Chapitre 1 : En renfort

712 60 10
                                    

Hydronoé rugit de bonheur quand les tours du château des gardes apparurent enfin à l'horizon. Aymeric laissa un sourire victorieux étirer ses lèvres. Enfin ! Après de longues journées de vol ils rentraient chez eux.
Le retour s'était passé sans encombres, pour le plus grand bonheur du jeune homme. Durant la mission chaque petit contretemps l'avait irrité et il s'inquiétait aussi pour ses compagnons dans le nord.
Il avait hâte de prendre un bon bain le soir-même et manger un dîner convenable. Ils arrivaient à la fin de leurs provisions et mangeaient sur le pouce depuis deux jours, ce qui rendaient les dragons de mauvaise humeur.
Hydronoé fondit vers la cour pavé mais Ourania le dépassa d'un battement d'aile en piquant vers le sol à une vitesse folle. Même si Lysange lui faisait confiance et s'habituait peu à peu à la hauteur, son visage était décomposé et Aymeric craignit qu'elle fasse un malaise. Quant à Gébald et Zacharie, ils étaient un peu derrière et prenaient leur temps pour ménager l'aile fragilisée du dragon de terre.
Son ami à la peau sombre allait bien, mieux qu'il l'avait espéré après son séjour dans son clan. Aymeric avait bien vu que ça n'avait pas été simple pour lui, même s'il s'était efforcé de ne rien montrer afin de ne pas inquiéter le reste de l'équipe.
Il s'en voulait d'avoir forcé Zacharie et Alaman à retourner sur leur terre natale, même pour un court séjour dans le cadre d'une mission. Sauf qu'il n'avait pas eu le choix. Heureusement tout s'était bien terminé de leur côté. Plus de cavaliers, plus d'œufs, plus d'invasion. Une bonne chose de faite.
Son jumeau posa patte à terre et Aymeric descendit souplement de son dos avant de s'étirer. Rien n'avait changé durant leur absence et des gardes qui passaient dans la cour les saluèrent. Il aida son frère à se débarrasser de sa selle et le laissa se transformer en humain à l'abri des regards.
Pendant ce temps, il entra dans le château et se rendit à la bibliothèque sans perdre une seconde. Il attrapa un morceau de papier, une plume et de l'encre et commença à rédiger son rapport pour prévenir le roi. Il terminait sa première phrase quand la porte de la bibliothèque s'ouvrit brutalement.
- Aymeric, te voilà enfin de retour !
Le jeune homme se retourna en contenant mal sa surprise. Le roi vint vers lui et demanda :
- Alors ? Comme s'est déroulée la mission ?
- Mais....Que faites-vous ici majesté ? le questionna le jeune homme. Vous n'êtes pas à Ondre ?
- Non. L'urgence de votre mission était telle que je devais rester ici pour entendre les nouvelles dès votre retour. Explique-moi tout.
Le roi tira une chaise pour s'asseoir face à lui, la mine grave. Aymeric s'exécuta et narra leur voyage dans le désert et la réussite de la mission grâce à la prudence et au discernement des Hérances.
- Avez-vous des nouvelles de ceux envoyés dans le nord ? s'enquit-il à la fin de son récit.
- Hélas non, répondit le roi d'Alembras en s'assombrissant d'avantage.
Le souverain semblait inquiet et Aymeric pouvait le comprendre. Sa fille se trouvait dans cette expédition, aussi insupportable soit-elle.
- Il faut aussi que tu saches que la mission de vos aînés ne se passent pas très bien. Il y a eu des complications, ajouta le monarque.
- De quel ordre ? demanda Aymeric en s'attendant au pire.
- Gordon est coincé dans la grotte qu'ils devaient explorer. Je n'ai pas très bien compris ce qui se passait dans leur dernier message mais quelque chose là-bas semble perturber les dragons qui se mettent à avoir des comportements étranges.
- Étranges ? C'est-à-dire ?
- Je n'ai pas eu plus de détails. Ils sont encore sur place pour essayer de récupérer Gordon et Sandor.
- Sandor aussi est coincé ? s'étonna le jeune homme.
- La situation est plus critique que ça. C'est lui qui retient Gordon prisonnier.
Aymeric arqua les sourcils. Qu'est-ce que c'était encore que cette histoire ? Pourquoi Sandor ferait une chose pareille ? Qu'est-ce qui ne tournait pas rond dans cette montagne ?
Les nouvelles du roi ne réjouissaient pas le jeune homme. Il commença à s'inquiéter pour son maître et cette inquiétude se propagea aux membres en mission dans le nord.
