Chapitre 9 - 8 : Sergent Hayles (Riza)

54 9 0
                                    


C'est à pas vifs que je revins au quartier général, quelques heures plus tard, la mine résolue. La matinée était passée en un clin d'œil, le temps de rentrer, promener Black Hayatte qui m'attendait comme le messie, manger, et m'effondrer dans le canapé, prête à rattraper ma nuit en faisant un tour de cadran.

Pourtant, je n'avais pas dormi longtemps avant de me rasseoir sur le siège, bien réveillée. Je n'étais pas en pleine forme, mais cette heure de sommeil avait suffi à me redonner un coup de fouet. Et un inexplicable sentiment d'urgence m'empêchait de dormir davantage. Je passai quelques minutes, à ruminer en caressant pensivement Black Hayatte. J'aurais dû prendre un repos bien mérité après ces journées particulièrement intenses, mais je n'y arrivais pas. Je ne pouvais pas m'empêcher de me dire que c'était trop facile pour être honnête. Plus j'y repensais, plus la stupéfaction d'Erwing me paraissait sincère, et son innocence, certaine. Quel intérêt aurait-il eu à se saborder en sachant qu'il était le seul à connaître ses intentions ? L'homme dans le coma était-il une si grande menace pour les terroristes qu'il explose sa couverture pour une attaque, ratée de surcroît ? C'était peu probable.

Je me levai, et Black Hayatte me regarda avec des grands yeux plein d'inquiétude. Je lui grattai l'arrière de l'oreille avec quelques mots rassurants. Lui qui avait toujours vécu sa vie comme une horloge bien huilée, il semblait complètement perdu dans ces journées qui se suivaient sans se ressembler.

Je passai à la salle de bain me passer de l'eau sur le visage et me recoiffer un peu mieux que ce chignon fait à la hâte dans les couloirs du QG, tâchant de ne pas remarquer les amples cernes qui me barraient le visage. En soi, je me fichais d'avoir l'apparence d'un cadavre, mais je prenais au sérieux les signaux que m'envoyait mon corps, bien consciente que je tirais sur la corde. J'étais moins résistante au manque de sommeil qu'il y avait quelques années ; sans doute commençai-je à vieillir.

Je sortis de la pièce, repris mon sac dans lequel je fourrai deux pommes, un reste de fromage dans son papier et quelques tranches de pain. On ne m'aurait pas deux fois à me laisser surprendre par la faim. Je me retrouvai sur le seuil de la porte, Black Hayatte me regardant avec des yeux de chien battu. S'il avait pu parler, il m'aurait sans doute dit « Tu repars déjà ? On s'est à peine vus ! », et il aurait eu raison. C'était peut-être stupide de ma part, mais j'avais la conviction au cœur que rien n'était fini. La taupe courait toujours, le prisonnier restait menacé, et mes collègues par la même occasion. S'il arrivait à l'un deux quelque chose que j'aurais pu éviter, j'aurais eu du mal à me le pardonner.

L'air frais et venteux de l'extérieur acheva de me réveiller. En cette fin de matinée, le temps était gris et morne, faisant bien comprendre que l'automne était là pour de bon. Les jours continueraient à raccourcir, les arbres à brunir, la température à chuter, durant de longs mois d'austérité. J'avais toujours trouvé cette saison terriblement mélancolique, ce qui ne m'empêchait pas de l'apprécier, d'une certaine manière.

J'arrivai au Quartier Général et traversai les couloirs à la hâte, croisant la foule anonyme des militaires qui ne m'avaient pas été présentés. L'heure du repas était imminente, les bureaux se vidaient de leurs usagers pour remplir le réfectoire comme l'eau d'une carafe dans un verre. Je voyais passer ces silhouettes habillées du bleu intense des uniformes, songeant que quelque part, parmi eux, se trouvait le traître. Malgré la cohue, j'arrivai rapidement à la salle d'interrogatoire. Je toquai à la porte, et attendis l'autorisation avant de rentrer. Poussant la porte, je fis irruption dans la pièce. Le Colonel leva vers moi des yeux surpris.

- Lieutenant ?

- Je peux vous parler un instant ? demandai-je.

Il hocha la tête sans répondre et se leva, laissant l'homme seul avec ses gardiens. Aussitôt la porte fermée, je pris la parole.

- Ça ne fait aucun doute qu'il est innocent, fis-je. Il n'a manifesté aucun signe de méfiance durant toute ma garde, ni de résistance lors de son arrestation. S'il était coupable, il se serait préparé à cette éventualité.

- En effet, répondit-il en se grattant l'arrière du crâne, réprimant un bâillement las. Trois heures que je l'interroge, et il prétend n'être coupable de rien. Mais je ne peux pas baser son innocence sur une simple observation de son comportement, n'est-ce pas ?

- En effet. Mais si on met ça à part... D'un point de vue purement objectif : ce serait stupide de sa part de faire voler une position aussi stratégique pour un simple témoin, n'est-ce pas ?

- En effet, étant donnée la manière dont il s'est rendu, ça ne fait pas un pli. Mais il ne voit aucune piste, il jure n'avoir communiqué à personne d'autre que moi sur le sujet.

- Et ses subordonnés directs ? demandai-je dans un murmure.

- Il soutient qu'il n'en a rien dit, et il conserve sous clé les dossiers sensibles.

- Mmmh... fis-je, songeuse.

Il fallait pourtant que le coupable se trouve quelque part. Il allait être forcé d'agir de nouveau, tôt ou tard.

- Et les attaquants de l'hôpital ?

- Ils sont interrogés en ce moment même par le Lieutenant Kramer et son équipe. Pour l'instant, il n'a pas réussi à les faire craquer, ils restent sur leur première version, celle selon laquelle ils ne connaissent pas les commanditaires.

- Ça me paraît étrange que des petites frappes se retrouvent liées au réseau terroristes dans une affaire aussi sensible.

- En même temps, c'est plutôt malin de leur part : même si la mission est un échec, au moins, ces prisonniers ne peuvent rien dire sur les plans du Front de l'Est.

- Et l'adresse où a été passé le coup de téléphone ?

- Fuery a dû laisser les recherches en attente à cause de son tour de garde à l'hôpital.

- Je vois. Étant donnée la situation, il ne faut pas relâcher la surveillance. Mais cela rend l'affaire encore plus difficile à résoudre.

Un soupir fut poussé à l'unisson, et Mustang se frotta les yeux de ses paumes, envahi de lassitude.

- Vivement que cet homme se réveille et parle, qu'on en finisse avec cette attente, souffla-t-il.

Je ne pouvais pas lui donner tort. Cette méfiance permanente était usante.

- Au moins une bonne nouvelle, Falman est en meilleur état qu'hier, m'annonça-t-il Il est parti relever Fuery d'ailleurs.

Je hochai la tête. C'était un petit réconfort. L'ajout d'une personne supplémentaire allait diminuer les heures réparties et rendre la situation un peu plus vivable.

- Je vais peut-être aller au bureau, rassembler les recherches accumulées jusqu'ici. Peut-être que quelque chose en ressortira... et puis, vous saurez où me joindre en cas de besoin.

- Je retourne à mon interrogatoire alors, fit-il en faisant craquer sa nuque et ses épaules. Je ne vais pas le laisser souffler trop longtemps.

Il referma la porte derrière lui, s'enfermant pour un tête-à-tête qui promettait d'être encore long. 

Bras de fer, gant de velours - Troisième partie : DublithOù les histoires vivent. Découvrez maintenant