta la pièce. Lisbeth s'empressa de se débarrasser de son imposante robe et la jeta négligemment dans un coin. Dans ses rêves inavouées, elle ne se mariait pas dans cette tenue. Elle s'imaginait plutôt porter une robe simple, avec un corsage décoré de fil rouge et de rubis, les bras, la gorge et le dos nu pour que son futur époux puisse l'admirer. D'ailleurs, dans ses fantasmes cachés, l'heureux élu ne ressemblait pas à Ezimaël mais à un charmant rouquin dont elle préférait taire le nom.
Elle s'insulta mentalement. Inutile de rêvasser. Bientôt elle serait marié et aurait sans doute des enfants sous peu. Elle se promit de se forcer à les aimer. Même si elle les détestait, elle s'obligerait à leur témoigner de l'affection, à les choyer. Car il n'y avait rien de pire que de se sentir abandonné et haït par ses parents, elle le savait parfaitement. Son père ne le montrait jamais ouvertement mais son éloignement parlait pour lui. Quant à sa mère...Lisbeth lisait de la critique et de la déception dans ses yeux chaque fois qu'elle la regardait.
La reine la jugeait en permanence, surveillait ses moindres faits et gestes. Pour elle Lisbeth était trop impulsive, pas assez raffinée, trop bruyante, pas assez intelligente...Toujours trop ou pas assez. Jamais comme elle la voulait alors qu'elle s'efforçait de la modeler selon ses désirs depuis des années. Lisbeth n'était pas faite pour être une gentille princesse bien sous tous rapports, docile et courtoise. Elle avait confirmé cela lors de son voyage dans le nord.
Elle avait découvert en elle cet aspect sauvage et indompté, l'avait laissé s'exprimer librement. Il avait toujours existé, en dormance. On l'avait bridé alors qu'elle aspirait à ce qu'il explose. Sauf qu'une princesse se devait d'être douceur et amour. Le courage et la fougue, c'était l'apanage des princes. Or Lisbeth, pour son grand désarroi, se trouvait dépourvue d'attributs masculins.
Avec un soupir, elle renfila sa robe verte aussi volumineuse et écœurante que sa robe de mariée. Elle n'avait jamais le droit de choisir ses tenues lorsqu'elle se trouvait au palais d'Ondre. En revanche au château des gardes, c'était une autre histoire.
Hors de question de porter une robe pour s'entraîner ou monter à cheval : l'uniforme était obligatoire. Et comme elle adorait cet uniforme ! Pas de jupons encombrant, de corset, de froufrous ridicules ! Il était confortable, pratique et élégant à la fois. Dire qu'elle devrait renoncer à cela aussi...Elle se demanda si Ezimaël la laisserait porter des tenues d'équitation. Sans doute. Son fiancé ne voyait jamais d'inconvénient à quoique se soit.
Elle regagna sa chambre et utilisa le lien pour repérer Brazidas. Il se promenait dans les alentours du palais, comme souvent. Sa mère ne supportait pas son jumeau. Elle ne le disait jamais à voix haute mais son attitude parlait pour elle et Lisbeth la détestait pour ça. Haïr sa propre fille était une chose mais Brazidas ne lui avait rien fait.
Elle avait toujours interdit à Lisbeth et Brazidas d'établir une proximité entre eux comme celle qui existait d'ordinaire entre un humain et son dragon jumeau. Lisbeth n'avait pas eu le droit de dormir avec Brazidas, de jouer avec lui, de manger en sa compagnie...Sa mère trouvait toujours une bonne excuse : il est inconvenant pour une fille et un garçon qui ne sont pas du même sang de partager le même lit, les leçons priment sur le jeu, Brazidas n'a pas sa place à la table royale car il n'est pas de la famille...
Son père, pour une fois, avait tenté de s'opposer à cette séparation, plus pour permettre à leur lien de se développer normalement que par affection pour sa fille. Il s'était souvent disputé avec la reine à ce sujet mais elle parvenait toujours à avoir le dernier mot. Lisbeth avait détesté ses longues années sans son frère. Le jour où elle avait choisi de poser sa main entaillée sur l'un des œufs dans la salle souterraine du palais, elle pensait qu'elle aurait enfin un peu de compagnie. Quelqu'un qui resterait à ses côtés, qui la comprendrait, un compagnon fidèle et attentionné. Brazidas était tout ça à la fois. Mais sa mère ne lui avait pas permit d'en profiter.