Il discuta plus amplement avec le roi et apprit que son père était reparti pour le royaume des dragons. Un peu déçu, il se dit que c'était normal : des affaires royales l'attendaient et le royaume n'allait pas se diriger seul. Dès que le souverain d'Alembras le laissa, il prit une nouvelle feuille et écrivit une longue lettre à son père.
Il joignit à ses mots des dessins pour lui raconter en détail son voyage dans le désert. S'il exceptait les circonstances qui l'avait poussé à se rendre là-bas, la culture du désert lui plaisait. La vie en communauté, les repas ensemble, les rites, la langue...C'était tout un pan du monde qu'il avait découvert autrement qu'à travers les livres.
Il décrivit tout cela à son père et noircit ainsi trois pages recto-verso qu'il plia soigneusement pour mettre dans une enveloppe. Il la déposa dans la boîte en bois destinée à accueillir les missives qui seraient ensuite livrées par les messagers d'Alembras puis se rendit aux bains.
Il arriva tôt et il n'y avait pas beaucoup de monde. Il repéra Hydronoé qui faisait des longueurs dans le premier bassin et Zacharie qui ne faisait que tremper les pieds dans l'eau, le regard dans le vague.
Leur voyage dans le désert avait forcé son ami a en révéler plus sur lui et son passé de manière forcée. Aymeric n'en était pas fier et s'inquiétait de le voir si pensif. Il s'installa à côté de lui et le jeune homme à la peau sombre leva son regard noir vers lui. Un sourire discret mais serein illumina son visage, détendant Aymeric.
- Tu vas bien ?
Zacharie hocha la tête et dit :
- Je suis content d'être rentré. Je ne pensais pas que cet endroit me manquerait autant.
- C'est vrai. C'est parce qu'il s'agit de notre maison à tous.
- Oui.
Un blanc s'insinua dans la conversation et le silence n'était troublé que par le clapotis de l'eau des bassins contre les parois de pierre et les discussions des gardes qui affluaient de plus en plus.
Aymeric avait bien un sujet de conversation à aborder avec Zacharie mais il ne savait pas très bien comment s'y prendre. Il craignait de se montrer maladroit mais finalement Zacharie le devança.
- Tu as envie de me parler de quelque chose ? Par rapport à ce que j'ai dit quand nous étions chez les Hérances et plus particulièrement sur la raison de mon exil ?
- En effet. Je voulais simplement te dire que ça ne me dérange pas.Ni Hydronoé, Ourania ou Lysange. Nous acceptons parfaitement et nous ne voulons pas que tu te sentes gêné par rapport à ça. Tu peux nous en parler librement. Du moins si tu veux.
- Merci, c'est gentil. Je suis touché que vous le preniez comme ça, vraiment. Je ne l'avais jamais avoué à personne, sauf à Gébald. Si j'ai gardé le silence là-dessus c'est parce que je n'avais pas envie que vous vous comportiez différemment avec moi. Que vous vous imaginiez que je pourrais m'enticher d'un homme du groupe et faire des choses répréhensibles.
- Idiot, dit gentiment Aymeric. Tu sais que nous ne sommes pas comme ça. Et je suis convaincu que même si tu avais des sentiments pour l'un de nous tu n'agirais jamais contre a volonté pour satisfaire tes envies personnelles. Tu as un trop grand cœur pour ça.
Zacharie émit un petit rire et plongea son yeux noirs dans l'observation de l'eau à ses pieds.
- C'est vrai, murmura t-il. Mais j'avais tout de même peur de vous révéler la vérité.
- Ne t'inquiète pas, nous la garderons pour nous. Personne ici ne sera mis au courant.
- Je vous fait confiance pour ça.
- Compte sur nous.
Ils entrechoquèrent leur poing l'un contre l'autre et le petit malaise s'envola. La conversation dériva sur des sujets qui ne mettaient pas Zacharie dans une situation inconfortable.
Le temps qu'ils se racontent les dernières nouvelles, les bains se remplirent et se vidèrent progressivement, si bien qu'ils arrivèrent au dîner dans la salle de banquet parmi les derniers.
Lysange, Ourania et Gébald les attendaient au milieu des autres soldats d'Alembras. Ils mangèrent tous ensemble mais Aymeric ressentit tout de même un vide causé par l'absence de quatre de leurs compagnons. Il espéra qu'ils se portaient bien et reviendraient bientôt en bonne santé et porteurs de nouvelles favorables pour l'avenir du continent.
Les jours passèrent et il commença à angoisser pour Alaman, Firenza, Brazidas et Lisbeth. Ils ne donnaient pas signe de vie et il se surprenait souvent à regarder en direction du nord, espérant les voir apparaître. Ses amis faisaient leur possible pour le rassurer mais rien de ce qu'ils pouvaient dire ne le détendait.
