Chapitre 19 : L'invitation

315 55 7
                                    

Reprendre son train-train quotidien se révéla plus simple qu'il l'avait espéré. Accaparé par les derniers aménagements de sa maison, les entraînements entre gardes et les semailles, il oublia rapidement les rangées de cadavres déformés, la ruine et la désolation. Il y songeait parfois le soir avant de fermer l'œil mais se réconfortait en se disant que le pire était derrière eux et que l'essentiel avait été d'agir pour secourir les survivants, à défaut d'avoir pu prédire la catastrophe.
Concernant les Jours et des Nuits énoncés dans la prophétie, il fallait désormais attendre pour le second miracle. Sur les tablettes ils étaient résumés ainsi : au deuxième Jour, la lumière vengera la perte des innocents et enverra ses treize espoirs auprès des Hommes pour les soutenir face aux désastres et lutter contre l'inévitable.
Des mots mystérieux heureusement éclairés sur une plaque de fer un peu plus loin. Il s'agissait d'une liste décrivant des dons dont la plupart paraissaient magiques. Elle commençait par le dessin de plusieurs étoiles et se terminait par celui d'une paire d'aile qui n'évoquait rien à personne. Thaha suggérait qu'il s'agissait d'un indice pour localiser ces «treize espoirs». La dragonne du savoir passait le plus clair de son temps dans la bibliothèque à élaborer des hypothèses pour déterminer la nature exacte des treize espoirs.
Elle fouillait dans les plus vieux livres qui tombaient presque en poussière pour repérer le moindre indice. Elle partageait ses avancées le soir durant le banquet auquel elle prenait part seulement si elle avait une nouvelle piste à leur proposer. Sinon, comme à son habitude, elle demeurait cloîtrée dans sa chambre à lire en compagnie de sa sœur d'âme.
Les jours s'enchaînèrent à toute vitesse et l'été arrivait déjà quand Aymeric déposa ses dernières affaires dans sa nouvelle chambre. La maison neuve sentait la résine et elle était telle que Lysange et lui l'avaient voulu. La jeune femme arriva justement dans la chambre à son tour, des vêtements dans les bras. Aymeric l'aida à les ranger dans l'armoire sans un mot. Il demanda dès qu'ils furent pendus :
- C'était tes dernières affaires ?
- Oui, répondit très sérieusement Lysange.
Ils échangèrent un regard pétillant de complicité et la sylphe lui sauta dans les bras avec un cri de joie. Il la réceptionna et la fit tournoyer en riant. Ils finirent par tomber sur le lit et s'embrassèrent tendrement.
- Nous sommes enfin dans notre chez nous, murmura Aymeric.
- Il est parfait.
Alaman passa dans le couloir à ce moment-là et lança :
- Attendez au moins que nous soyons partis avant de songer à concevoir des enfants pour occuper les autres chambres !
Lysange éclata de rire tandis qu'Aymeric lançait un coussin en direction du rouquin qui l'esquiva avec une grimace moqueuse. Les amoureux se relevèrent et descendirent l'escalier flambant neuf pour rejoindre leurs amis rassemblés dans la cuisine. Tout ceux qui avaient participé à la construction de leur maison attendaient dans la pièce. Aymeric et Lysange sortirent des verres pour leurs invités, ainsi que des boissons. Ils trinquèrent à la fin du chantier et à leur nouvelle vie de couple.
- Nous n'allons plus vous voir aux repas en commun, se désola Gébald.
- Bien sûr que si. Le château des gardes n'est pas si loin, nous viendrons de temps à autre, le rassura Lysange.
- Quand ils ne seront pas en train de dîner en amoureux, traduisit Alaman avec un sourire canaille.
Pendant que Firenza frappait son jumeau à l'épaule et que le reste de l'assistance riait à la blague du rouquin, Gordon frappa la table du plat de la main et s'exclama :
- Alors, qu'est-ce qu'on attend encore pour pendre cette crémaillère?
