Chapitre 12 - 2 : Vulnérable (Roy)

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J'étais en train de sortir les pièces de mon dossier, sentant le regard brûlant d'attention du Général de Division Lewis, ainsi que celui de Kramer, qui avait avec lui une partie de son équipe, tout comme de mon côté, Havoc et Fuery étaient venus avec moi. Le sténographe était présent, lui aussi, et faisait craquer ses phalanges en attendant de devoir commencer à noter les échanges. Mais il manquait le plus important.

– Vous êtes prêt à commencer votre rapport ? demanda Lewis d'un ton un peu impatient.

Je pouvais le comprendre, il avait d'autres subordonnés que moi, d'autres affaires. Ce qui était pour moi l'ennemi de ma vie était sans doute un élément de la longue liste de choses qu'il avait à gérer. Il fallait être concis.

– Presque, Général, répondis-je d'un ton aussi assuré que possible.

Hawkeye était en retard. Ce n'était pas habituel, et cela bouleversait mes plans. Je ne me voyais pas prendre le risque de convoquer Fisher sans sa présence, et je l'avais prévenue juste avant d'aller en salle de réunion que j'allais avoir besoin qu'elle m'apporte certains dossiers, en lui donnant une heure précise. J'avais huilé ma présentation pour pouvoir présenter mes nouvelles pistes de recherches avec le timing idéal, sans penser qu'une personne aussi inflexible qu'Hawkeye pouvait me faire défaut et me retarder.

Depuis l'empoisonnement de notre terroriste, j'avais eu le temps de réfléchir à de nouvelles pistes. Nos premiers attaquants n'avaient aucun lien visible avec le Front de libération de l'Est et se présentaient d'eux-mêmes comme des mercenaires, prenant les missions sans avoir de supérieur attitré. Au bout de plusieurs jours d'interrogatoires, leur avis n'avait pas bougé d'un pouce. Il n'y avait rien à tirer de ces deux-là, et ils disaient probablement vrai.

Ceux qui avaient enlevé la gamine, en revanche, faisaient partie du réseau. Ils étaient une première piste. La seconde, en cours d'étude, était celle des fournisseurs des terroristes. Qui leur vendait les armes et la dynamite ? En essayant de retracer le matériel, nous allions peut-être avoir un nouvel angle d'attaque. Malheureusement, c'était un travail de longue haleine de remonter leur trace, et même si Fuery et d'autres travaillaient dessus, cela prendrait un moment avant d'avoir des résultats. Quant au troisième, c'était la taupe... Mais ce point, je comptais l'énoncer une fois Mary Fisher menottée et mise face aux indices la concernant. Et bien qu'Havoc soit un bon agent de terrain, en l'absence d'Hawkeye, l'opération était immédiatement plus risquée.

J'entendis toquer à la porte.

– Entrez, répondit Lewis d'un ton sévère.

La silhouette blonde qui passa par l'entrebâillement m'amena un sourire. Hawkeye venait d'arriver, légèrement essoufflée. Je remarquai que son chignon n'était pas aussi impeccable que d'habitude et compris qu'elle avait dû partir en retard.

– Je suis désolée de mon retard, Général, Colonel, souffla-t-elle en s'inclinant vers nous en signe d'excuse.

Le général en question la fixa avec une expression sévère qui correspondait bien à son apparence de vieux lion.

– Êtes-vous prêt, Colonel ? répéta-t-il.

– Oui, mon général.

Hawkeye se faufila pour s'installer derrière moi, aux côtés d'Havoc. Je me tournai vers elle.

– Lieutenant, pouvez-vous rester près de l'entrée ? J'aurais besoin que vous gardiez un œil sur la pièce.

Elle leva les yeux vers la porte, puis croisa mon regard et un éclair de compréhension passa dans ses yeux. Je n'avais pas eu le temps de lui parler avant la réunion, mais elle me connaissait bien assez pour savoir ce que j'attendais d'elle. Elle se releva pour s'installer contre le mur, à l'endroit que je lui désignai, avec une docilité un peu lasse. Ainsi debout, à l'écart des autres, elle donnait l'impression d'être une paria. J'avais un peu honte, mais je savais qu'il fallait qu'elle reste, autant que possible, libre de ses mouvements. On ne savait jamais.

Je m'éclaircis ma gorge, et commençai mon compte-rendu en faisant fi de mes tempes endolories et de mon estomac noué.

Je fis défiler les informations et tâchai de garder mon aplomb en voyant le Général de Division regarder ostensiblement sa montre. Je commençai par éliminer rapidement les pistes qui ne menaient nulle part, mais qui, malgré tout, nous renseignaient sur nos ennemis. Par exemple, qu'ils étaient suffisamment en contact avec les réseaux mafieux pour pouvoir faire appel à des mercenaires. Je fis un compte-rendu succinct de ce que nous avait appris l'interrogatoire des deux kidnappeurs. Peu de choses, en l'occurrence, ils étaient tout en bas de l'échelle et n'avaient pas de contacts directs avec les meneurs du mouvement. Mais c'était tout de même un début. Quelques noms, quelques lieux à surveiller pour s'ancrer quelque part et remonter patiemment la piste, jusqu'à retrouver ceux qui tiraient les ficelles.

Je ne m'attardai pas longtemps là-dessus, sachant que j'avais du retard à rattraper. Enfin, je laissai la parole à Fuery qui exposa brièvement les possibilités qu'offrait l'identification de l'armement utilisé lors du passage Floriane. Il n'avait pas parlé une minute qu'on entendit trois coups étouffés à la porte. Havoc se leva pour ouvrir, laissant entrer Mary Fisher portant un plateau avec une cafetière et une série de tasses, un dossier sous le coude, avec la même expression aimable et effacée qu'elle avait toujours eue.

L'expression du Général Lewis s'éclaircit un peu à sa vue.

– Je vous ai apporté les rapports des sergents Marshall et Bailey, Colonel Mustang, fit-elle avec sa voix douce, un peu sourde, qui la rendait si transparente.

– Et du café, à ce que je vois, commenta Lewis avec un sourire. Votre prévenance est touchante !

– Merci, mon Général, fit-elle en posant le plateau sur une des tables rangées le long du mur avant de tendre la liasse de papier à Fuery, qui me la donna à son tour.

Je lançai un regard entendu à Hawkeye, qui hocha la tête. Tandis que Fisher versait le café avec un calme à faire douter de son implication et que Fuery reprenait ses explications, j'ouvris le dossier pour rechercher les informations nécessaires et prendre le relais, en gardant un œil sur le coin de la pièce. Je me sentais extrêmement tendu, et je ne devais pas être le seul, mais la voix amicale de Fuery le dissimulait fort bien.

Mon regard tomba sur le titre du rapport, me laissant juste le temps de remarquer qu'il n'avait rien à voir avec ce que j'avais demandé, quand je vis Hawkeye bondir, éclair bleu roi qui fondit sur la secrétaire. Comme tout le monde dans la pièce, je sursautai et me retournai, voyant la secrétaire se débattre, aux prises avec Hawkeye qui avait enveloppé sa main droite d'une prise tremblante.

Une pièce de métal tomba au sol avec un tintement discret, mais qui me fit froid dans le dos. Je reconnus la goupille d'une grenade, avant que Fisher ne la fasse valser sous un meuble d'un coup de pied, puis se retourne vers son assaillante avec un feulement de rage, luttant pour dégager sa main fermée sur le projectile. 

Elle lâcha un coup de poing dans les côtes de la blonde, qui se plia sous le choc, mais ne lâcha pas prise et répondit par un direct en plein visage avant de la faire reculer et tomber en arrière d'un coup de pied. Durant ces quelques secondes, j'avais eu le temps de blêmir en fixant la grenade dégoupillée enserrée dans les griffes de leurs deux mains. D'un pouce aux phalanges blanches, luttant contre les efforts de son ennemie, Hawkeye maintenait en place la cuillère, empêchant le mécanisme de se déclencher. Nous n'étions pas morts. Pas encore.

Bras de fer, gant de velours - Troisième partie : DublithOù les histoires vivent. Découvrez maintenant