Après tant d'années son jumeau était comme un étranger. Il avait grandi de son côté, refréné dans son envie de venir voir Lisbeth à cause de la crainte que lui inspirait la reine. Et même s'il demandait un entretien avec sa sœur d'âme, la mère de cette dernière s'arrangeait toujours pour lui trouver des occupations.
Entrer dans la garde des chevaliers dragons les avaient rapproché. Cependant Lisbeth continuait de maintenir de la distance entre eux. Elle avait peur de devoir s'éloigner à nouveau de son jumeau après le mariage. Brazidas souffrirait suffisamment malgré leur manque de complicité. Alors elle se montrait volontairement rude avec lui même si cela lui déchirait le cœur. Elle était rassurée de le voir se rapprocher des autres dragons et nouer des liens avec eux. Rassurée et jalouse.
On lui volait son frère qu'elle n'avait jamais eu la chance de vraiment connaître. Mais elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même. Elle n'avait pas profité de son séjour dans la garde des chevalier dragons pour faire plus ample connaissance avec lui. Et elle n'avait jamais essayé de lui expliquer non plus pourquoi elle se montrait si froide à son égard.
Au fond, peu lui importait que les autres comprennent ses motivations. Ils n'avaient pas une très haute estime d'elle et c'était mieux ainsi. Elle s'enferma dans sa chambre et observa ses deux grosses valises pleines à craquer de robes que des servantes avaient préparés pour le voyage. Elle fit quelques pas dans la pièce en songeant qu'elle ne l'habiterait bientôt plus.
Tant mieux ! Elle détestait cette cage dorée. Qu'est-ce qu'elle s'était ennuyée dans cette chambre ! Elle préférait celle qu'elle occupait au château des gardes. Elle avait râlé contre la taille, pour la forme, mais elle était plus chaleureuse qu'ici. Dans ce palais tout était trop grand et trop silencieux. Comme si tout le monde était déjà mort.
Elle souleva son matelas et en tira son épée. Elle la cacha sous les robes en vitesse. Elle ne partirait pas sans elle. C'était un cadeau de son père pour fêter son entrée dans la garde, le seul qu'elle ait jamais adoré car il la lui avait donné en la dévisageant avec un regard pétillant. Bien entendu, sa mère était contre les armes, excepté l'arc car il était l'arme de prédilection des Hanganais. C'est son père qui l'avait autorisé à apprendre l'escrime, l'équitation et la stratégie militaire. Des activités souvent réservées aux hommes mais qui convenaient tout à fait à Lisbeth.
Elle adorait pousser son corps jusqu'à la limite,ressentir la fatigue physique et se coucher avec la sensation de s'être dépensée. Son épée viendrait donc avec elle. D'autant plus qu'elle comptait poursuivre la pratique de l'escrime au Royaume des Dragons. Elle ne deviendrait jamais une reine qui coudrait au coin du feu ou qui participerait aux tournois depuis les tribunes. On frappa à sa porte et elle sursauta. Elle savait qui se trouvait de l'autre côté avant même d'ouvrir. Brazidas attendait sur le seuil et demanda :
- Je peux entrer ?
- Tu n'as rien de mieux à faire ? répondit-elle alors qu'elle mourrait d'envie de lui dire oui.
- Je voulais voir comment tu allais avant le grand départ, dit-il d'un ton un peu pitoyable.
Elle savait parfaitement ce qu'il pensait d'elle. Qu'elle ne l'aimait pas, qu'elle l'avait fait naître pour satisfaire un caprice, qu'elle serait heureuse d'être débarrassée de lui et qu'elle l'évitait parce qu'elle ne le supportait pas. Lisbeth se radoucit alors que son cœur se serrait.
- Je vais juste passer d'un palais à un autre. Rien ne sera très différent là-bas.
- C'est tout de même ici que tu as passé ton enfance. Tu n'es pas un peu triste ?
Enfance ? Quelqu'un venait de prononcer le mot «enfance» ? Elle émit un rire sardonique. Elle avait passé son enfance sans compagnons de jeu, toujours à étudier pour devenir une princesse parfaite. Le moindre écart de conduite amenait immanquablement à une punition. Et jouer, aux yeux de sa mère, constituait un écart. Ses nourrices, sévères, l'avaient surveillé de près. Tout ça pour qu'elle atteigne la perfection. Et voilà ce que ça donnait aujourd'hui. Elle est belle, la perfection ! se moqua t-elle intérieurement.
- Il n'y a rien que je regrette de laisser derrière moi, déclara t-elle.
Rien sauf le château des gardes, sa place parmi les chevaliers dragons et Brazidas. Son Brazidas qui la regardait en attendant qu'elle lui accorde de l'attention, qu'elle lui dise un mot gentil.Elle ne s'y risqua pas. De toute manière, elle ne savait pas montrer aux gens qu'elle les aimait. Chacune de ses tentatives pour témoigner son affection se terminait par un échec. Elle préférait donc s'abstenir.
- J'aimerais tellement pouvoir rester avec toi, soupira Brazidas.
Lisbeth aussi aimerait. Elle répondit sans réfléchir :
- Si tu es prêt à quitter les chevaliers dragons pour venir avec moi, je demanderais à Ezimaël s'il est prêt à t'accepter au Royaume des dragons et à faire de toi un des soldats de ma garde rapprochée.
Elle regretta ses mots tandis que le visage de son jumeau s'illuminait. Pourquoi est-ce qu'elle lui donnait de faux espoirs ? Si jamais son futur époux refusait, il serait inconsolable. Et lui demander de tout abandonner ici pour la suivre à l'étranger, quelle égoïste !
Pourtant elle ressentait la joie de son frère d'âme à travers leur lien. Comme si cette proposition était la réponse qu'il attendait, le signe qu'elle tenait un peu à lui. Ce n'était pas bon. Si elle commençait à céder maintenant, elle ne pourrait plus faire marche arrière. Elle se détourna pour ne plus le voir.
- Je te suivrais où que tu ailles et même si tu ne veux pas de moi, dit-il.
Et voilà. Il était toujours comme ça. Peu importe combien elle se montrait froide, combien elle le repoussait, il s'accrochait à elle. Elle ne voulait pas qu'il souffre mais c'était déjà sans doute trop tard. Elle prit une grande inspiration. Les dés étaient jetés et elle plaçait son destin entre les mains des dieux. De toute manière elle n'avait jamais eu de prises sur sa vie malgré ses tentatives de rebellions dérisoires.
Le soir du départ, on s'agitait dans le palais. Elle, le reste de la famille royale et les chevaliers dragons partaient en tête. Les autres, principalement des nobles invités au mariage, avaient quitté la capitale avec deux jours d'avance pour la simple et bonne raison qu'ils venaient à cheval. Ils étaient une cinquantaine, tous au courant du secret qu'abritait ce royaume niché au sommet de la Crête du dragon. Lisbeth n'en connaissait aucun personnellement. Si ça n'avait tenu qu'à elle, tout ce beau monde serait resté chez lui.
En compagnie de sa mère, de son père et des gardes rapprochés de ce dernier, elle gagna une grande plaine éloignée d'Ondre, à environ deux heures de cheval. Les chevaliers dragons attendaient là-bas. Les dragons étaient déjà sous leur forme de reptile ailé, prêts à décoller. La jeune femme avisa Brazidas qui avait dû venir et se préparer sans elle. Elle s'en excusa mentalement mais sa mère avait refusé de la laisser s'en aller avec le reste de la garde.
Elle vérifia néanmoins les réglages de la selle avant de mettre ses lunettes de vol. Auparavant elle les trouvait ridicules, grosses et laides. Mais désormais elle reconnaissait leur côté pratique et songeait qu'elles conféraient un petit quelque chose d'aventurier. Son père vint se poster à côté d'elle, lui aussi en tenue de vol, et demanda :
- Est-ce que tu me permets d'effectuer le voyage en ta compagnie ?
Surprise, elle haussa les sourcils. Son paternel désirait monter à ses côtés pour le trajet ? Suspicieuse, elle l'interrogea :
- Tu ne préfères pas aller avec Aymeric et Hydronoé ?
- Non, je veux passer le peu de temps qu'il me reste avec ma fille chérie. Avant de ne plus entendre tes éclats de voix résonner dans le palais ou de ne plus te voir au château des gardes lors de mes visites.
Il avait l'air nostalgique ce soir. Elle accepta qu'il vienne avec eux même si elle savait au fond de son cœur qu'il aurait préféré la présence d'Aymeric à la sienne. Depuis le jour où il l'avait rencontré, quand ce n'était encore qu'un orphelin qui vivait dans la rue, son paternel n'avait plus que son nom à la bouche. Aymeric par ci, Aymeric par là... Ses yeux brillaient quand il l'évoquait. Il était tellement fier d'un enfant qui n'était pas le sien.
Sans doute car Aymeric incarnait le fils qu'il aurait aimé avoir. Fidèle, intelligent, calme, pétri de principes tous plus droits les uns que les autres. L'enfant parfait. Elle jalousait souvent Aymeric pour ça. Il provoquait tellement d'admiration chez son père alors qu'elle devait se battre pour avoir un regard de sa part.
En revanche ne détestait pas le jeune homme parce que Aymeric croyait en elle. Malgré les erreurs qu'elle avait faite et son comportement odieux, il s'était montré patient. Et même lorsqu'il s'était énervé contre elle, il avait accepté de lui donner une seconde chance. Il l'agaçait pour ça et le pire c'était qu'elle l'admirait aussi, à l'instar de son père. Elle reconnaissait en lui un stratège et un meneur extraordinaire. Elle aurait aimé lui ressembler.
Elle s'installa sur le dos de Brazidas et son père grimpa derrière elle.
- Il y a longtemps que je ne me suis pas déplacé à dos de dragon, commenta celui-ci. Est-ce que tu es à l'aise dans les airs Brazidas ?
- Il ne faut pas poser ce genre de question à un dragon, répondit son jumeau après un bref rire rauque.
- Pensez à bien vous attacher père, dit Lisbeth en passant ses propres jambes dans les sangles qui pendaient de chaque côté de la selle.
Le roi d'Ondre lui obéit et ils furent prêts en un rien de temps. Ce qui n'était pas le cas de sa mère, qui montait en compagnie de Lysange. La pauvre sylphe, sans manifester la moindre trace d'énervement ou d'agacement, mit dix bonnes minutes à aider la reine pour qu'elle soit installée convenablement. Lisbeth eut envie d'applaudir la patience de la jeune femme.
En toute franchise elle enviait Lysange autant qu'elle l'aimait et ce depuis leur première rencontre. La princesse s'en souvenait comme sic'était hier. Le père de Lysange était venu à Ondre en tant qu'ambassadeur, accompagné de sa fille. Ils avaient dîné en compagnie de la famille royale. La tendresse du père de Lysange pour sa fille n'avait pas échappé à Lisbeth. Il écoutait le moindre mot qui sortait de la bouche de Lysange, prêtait attention à ses singeries et osait même en rire !
Ce jour-là, la petite princesse avait été envahi par une profonde jalousie. Pourquoi ses parents à elle ne se comportaient pas comme le père de Lysange ?Pourquoi est-ce qu'ils semblaient ne pas l'aimer ? Est-ce qu'ils l'aimaient au moins ? Elle avait essayé d'amuser son père et sa mère en imitant Lysange mais n'avait récolté que des réprimandes de la part de la reine. Quant au roi, il l'avait ignoré.
Alors elle avait voulu taquiner Lysange en élaborant une vengeance toute enfantine et innocente. Elle ne s'était pas doutée que les choses tourneraient mal. Elle connaissait l'existence des souterrains du palais mais ignorait ce qu'ils contenaient. Le soir de l'arrivée de Lysange, elle avait toqué à la porte de la jeune sylphe et lui avait proposé de la suivre dans les sous-sols. Lysange n'avait pas accepté sur-le-champ. C'était une enfant craintive mais Lisbeth avait su se montrer persuasive. Une chandelle à la main, elles étaient descendues sur la pointe des pieds, le cœur battant.