Son empressement n'avait rien à voir avec une quelconque envie de vider les lieux. L'œil valide de son ancien maître brillait de fierté. Il voulait simplement voir le bonheur de son fils adoptif se concrétiser un peu plus. Aymeric et Lysange saisirent ensemble la tige métallique à cran qui reposait au centre de la table et la fixèrent au-dessus de la cheminée sous les applaudissements des invités. Et voilà. La touche finale ! Aymeric passa le bras autour de la taille de Lysange. Il réalisait à présent : c'était leur maison, rien qu'à eux.
- J'aimerais vous remercier, dit-il à ses amis. Sans vous cette bâtisse ne serait toujours pas finie. Vous nous avez beaucoup aidé, autant avec vos conseils qu'en nous prêtant main forte. Cette maison est peut-être la nôtre mais si jamais vous avez le moindre problème ou besoin d'un toit au-dessus de la tête, notre porte vous sera toujours ouverte.
Il leva son verre et tout le monde l'imita avec enthousiasme. Lysange ajouta :
- J'ai préparé des petits amuse-bouches, qui en veut ?
- Moi ! dirent les invités à l'unisson.
Leur fête se poursuivit tard dans la soirée. Si les ouvriers du roi, invités au même titre que les autres, partirent tôt, le restant des chevaliers dragons s'attarda. Aymeric partageait un énième verre de vin avec Gordon et Hydronoé. Lysange, Alaman,Ourania, Venerika et Hermas préparaient un dîner rapide en bavardant plus vite qu'ils ne coupaient les légumes. Installés sur le canapé Brazidas, Gébald et Zacharie discutaient joyeusement. Lisbeth demeurait en retrait et regardait pensivement par la fenêtre.
Aujourd'hui elle ne s'était pas montré désagréable mais plutôt effacée. D'ailleurs Aymeric l'entendait de moins en moins souvent critiquer et râler. Comme si elle devenait invisible, presque déprimée. Le jeune homme s'en serait presque inquiété si la princesse ne lui avait pas causé tant d'ennuis par le passé.
Thaha lisait un morceau de parchemin à Kardia et Mirzal, un vieil écrit à propos de la perception des dragons par les habitants d'Hangaï sous la tyrannie du roi Cang, des siècles plus tôt. Quant à Firenza et Sandor, ils échangeaient quelques mots au coin du feu à propos d'amour et de famille.
Aymeric se resservit en vin et Hydronoé lui dit d'une voix pâteuse:
- Tu devrais...Tu devrais peut-être boire moins vite.
Son frère se retint de rire. Le dragon d'eau tanguait sur sa chaise et ses joues empourprées indiquaient clairement lequel des deux était le plus enivré.
- Ce n'est pas tous les jours qu'on fait la fête ! s'exclama Gordon. Tiens Aymeric, remplis mon verre aussi.
Quand l'horizon commençait à s'éclaircir, Aymeric alla enfin se coucher. Cela lui fit bizarre de ne pas dormir dans sa petite chambre du château des gardes. Et cela lui fit encore plus bizarre de se coucher dans un grand lit aux côtés de Lysange. Leur lit. Dans leur chambre. Dans leur maison. Elle se pelotonna contre lui et il savoura son odeur et la chaleur de son corps. Il ne pouvait pas être plus heureux. Il s'endormit bercé par la respiration calme de Lysange.
Le lendemain, alors qu'il rentrait de l'entraînement main dans la main avec sa compagne, un cavalier aux couleurs d'Alembras les apostropha.
- Aymeric Clarence et Lysange Sturm ? demanda t-il.
- Oui, que peut-on faire pour vous ? l'interrogea la jeune sylphe avec son éternel sourire avenant.
- J'ai une lettre pour vous.
Le messager leur tendit une enveloppe. Le cachet de cire représentait un dragon entouré de lierre. Une lettre du royaume des dragons ! Pourquoi son père lui écrivait-il ? Aymeric avait répondu à sa missive précédente il y a peu, comment avait-il pu la recevoir si tôt et renvoyer la réponse si rapidement ?
Il remercia le messager et ouvrit la lettre tout en marchant. Il en tira une feuille rectangulaire de couleur rouge avec des mots écrits à l'encre dorée. Ce n'était définitivement pas une réponse de son père. Avant même de lire le contenu de la lettre, il sut qu'elle était officielle et concernait un événement important.

Le roi Médéril du Dragon et la reine Héléna du Dragon vous invitent au mariage du prince Ezimaël du Dragon et de la princesse Lisbeth d'Alembras.

La suite mentionnait une date ainsi que l'importance d'envoyer une réponse pour confirmer la possibilité, ou non, d'assister à l'événement. Déjà ? s'étonna Aymeric. C'est vrai que l'été s'était installé et qu'il avait plus ou moins oublié cette histoire de mariage. Il désirait à la fois s'y rendre pour revoir son père et son cousin mais aussi rester à Alembras car le royaume des Dragons ne lui rappelait pas que des bons souvenirs.
La dernière fois Hydronoé avait été assassiné. Il se souvenait dans les moindres détails de ce sentiment déchirant de perte, de la rupture du lien entre eux...Il en frissonna, surtout en songeant quel'assassin courrait encore et risquait de resurgir. Il ignorait toujours qui et pourquoi on aurait voulu les viser, son frère et lui. Mais ça ne lui disait rien qui vaille. Lysange sentit son hésitation et posa une main apaisante sur son bras.
- Nous devrions y aller. Ezimaël serait content que tu viennes le soutenir et ton père doit mourir d'envie de te revoir. Ne laisse pas ce qui s'est produit lors de notre première visite te retenir.
Elle avait raison, comme souvent. Fuir le problème n'était pas la solution. Et même s'il perdait Hydronoé de nouveau, il se suiciderait et reviendrait à la vie dans un des nombreux œufs prévus pour de tels cas. La solution, loin d'être idéale, ne constituait qu'un moyen de se rassurer. Le mieux serait de mettre la main sur l'assassin et de l'interroger jusqu'à ce qu'il crache le nom de son commanditaire. Plus facile à dire qu'à faire.
- Je vais y réfléchir.
Sa réponse arracha une moue désapprobatrice à Lysange.
- Tu ne te défiles pas comme ça d'ordinaire.
- Il faut que je demande à Hydronoé. Il est aussi concerné dans cette histoire.
- Il n'est pas obligé de venir avec nous s'il n'en a pas envie, dit sa compagne.
- Oui mais si je meurs là-bas une deuxième fois il le sentira et il en mourra à son tour. Je veux son approbation.
Il fit demi-tour en direction du château des gardes. Hydronoé lisait dans la bibliothèque avec Firenza et Brazidas et releva le nez à l'approche d'Aymeric. Il sourit et demanda :
- Tu viens te joindre à nous pour le dîner de ce soir où est-ce que tu as envie de me parler du mariage du prince Ezimaël ?
- Tu es au courant ? s'étonna Aymeric. Grâce au lien ?
- Non. Grâce a ceci.
Son jumeau tira un carton d'invitation rouge de la poche de son pantalon. Brazidas et Firenza l'imitèrent.
- Vous êtes tous conviés au mariage ?! s'écria le demi-dieu.
- Allez savoir pourquoi ! dit Firenza. Tous les chevaliers dragons de notre génération ont reçu une invitation. Je suppose que le roi cherche une façon de se faire pardonner pour ce qui s'est produit la dernière fois.
- Ma sœur m'a dit que son père et sa mère ont besoin d'une escorte pour leur séjour au royaume des Dragons et que c'est la raison pour laquelle nous sommes invités, expliqua Brazidas avec un haussement d'épaule.
- Alors pourquoi le roi n'a pas envoyé un ordre de mission ? le questionna Aymeric.
Le dragon de feu fit signe qu'il n'en savait rien, aussi perdu que lui. Hydronoé déclara joyeusement :
- J'espère que ça sera une belle cérémonie.
- Tu as envie de t'y rendre ? demanda son frère.
- Bien entendu, répondit le dragon d'eau en fronçant les sourcils. Pas toi ? On assiste pas à un mariage royal tous les jours.
- A vrai dire...Si tu n'avais pas voulu retourner là-bas, je n'aurais pas assisté à ce mariage.
Son frère leva les yeux au ciel et lança avec un sourire :
- Alors heureusement que j'ai accepté l'invitation et que j'ai déjà répondu à la lettre pour confirmer ma présence.
Aymeric remercia mentalement son jumeau. Il ne culpabiliserait pas de se rendre au mariage en risquant de mettre la vie d'Hydronoé en danger si son frère d'âme consentait à y assister avec lui de son plein gré. Il regagna sa maison, le cœur plus léger. Lysange l'attendait dans la cuisine, en train de couper des légumes pour le dîner.
- Alors ? s'enquit-elle.
Aymeric soupira et s'efforça de chasser ses derniers doutes.
- Très bien. Nous irons.

Chevalier dragon : Tome 3 : Le crépuscule du mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant