Lysange ouvrit les yeux dans une pièce totalement inconnue, légèrement nauséeuse et confuse. Elle fronça les sourcils avant de se souvenir brutalement des derniers événements. Elle se redressa à toute vitesse et un vertige la saisit. Elle se rattrapa à temps à un sommier et prit une grande inspiration pour chasser son malaise. Elle chercha la garde de son épée, à sa taille. Ses doigts se refermèrent sur du vide. Elle jura et vérifia les emplacements de ses poignards : vides. Elle s'efforça de conserver la tête froide.
Elle se trouvait de toute évidence dans une chambre, assez luxueuse et au sol recouvert de tapis épais. Un grand lit à baldaquin, celui dans lequel elle venait de se réveiller, occupait un angle. Une coiffeuse débordante de produits de beauté onéreux et accompagnée d'un petit tabouret se trouvait non loin d'une imposante baignoire en granit cachée par un paravent. Les tiroirs de la coiffeuse ne contenaient que des bijoux, au grand désespoir de Lysange. Dans une grande armoire, elle découvrit une série de robes dignes de dames de la haute noblesse. Elle grimaça face à l'abondance de froufrous, de perles et de fil d'or. Dans un renfoncement de la pièce, cachée derrière un rideau rouge, se trouvait des latrines.
En dehors de ça il y avait une fenêtre, garnie de barreaux, qui offrait une vue imprenable sur l'océan. Lysange sentit l'odeur iodé que dégageait l'étendue salée et entendit le cri des mouettes au loin. A cause de la température clémente, elle comprit qu'elle se trouvait dans le sud. Le voyage avait prit des jours et pourtant elle ne s'était pas réveillée une seule fois. Elle comprenait mieux d'où venait cette faiblesse qui ramollissait son corps entier en lui donnant l'impression d'évoluer dans le brouillard : on l'avait drogué.
Ce constat la remplit d'une rage froide. Elle sursauta quand le bruit d'une clé introduite dans une serrure résonna dans la pièce silencieuse. Elle envisagea brièvement se retourner s'allonger pour jouer l'inconsciente mais préféra rester debout. Deux hommes entrèrent dans la pièce, sur leurs gardes. Le premier, plus crédible dans le rôle du mercenaire que du valet de chambre à cause de sa musculature développée et de la cicatrice qui lui barrait le côté droit du visage, portait un plateau chargé de nourriture.
Le second, tout aussi charpenté et à la mine patibulaire, tenait une carafe d'eau et un verre. Ils déposèrent le tout sur la coiffeuse déjà encombrée et effectuèrent demi-tour sans prononcer un mot ou lui adresser un regard, aussi méfiants qu'elle.
Lysange bondit vers la porte mais elle claquait déjà. Elle eut juste le temps de voir deux gardes armés postés à l'entrée de sa cellule, en surveillance. La chevalière poussa de toutes ses forces sur le battant de bois, mais il était trop tard. On la retenait donc bel et bien prisonnière et elle avait même la désagréable impression qu'on avait préparé sa venue. Pour quelle raison ? Qui aurait intérêt à garder quelqu'un comme elle en captivité ? Le dragon rouge devait avoir la réponse. Malheureusement pour lui, elle n'allait pas attendre qu'il pointe le bout de son nez : elle s'enfuirait avant.
Ses compagnons d'armes devaient certainement déjà être en route, guidés par Ourania. Ce n'est pas pour autant qu'elle allait les attendre ici, les bras croisés. Elle s'évaderait pour mieux les rejoindre et ils regagneraient le château des gardes avant de tirer cette histoire au clair.
Avant ça...Elle avisa la nourriture et son ventre gargouilla sourdement. Elle hésitait à manger. Et si le plat était empoisonné ? Puis elle se dit que c'était une réflexion stupide. Qui la kidnapperait pour l'empoisonner ensuite ? En plus il fallait qu'elle reprenne des forces avant la moindre tentative d'évasion. Qui sait ce qui l'attendrait à l'extérieur ?