Lisbeth avait un plan en tête : arrivée en bas des escaliers elle soufflerait la bougie et laisserait Lysange dans le noir pour lui donner une frayeur. Mais quand elles étaient arrivées à la dernière marche, elles n'avaient pas résisté à l'envie d'aller plus loin. Aucun garde ne leur avaient barré la route. Il faut dire qu'elles avaient été discrètes, de parfaites petites curieuses. Sauf qu'une fois dans la grande salle remplie d'étranges objets ovales et recouverts d'une peau semblable à du cuir, une voix grave s'était exclamée :
- Qui est là ?
Paniquées, elles avaient pris la fuite. Et dans la précipitation, Lisbeth avait eu un très mauvais réflexe : elle avait poussé Lysange. La petite sylphe s'était écrasé sur le sol de marbre en poussant un cri de surprise et de douleur. La suite, Lisbeth ne pouvait que l'imaginer car elle avait quitté le sous-sol en abandonnant Lysange derrière elle. La petite sylphe avait touché un œuf en se relevant et avait donné naissance à Ourania. C'est ainsi que Lisbeth avait eu vent de l'existence des dragons et que, des années plus tard, elle était redescendue pour se lier à l'un d'entre eux à son tour.
Et par sa faute, la vie de Lysange avait été bouleversée. Chassée de chez elle, exilée dans un royaume dont elle ignorait tout, enrôlée dans l'armée plus par nécessité que par choix, incapable de revoir ses parents aimants...De toutes les fautes que Lisbeth avait commises, celle-ci était la pire.
Elle regrettait chaque jour mais n'avait jamais osé s'excuser auprès de la sylphe. Les premiers temps, lors de son arrivée dans la garde, Lysange avait semblé méfiante. Et depuis leur relation ne s'était ni améliorée, ni détériorée. Elles parvenaient à travailler ensemble mais pas plus. Pourtant Lisbeth aurait adoré sympathiser avec Lysange.
Désormais elle devait laisser ce vœu derrière elle, avec tous ses autres rêves inachevés. Dans quelques jours elle ne reverrait plus les membres de la garde des chevaliers dragons que lors de visites officielles. Elle ressassait ses pensées pendant le vol, le regard perdu dans le vide obscur qui s'étalait autour d'eux.
- A quoi songes-tu ? lui demanda son père.
Il criait près de son oreille pour couvrir le vent qui hurlait et emportait le son.
- Rien, répondit t-elle en braillant à son tour.
Il n'insista pas d'avantage. Lisbeth demeura dans le brouillard durant tout le voyage. Elle écoutait à peine ce que Brazidas lui disait et répondait par monosyllabes. Elle repensait à son enfance sans pour autant se sentir nostalgique ou attristée. Ce qui lui revenait en tête quand elle se questionnait sur ce qui allait lui manquer était l'image du château des gardes. Alors elle préférait revoir mentalement ce qu'elle avait détesté et repousser ce qu'elle avait aimé en se disant qu'elle trouverait mieux au royaume des Dragons.
Cependant, quand le royaume émergea au sommet de la montagne, son cœur sombra dans sa poitrine. Elle eut envie de faire demi-tour et se s'exiler loin, très loin. La cité était splendide vue du ciel mais en sachant qu'elle serait bientôt sa nouvelle prison, Lisbeth la détestait. Elle essaya de chercher de la beauté dans l'architecture, les jardins, le lac mais tout ce que son esprit criait était : "mariage".
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Chevalier dragon : Tome 3 : Le crépuscule du monde
FantasyDe retour de mission, Aymeric et ses compagnons n'ont pas le droit au repos. Ils partent seconder leurs aînés à Ronto, où un mal mystérieux plongent les dragons dans une rage profonde. L'arrivée soudaine du roi de Talenza et les nouvelles inquiétant...