Chapitre 12 - 7 : Vulnérable (Roy)

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Quand le réveil sonna le lendemain, une douleur se vrilla dans mon crâne pour ne plus en sortir. Je levai un bras mou pour éteindre le réveil d'une claque, et restai affalé, perclus de fatigue, migraineux, la langue pâteuse.

- Oh bon sang, murmurai-je, le nez dans mon oreiller.

Toutes ces sensations étaient désagréablement familières. J'avais la gueule de bois. Pas la plus affreuse de ma vie, loin de là, mais assez pour me donner envie de rester comater chez moi jusqu'au soir.

Je n'ai pourtant pas bu tant que ça, pensai-je avec dépit avant de me rappeler que j'avais fini la bouteille de vin rouge entamée pendant que je préparais le repas. La fatigue avait fait le reste. J'aurais dû préméditer et boire davantage d'eau avant de dormir, mais j'étais tellement épuisé que sur le coup, je m'étais effondré sur mon lit sans réfléchir.

J'allais avoir toute une matinée de douleur pour regretter amèrement mon inconséquence.

Un fois cette prise de conscience achevée, je me levai avec un soupir désespéré et l'impression de grincer de toutes parts. Je détestais me sentir vaseux, et l'expérience m'avait montré que cet état désagréable allait durer, au minimum, une demi-journée.

- Dans la joie et la bonne humeur, grommelai-je ironiquement avant de tirer de mes placards des sous-vêtements, une chemise et un pantalon d'uniforme propre et de me traîner jusqu'à la salle de bain.

Quand j'en ressortis, quelque temps plus tard, j'étais certes plus présentable, mais toujours profondément maussade. Je préparai un café que je chargeai particulièrement, jetant un coup d'œil hésitant à la huche à pain. Manger me réveillerait peut-être... mais j'étais aussi nauséeux.

Non, je vais juste prendre mon café, me ravisai-je. Si je me mets à avoir faim, je pourrai toujours faire un crochet à la cafetaria. Après tout, maintenant, que Fisher est emprisonnée et la fillette retrouvée, je vais pouvoir travailler avec moins de pression.

Je m'assis donc à la table pendant que je café passait, trop somnolent pour finir de lire le journal que j'avais acheté hier sur le chemin du retour. Ce n'était pas par soucis d'être informé, puisqu'en tant que militaire, j'étais à la source de beaucoup de renseignements, mais plutôt pour savoir comment les civils l'étaient. Quelles informations avaient-ils reçues de l'enlèvement de la fillette, et sous quel jour avait été présentée mon équipe ? Avaient-ils étés dépeints en héros, ou au contraire fustigés pour leur manque d'anticipation ?

Ce n'était pas ce matin que j'allais le savoir. Sursautant après avoir piqué du nez, je me tournai vers la cafetière, et me levai pour me servir une tasse. J'en aurais bien pris un bol entier si j'avais eu plus de temps devant moi.

Je ne devais pas tarder à arriver au quartier général pour interroger Mary Fisher. Elle avait été enfermée pour la nuit dans la cellule haute sécurité du quartier général. Nous n'avions pas pris le risque de la transférer, et nous ne voulions pas faire traîner l'interrogatoire. Cette affaire avait déjà montré les sacrifices qu'ils étaient prêts à faire pour la dissimuler. Ma tentative d'hier avait été franchement décevante, elle n'avait même pas desserré les mâchoires. Je voyais se profiler de longues journées d'acharnement à l'interroger avant qu'elle craque, peut-être même des semaines. Il fallait s'atteler à la tâche au plus tôt. Je bus donc rapidement mon café avant d'aller chercher ma veste d'uniforme, mon manteau, de me chausser et partir.

En poussant la porte de l'immeuble, je découvris avec une grimace qu'il pleuvait à grosses gouttes. Poussant un soupir, je remontai chercher mon chapeau, puis, comme je n'avais pas le choix, sortis sous l'averse.

A pas pressés, je parvins à l'arrêt de trolley au moment où l'un d'eux arrivait, et sautait sur la plate-forme arrière. Comme on pouvait le craindre à cet horaire, le véhicule était bondé, et je n'eus pas d'autre choix que de rester là tout le trajet, subissant les secousses, le vent et les gouttes souillées d'avoir roulées sur les vitres poussiéreuses. Au moins, je ne risquais pas de me rendormir dans ces conditions. Je n'avais que quelques stations pour ce trajet que je faisais bien souvent à pied, mais ce fut bien assez pour ressasser plein de sombres prophéties. Chanceux comme j'étais, j'allais apprendre qu'il y avait eu un problème avec Mary Fisher, Juliet Douglas allait fomenter de sombres projets et Edward s'était mis dans de sales draps. J'en étais convaincu.

Aussi, quand j'arrivai à mon bureau et trouvai toute mon équipe sur le pont, de bonne humeur malgré la fatigue, et qu'Hawkeye me demanda si je voulais qu'elle m'accompagne pour l'interrogatoire, cela me parut anormalement positif.

- Ce n'est pas de refus, je pense qu'elle va nous donner du fil à retordre, soupirai-je.

- Courage, Colonel, fit Havoc.

- Merci. Courage à vous aussi pour les dossiers.

Le grand blond grimaça avant de replonger dans les papiers qui jonchaient son bureau, tandis que je fermai la porte derrière moi. La pièce était tellement envahie de paperasses qu'on aurait dit qu'il avait neigé en notre absence. Et ça n'était pas près de s'arrêter, l'armée allait devoir réparer le chaos que Mary Fisher avait laissé derrière elle avant de tenter de se faire exploser. Quelqu'un qui est habitué à gérer des dossiers sait aussi comment gripper la machine le plus efficacement possible en un minimum de temps. Et à ce niveau, elle avait été diaboliquement efficace. Des dossiers avaient disparu, d'autres avaient été déplacés, et surtout, toutes les fiches d'archivages détruites. Au milieu de cette nuée de dossiers soigneusement triés, elle avait trouvé plus efficace que de détruire les documents sensibles un a un. Elle s'était attaquée au catalogue, dont une partie non négligeable des pages avaient disparu. De quoi rendre les bibliothécaires fous pendant de longues semaines, eux qui allaient devoir travailler comme des bêtes pour garder accessibles les documents que les militaires n'allaient pas manquer de leur demander, reconstituer l'index, et après, seulement après, estimer les pertes, les documents manquants.

Mais tôt ou tard, nous finirions par savoir ce qu'elle avait fait complètement disparaître des rayonnages.

Tôt ou tard, nous finirions par dénicher ce qu'elle cherchait à cacher. 

Bras de fer, gant de velours - Troisième partie : DublithOù les histoires vivent. Découvrez maintenant