Elle mangea donc, tout en élaborant divers plans pour s'enfuir. Dès qu'il ne resta plus une miette, elle se mit au travail. Elle testa d'abord la solidité des barreaux aux fenêtres : impossible à enlever. D'ailleurs s'échapper par là ne l'avancerait pas beaucoup : il n'y avait que l'océan et des falaises à perte de vue, pas la moindre trace d'une échappatoire. Il fallait donc qu'elle concentre ses efforts sur la porte. Elle ne réfléchit pas longtemps à la manœuvre qu'elle devait mettre en place.
Elle s'obligea à dormir, jusqu'à la tombée de la nuit. Dès qu'elle émergea de sa sieste forcée, elle s'étira pour échauffer ses muscles et s'éclaircit la voix. Puis elle se jeta contre la porte comme si sa vie en dépendait en criant :
- Ouvrez ! Pitié, ouvrez ! Je...Je ne me sens...Pas bien.
Elle se laissa tomber et attendit. Rien ne se produisit les premières minutes, puis des chuchotements lui parvinrent. Elle réprima un sourire victorieux quand on déverrouilla la porte. Elle s'efforça de calmer les battements de son cœur et de ralentir sa respiration.
- Rentre pas, c'est peut-être un piège ! lança un des gardes.
- Elle fait plus de bruit, je vais juste vérifier. Si elle nous claque entre les doigts, nos têtes vont tomber, déclara son collègue en pénétrant dans la pièce.
- Si elle s'enfuit aussi ! Le chef nous a dit qu'on devait se méfier avec elle, elle sait se battre.
- Elle est toute frêle, qu'est-ce que tu veux qu'elle nous fasse ? Un câlin ?
Le garde émit un rire graveleux, fier de sa propre blague. Lysange guetta le moment où il se pencherait. Dès qu'elle sentit le souffle du garde sur sa peau, elle se redressa vivement. Son front entra en collision avec le nez de l'homme. Il ne craqua pas comme elle l'espérait mais le choc l'étourdit assez longtemps pour qu'elle s'empare de son arme. Elle saisit l'épée et se rua dans le couloir en coup de vent, avant que le second garde se remette de sa surprise.
Ce dernier, bouche bée, revint dans l'instant présent. Il porta la main à son arme et se prépara à donner l'alerte. Lysange abandonna sa lame pour se jeter au cou de l'homme. Elle entoura son cou avec son bras, passa dans son dos et serra de toutes ses forces. Le garde se débattit furieusement.
Curieusement, il n'utilisa pas son épée pour essayer de la blesser. Son ravisseur désirait sûrement qu'on la garde en un seul morceau et effrayait suffisamment ses hommes pour qu'ils n'osent pas aller à l'encontre de ses ordres. Raison de plus pour le craindre et s'évader au plus vite.
Malgré tout, le garde la laissa pas l'étrangler sans répliquer. Il recula vers le mur le plus proche dans le but d'écraser Lysange contre lui. La jeune sylphe réagit en un quart de seconde : elle bondit à l'horizontale sans lâcher sa victime, posa les pieds sur le mur et s'en servit pour se propulser vers celui d'en face. Le garde, emporté par l'élan, le percuta avec un bruit sourd. Il s'affaissa aux pieds de la chevalière.
C'est alors que Lysange remarqua l'étrange couleur des murs. La roche qui les composait avait une teinte translucide comme du cristal et des veines orangés la traversait. Elle luisait faiblement de l'intérieur. Elle déglutit, un mauvais pressentiment au creux du ventre. Cette pierre...C'est celle qui effaçait le lien entre un dragon et son jumeau ! Ses espoirs de voir ses compagnons arriver pour la secourir volèrent en éclat.
Elle ne se morfondit pas longtemps car un grognement du garde assommé dans sa chambre lui rappela qu'elle ne disposait pas de beaucoup de temps. Si ses amis ne pouvaient pas la sauver, alors elle se sauverait seule.
Lysange ramassa son épée et se précipita à droite du couloir. Il débouchait sur un escalier qui montait. Elle l'emprunta, sans savoir où elle émergerait. C'est un second couloir qui se présenta à elle, creusé dans la même roche malsaine. Elle chercha un nouvel escalier, qui se situait à quelques mètres de là. Elle grimpa les marches quatre à quatre, les sens aux aguets.
Elle arrivait dans un nouveau couloir percé d'une multitude de portes quand elle perçut du remue-ménage depuis les étages inférieures. L'alerte venait d'être donnée. Elle accéléra et passa devant une gigantesque porte double aux panneaux de bois sculptés représentant des dragons en plein combat.
Lysange découvrit un nouvel escalier qui menait à l'étage mais deux gardes qui descendaient lui bloquèrent la voie. Ils écarquillèrent les yeux en l'avisant devant eux et elle en profita pour attaquer. Elle désarma facilement le premier et l'assomma d'un coup de la garde de son épée dans la tempe. Le deuxième lui donna plus de fil à retordre. Contrairement à son camarade, le peu d'espace dans l'escalier ne le gênait pas. Il combattait d'ailleurs avec une lame plus courte qui rappelait plus un poignard qu'une épée. La chevalière entendit alors des cris s'élever à l'autre bout du couloir. Elle allait se retrouver encerclée !
Elle battit en retraite, son adversaire sur les talons. Elle redescendit d'un étage dans l'espoir de semer les gardes. Cet endroit était un vrai gruyère, pleins de galeries et d'escaliers qui semblaient disposés aléatoirement. Elle termina sa course au centre d'une grande place souterraine. Un gigantesque escalier dans lequel s'engouffrait un courant d'air chaud menait vers un étage plus éclairé que les précédents. Elle pressentit qu'il s'agissait de la sortie.
Malheureusement, elle ne posa pas un pied sur la première marche. Des hommes armés jusqu'aux dents surgirent de l'ombre et lui coupèrent l'accès à l'escalier. D'autres se dressèrent dans son dos pour lui couper toute retraite.
C'était terminé mais elle refusa d'abandonner, animée par l'énergie du désespoir. Elle ne croupirait pas ici, elle préférait encore mourir ! Elle leva son épée et se mit en position de combat, prête à charger. Un des gardes émergea de la foule. Elle reconnut celui qu'elle avait assommé dans sa chambre. Armé d'une nouvelle épée, il se précipita sur elle avec de la haine dans les yeux.
Elle para difficilement le premier coup, assené si fort que le choc se répercuta dans ses os. Il l'assaillit sans relâche, débordant de colère. Lysange lutta vaillamment mais, fatiguée par sa course et les doigts glissant à cause de la sueur, son épée finit par lui échapper.
Elle rebondit au sol avec un fracas métallique qui sonna comme un glas aux oreilles de la sylphe. Elle eut un mouvement de recul quand son adversaire leva sa lame contre elle. Elle se prépara à la douleur et même à la mort. Elle regrettait simplement de ne pas pouvoir revoir Aymeric une dernière fois, de ne pas savoir s'il était en vie après les blessures infligées par le dragon rouge et se rassura en se disant qu'ils se réincarneraient ensemble pour mieux se réunir, loin de Ronto ou du dragon rouge. Soudain une main jaillit de l'ombre pour agripper le poignet du garde et le tordre dans son dos. L'homme lâcha son épée avec un cri de douleur.
- N'avais-je pas dit de ne pas la toucher ? susurra une voix de velours.
- Je...Je suis navré seigneur ! La colère m'a aveuglé ! Je ne voulais pas...
- Silence. Tes excuses ne m'intéressent pas. Tu vas payer pour ta désobéissance, quoi que tu dises.
- Non, non ! Je vous en prie ! supplia le garde.
- Je déteste les geignards, soupira l'homme dissimulé par l'obscurité.
Une lame perfora le garde en plein cœur. Ce dernier loucha sur le métal ensanglanté qui sortait de sa poitrine, les yeux exorbités. Il essaya d'articuler un mot qui se transforma en gargouillis. Ses jambes cédèrent et il s'affala au sol.
- Ramenez notre invitée dans sa chambre. Le premier qui ose lever la main sur elle connaîtra un sort pire que la mort.
Personne ne broncha. Lysange, vaincue, se laissa raccompagner vers sa cellule tout en mémorisant soigneusement le chemin. Elle soupira quand la porte se referma derrière elle et se planta face à la fenêtre en se mordillant la lèvre inférieure. Elle avait perdu une bataille mais pas la guerre. Il fallait qu'elle s'échappe au plus vite, pour retrouver les siens. Ourania se rongeait probablement les sangs.
La chevalière retira ses bottes avant de s'allonger. Elle ne souhaitait pas fermer l'œil mais son corps réclamait du sommeil. Elle n'irait pas loin si la fatigue l'alourdissait et brouillait son jugement.
Elle se réveilla avec le soleil, qui entrait dans sa chambre à cause de la fenêtre sans rideau. Lysange s'étira et effectua un nouveau tourde la chambre pour trouver une arme de fortune. C'est en fouillant dans les bijoux qu'elle mit la main sur une broche. La tige métallique à insérer dans le fermoir n'était pas assez épaisse pour blesser mortellement mais elle serait très pratique pour forcer la serrure.
Elle rangeait sa trouvaille dans la poche de son pantalon quand la porte s'ouvrit. Elle se redressa, sur ses gardes. L'homme qui pénétra dans sa cellule ne ressemblait pas à un des nombreux gardes. Il mesurait une tête de plus qu'elle et, malgré la finesse de sa silhouette, elle devina les muscles sous sa peau bronzée. Elle recula d'un pas quand il avança.
Ses yeux jaunes aux pupilles fendues l'examinaient de la tête aux pieds, pensifs. Ce regard ressemblait à celui d'un chat, faussement tranquille. Il avait élégamment peigné ses cheveux rouge sang coupés courts mais quelques petites mèches lui tombaient sur le front. Une cicatrice balafrait sa joue droite et Lysange repéra une discrète boucle d'oreille en argent qui perforait le lobe du même côté.
Comme tous ceux de son espèce, les traits de son visage étaient d'une extrême finesse. Cela accentuait son air de noblesse, déjà marqué par la tenue soignée et distinguée qu'il portait. Son veston sans manche rouge et brodé d'or par-dessus une chemise noire aux manches légèrement bouffantes paraissait de qualité, tout comme les bottes en cuir qui lui montait au-dessus des genoux, par-dessus son pantalon noir.
- Bonjour dame Lysange. Est-ce que vous avez bien dormi ?
- Vous êtes le dragon rouge, dit la jeune sylphe d'un ton dur. Celui qui a incendié Ronto et qui m'a enlevé.
- Je loue votre perspicacité demoiselle, dit-il avec une pointe de sarcasme à peine décelable. Je suis bel et bien ce dragon là, je réponds au nom d'Amagmalion.
- C'est vous qui dirigez cet endroit...Pourquoi m'avoir enlevé ?
- Je n'ai, malheureusement pour vous, aucune envie de vous le révéler. Sachez juste que vous allez nous tenir compagnie pour une durée indéterminée qui va s'avérer...Très longue. Ne me foudroyez pas du regard je vous prie, tâchons de bien nous entendre. Votre chambre vous plaît ?
- Ma prison vous voulez dire.
- Question de point de vue, dit-il en haussant les épaules. Si vous désirez quoique se soit, adressez vous aux gardes à votre porte. Ils ont pour ordre de répondre à toutes vos demandes.
Lysange serra les dents. L'attitude faussement polie d'Amagmalion l'énervait. A quoi jouait-il ? Est-ce qu'il pensait endormir sa méfiance avec de jolis mots et un sourire hypocrite ? Elle n'oubliait pas qu'il avait blessé Aymeric et tué des centaines d'innocents par le feu, sans mentionner son enlèvement ou d'autres crimes qu'elle ignorait encore et qu'il ne lui tardait pas de découvrir. C'était trop pour qu'il soit crédible dans son rôle d'hôte attentionné.
- Je lis sur votre visage une certaine réticence. J'espère qu'elle s'effacera avec le temps, comme vos désirs d'évasion.
Il quitta la pièce et lança par-dessus son épaule, avant de claquer la porte :
- Ce fut un plaisir de faire votre connaissance dame Lysange. Bon séjour parmi nous.
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Chevalier dragon : Tome 3 : Le crépuscule du monde
FantasyDe retour de mission, Aymeric et ses compagnons n'ont pas le droit au repos. Ils partent seconder leurs aînés à Ronto, où un mal mystérieux plongent les dragons dans une rage profonde. L'arrivée soudaine du roi de Talenza et les nouvelles inquiétant...