De plus, les nouvelles en provenance de leurs aînés se faisaient de plus en plus rares et leur situation ne s'arrangeait pas. Gordon était toujours prisonnier dans la mine dont l'entrée était gardée par Sandor. Peu importe comment le reste de l'équipe s'y prenait, ils ne parvenaient pas à passer la surveillance du dragon de terre qui attaquait avec violence.
Ils ne comprenaient toujours pas ce qui causait cela chez Sandor, d'ordinaire calme avec la tête sur les épaules. Si rien ne s'était arrangé pour eux d'ici le retour des chevalier dragons envoyés dans le nord, le roi avait d'ors et déjà prévenu Aymeric que lui et ses compagnons iraient les épauler pour tirer Gordon de ce mauvais pas et découvrir l'origine de la folie de Sandor.
Aymeric se rongeait les sang pour son mentor quand un rugissement victorieux ébranla les murs du château. Il se rua vers la première fenêtre sur son chemin, juste à temps pour voir deux dragons de feu se poser dans la cour.
Il se précipita dehors sans perdre une seconde en dévalant les marches des escaliers deux par deux. Alaman posait le pied au sol quand il franchit les portes du château.
- Al ! cria t-il. Vous êtes enfin là !
Son ami leva la tête vers lui et un grand sourire éclaira son visage fatigué.
- Aymeric ! Tu es rentré avant nous à ce que je vois !
- Moi au moins je n'ai pas traîné en chemin, plaisanta le jeune homme.
- Je n'ai pas traîné, j'ai été séquestré ! s'offusqua le rouquin. Il faut que je vous raconte ! Devant une bière bien fraîche si possible. Je tuerais pour en boire une...
Aussitôt dit, aussitôt fait. Aymeric réunit le reste de leur groupe dans la salle de banquet et Alaman raconta leur voyage pendant qu'ils sirotaient tous une bière. Firenza et Brazidas ajoutaient souvent des détails et Lisbeth n'ouvrit pas la bouche. Comme à son habitude elle conserva un regard hautain en buvant silencieusement sa boisson, peu désireuse de se mêler à la conversation. Alaman acheva son récit en déclarant :
- Fini le nord pour moi ! Je suis bien trop jeune pour devenir père, surtout par la force. Les Valseryes sont complètement folles ! Et vous, comment ça s'est passé ?
Aymeric lui expliqua à son tour avant d'en venir au point qui fâche.
- Vous n'allez pas pouvoir vous reposer très longtemps. Dès demain nous mettons le cap sur Ronto pour venir en aide à nos anciens maîtres.
- J'avais dit plus le nord ! se plaignit Alaman. Qu'est-ce qui se passe encore ?
- Gordon est piégé dans la mine. Sandor refuse de le laisser sortir et condamne l'entrée.
Firenza et Brazidas s'écrièrent à l'unisson :
- Pourquoi est-ce qu'il ferrait ça ?!
Aymeric songea que le voyage les avait rapproché, contrairement à Alaman et Lisbeth qui évitaient à tout prix de poser les yeux sur l'autre.
- C'est ce que nous essaierons de découvrir en nous rendant là-bas. Mais nous devrons rester sur nos gardes : Sandor est très agressif.
- Je sens que ça va encore être une grande partie de plaisir, soupira Alaman avant de vider sa bière d'une traite. Moi qui voulait prendre une semaine de repos...
Il ronchonnait toujours le lendemain soir quand ils montèrent à dos de dragon pour prendre la voie des airs. La nuit venait à peine de tomber mais Aymeric ne désirait pas perdre une seconde. Le souverain de Notterey était prévenu de leur arrivée prochaine grâce à un pigeon voyageur envoyé par le souverain d'Alembras.
Ils adoptèrent un rythme de vol rapide en limitant le temps passé au sol. Ils ne s'arrêtaient que pour permettre aux dragons de se reposer, manger et faire un brin de toilette.
Le jeune homme ressentit un pincement au cœur en survolant le royaume des dragons. Dire que son père était juste en dessous et qu'il ne pouvait même pas aller le saluer. Il avait passé si peu de temps ensemble et ils avaient encore tant à se dire ! Il se promit de trouver une occasion de lui rendre visite, en évitant de se faire assassiner cette fois-ci.
Ils arrivèrent à Ronto après deux nuits et demie de vol. Aymeric et ses compagnons entrèrent dans la ville et s'offrir le luxe de passer le reste de la soirée et une partie de la matinée dans une auberge confortable.
Le jeune homme espérait que les choses ne s'étaient pas aggravées pour leurs aînés pendant qu'ils voyageaient jusqu'à eux.
Il songea qu'il le découvrirait bien assez tôt.  

Chevalier dragon : Tome 3 : Le crépuscule du mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant