Izumi revint dans la pièce, décrochant son tablier, attrapant son sac, imitée par Cub dans le moindre de ses gestes.
- On y va ?
- Oui ! répondis-je, avant d'adresser un dernier mot à mon frère. Travaille bien, Ed !
Je quittai la pièce à la suite des deux autres avec un dernier geste de main à l'adresse de mon frère, puis traversai le jardin, accueilli par un coup de vent faisant bruisser les arbres dont les feuilles jaunissantes scintillaient sous le soleil.
La marche jusqu'au lac passa rapidement, de discussions légères en questions. Cub gambadait joyeusement, revenait de temps à autre nous montrer des feuilles mortes en demandant à quelle espèce d'arbre ils appartenaient, puis cherchant le tronc correspondant.
- Merci de t'occuper de lui, murmura-t-elle.
- Hm ?
- ça représente beaucoup que tu ne le juges pas malgré ce qu'il est. Que tu ne me juges pas, aussi.
- Comment je pourrais vous juger ? Je n'ai pas été mieux, rappelai-je.
- Et ça, ça vient de quoi, comme arbre ? fit le petit brun, déboulant de nouveau sous nos yeux avec une feuille jaunie à la main.
- Ça, c'est une feuille de bouleau, répondit-elle avec un sourire. Un arbre tout en hauteur, avec une écorche blanche.
- D'accord. Un bouleau, un bouleau, marmonna-t-il en repartant à grands pas sur le chemin de terre humide.
- Ta réponse a l'air tellement évidente, reprit-elle. C'est justement ce qui fait ta force.
- Comment ça ?
- Ta capacité à accepter l'autre.
J'hésitai, cherchant si je devais répondre, et quoi. Cela rejoignait ce que m'avait dit mon frère lors de notre réconciliation, mais je ne savais pas comment j'étais censé le prendre. C'était vrai qu'Edward n'était pas comme moi à ce niveau-là. Il était extraverti, colérique, buté, même. Mais je ne parvenais pas à voir cela comme des défauts, parce que je savais que cette force de caractère était ce qui lui avait donné la force de se relever et d'avancer, quoi qu'il subisse.
Je n'avais pas vécu ce qu'il avait vécu, et quand je voyais comment je pataugeais dans mes problèmes alors que mes difficultés étaient dérisoires à côté des siennes, je n'arrivais pas à ressentir autre chose de de l'admiration. Et, sans l'ombre d'un doute, de la jalousie, face à cette volonté dont j'étais dépourvu.
Cub revint de nouveau, une feuille de tremble à la main, et Izumi s'appliqua à lui expliquer comment, parce que le pédoncule était plat et non pas tubulaire, ses feuilles bougeaient au moindre souffle de vent pendant que sur d'autres arbres, elles restaient immobiles. Sa curiosité envers le monde et son envie d'apprendre tout et n'importe quoi me rappelaient ma propre enfance, quand, avec mon frère, nous abreuvions notre entourage de « pourquoi ? ».
Je me rappelais encore l'immense frustration que j'avais éprouvée dans la période où Edward commençait à savoir lire alors que je n'y arrivais pas. Je m'étais acharné pour le rattraper, sans jamais y arriver. Il avait toujours été quelques pas devant moi, et depuis que l'accident du cinquième laboratoire nous avait écartés, il semblait être devenu inatteignable. Pourtant, j'essaierais encore et encore d'arriver à sa hauteur. Et j'avais senti, quand il me parlait de notre passé, quand il me tendait la main pour nous réconcilier, qu'il essayait, lui aussi, de me retrouver. Cela donnait envie de continuer mes efforts.
- Ça va, Alphonse ? fit Izumi d'une voix douce. Tu ne parles pas beaucoup.
- Ah ! Désolé, j'étais un peu perdu dans mes pensées, avouai-je avec un sourire gêné.
- Je comprends, ce n'est pas une période facile pour vous. J'espère qu'aujourd'hui nous apportera quelques réponses.
- Oui, moi aussi, confirmai-je en hochant la tête.
Ces journées de calme et d'ennui songeur me procuraient des sentiments contradictoires : d'un côté, l'impatience de comprendre, de voir quelque chose de tangible émerger de nos heures de recherches et de réflexion, de l'autre, l'impression confuse que le jour où nous commencerions à trouver des pistes, ce serait la fin de cette accalmie. Si Cub devait s'avérer être un ennemi, je n'étais pas si pressé de le découvrir. Surtout qu'un Homonculus pratiquant l'alchimie, c'était à priori impossible. Cela pouvait faire de lui un adversaire particulièrement redoutable.
Après cette longue marche, nous arrivâmes au bord du lac. Les yeux de Cub brillèrent quand il revit l'île familière, et je songeai avec un pincement au cœur que je n'avais vraiment pas envie d'imaginer qu'il puisse être un monstre, et de devoir admettre que l'expression candide de ses sentiments était fausse.
Nous nous dirigeâmes vers le ponton dont les piliers de bois baignaient dans l'eau paresseuse du lac, pour monter dans la barque amarrée tout au bout. Je posai prudemment le pied sur les planches de bois jointes, testant la stabilité de l'embarcation avant de monter. Je n'étais pas très bon nageur, et jamais très à l'aise dans ou sur l'eau.
Izumi s'installa à son tour, puis Cub bondit dans la barque de manière beaucoup plus désinvolte, la faisant tanguer dangereusement. Izumi prit la barre et je me mis à ramer au milieu, tandis que Cub regardait autour de lui avec une fébrilité enthousiaste, faisant pencher le bateau au gré de ses mouvements. Izumi finit par lui ordonner fermement de s'asseoir pour arrêter de nous faire tanguer.
Nous n'étions plus loin de l'île quand je sentis que j'avais cogné quelque chose de ma rame gauche. Surpris, je me penchai pour voir si ce que j'avais touché était un haut fond ou autre chose, et je découvrais les contours sombres de ce qui devait être un poisson particulièrement imposant.
- Ouah, il est énorme ! m'exclamai-je tandis que la silhouette noire se renfonçait dans les profondeurs des eaux troubles.
- Quoi, quoi ? ! Où ça ? s'exclama Cub en sautant sur ses pieds pour se pencher par-dessus mon épaule.
Je ne pus lui répondre, nos deux corps à l'extrémité de la barque et son mouvement brusque étaient de trop. Juste assez lentement pour que je puisse comprendre que la chuté était inéluctable, la barque chavira, nous jetant tous les trois à l'eau.
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Bras de fer, gant de velours - Troisième partie : Dublith
FanfictionChamboulé par ses dernières découvertes, Edward décide de quitter Central pour retrouver Izumi et lui demander conseil, accompagné par Al et Winry. Pendant que l'équipe de Mustang démêle les conséquences de l'attentat du passage Floriane, Les deux...