Chapitre 2 - 2 : Le prothésiste (Winry)

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- Ce mec est complètement perché, murmura Edward en descendant les marches de l'atelier. Je n'arrive pas à quoi savoir quoi penser de lui.

- Je pense que c'est juste un passionné, répondis-je en lui adressant un sourire encourageant.

Je devais avouer que les lieux n'étaient pas tout à fait rassurants. Mais d'artisan à artisan, j'avais toute confiance en la qualité de son travail. Je n'avais jamais rien vu d'aussi impressionnant.

- Oh, mais j'y pense, avant de faire les moulages, il faut que nous nous mettions d'accord sur la commande exacte, n'est-ce pas ? Tout d'abord, souhaitez-vous conserver l'anonymat dans vos démarches ? demanda-t-il comme si c'était tout naturel.

- Oui, s'il vous plait, murmura Edward à ma place.

Je hochai la tête pour confirmer, puis je me lançai dans une grande discussion technique avec lui à laquelle Edward décrocha rapidement, regardant d'un œil vague le mur devant lui, détaillant chaque bidon, chaque pot, chaque bande, chaque moule, chaque outil, chaque objet que son regard pouvait attraper. Tandis que j'étalais les croquis, plans et géométraux grandeur nature des nouveaux automails de mon ami, celui-ci déambula dans la pièce en observant les lieux, lisant chaque étiquette pour tromper sa nervosité et son ennui. Il s'arrêta devant une étagère chargée de dizaines de petits pots de peintures représentant des dizaines de nuances de couleur peau. S'il lisait chaque étiquette, cela lui prendrait un moment.

Je détournai la tête et me concentrai de nouveau sur la conversation. Plan à l'appui, je désignai les mécanismes d'articulations, expliquant les mouvements que permettrait mon automail et leur amplitude. 

J'avais amélioré la souplesse de l'épaule et intégré un système de plaques glissantes dans l'avant-bras qui permettaient de davantage tourner le poignet, et j'avais ajouté une rangée d'articulation supplémentaires sur le pied pour en améliorer le réalisme. Un système de coques à fixations multiples permettrait aux automails de donner l'illusion de muscles se gonflant quand les membres de métal seraient pliés au niveau de la cuisse et du mollet. J'avais pondu toute une série de trouvailles de ce genre dont je n'étais pas peu fière. Pendant que je présentais tout cela en détails, le petit homme hochait la tête, l'œil brillant.

Une fois mes explications terminées, ce fut à son tour de sortir son carnet, ses boîtes d'échantillons et de partir dans des explications techniques. Quelle épaisseur de latex ? Trop fine, la peau risquait d'être translucide et trop fragile. Trop épaisse, elle risquait d'empâter l'automail et d'en gêner les mouvements. Quel degré d'élasticité ? Comment fixer la matière aux articulations sans entraver le mécanisme ?

Autant de questions passionnantes qui nous occupèrent un long moment. Échangeant nos contraintes techniques comme si nous jouions aux cartes, il me tendait des échantillons, observait avec quelle facilité le latex coulissait sur les différents alliages dont j'avais apporté des plaques d'échantillon, me posait des questions, dressait des hypothèses sur les problèmes que nous pourrions rencontrer... 

Sous ses conseils, je notais quelques retouches pour affiner les articulations de la main, l'œil brillant. Jamais de ma vie je n'avais eu de discussion aussi passionnante. Ce qui se passait dans ce sous-sol, j'en étais convaincue, c'était l'union du meilleur de deux mondes, et j'en faisais partie ! Comment ne pas être émue de participer à ce challenge historique ?

- C'est le mécanisme à ne pas rater, tout le monde se serre la main, n'est-ce pas ? commenta le petit homme avec un sourire. Et pour l'heure, ce jeune homme, on ne peut pas ignorer qu'il porte un bras de fer !

Le jeune homme en question tourna la tête vers nous, reposant le bidon dont il lisait la notice d'utilisation avec l'expression éteinte de celui qui se serait bien jeté par la fenêtre si seulement il n'était pas coincé dans un sous-sol qui en était dépourvu. Je réalisais seulement à ce moment-là que lui s'ennuyait sans doute comme un rat mort pendant que nous changions la face du monde.

- Pensez-vous qu'on ait fait le tour des questions techniques ? demandai-je, prise de pitié pour mon ami.

- J'en aurais sans doute d'autres, mais je pense que le plus gros est résolu, répondit-il. Voulez-vous que nous procédions au moulage ?

Je hochai la tête avec enthousiasme. Quand je vis à quel point Edward se prêta de bonne grâce aux instructions, je compris qu'il avait été tellement éprouvé par notre interminable conversation qu'il était presque soulagé qu'on s'occupe enfin de lui. J'aurais sans doute dû compatir, mais à ma grande honte, je me sentis surtout rassurée à l'idée qu'il ne fasse pas de caprice.

Il se retrouva bientôt en caleçon et débardeur, sa veste posée sur son épaule de métal, pendant que Dwyer lui demandait aimablement de rester immobile tandis qu'il photographiait sous tous les angles son bras et sa jambe de chair. Le petit homme finit assis en tailleur devant la jambe gauche de l'adolescent, prenant une profusion de notes dans son petit carnet pour pouvoir retranscrire au mieux les nuances de sa peau et tous les autres détails. Il prenait sa tâche vraiment très au sérieux.

Edward profita de ce moment de flottement pour m'adresser un regard halluciné. Il n'avait pas besoin de parler pour transmettre sa stupéfaction face à ce prothésiste qui ne ressemblait en rien à ce qu'il s'était imaginé. Je lui répondis par un haussement d'épaules et un sourire amusé. Les sourcils d'Edward dansaient d'une expression à l'autre, incapable de démêler clairement ce que la situation lui inspirait.

Au moins comprenait-il maintenant pourquoi je ne m'étais pas inquiétée plus que ça de son apparence féminine. Ce petit homme avait un amour du détail tel que de savoir si son client était un homme ou une femme lui importait nettement moins que de connaître le nombre de rides sur ses phalanges et le dessin de ses veines sur le dessus de son pied.

- Hum, est-ce que vous voulez des poils sur vos prothèses ? demanda le petit homme d'un ton appliqué en finissant sa ligne de notes dans son carnet.

- Des... QUOI ?! Non ! répondit spontanément Edward avec un sursaut de surprise.

- Ah... bon, fit le prothésiste d'un ton déçu en notant l'information dans son carnet. C'est dommage, je possède une série de petites seringues qui permettent d'incruster une fausse pilosité dans le latex avec un rendu d'un réalisme époustouflant. Certes, c'est un peu long, mais...

- Je ne pense pas avoir le budget suffisant pour me permettre les poils, fis-je avec un sourire contrit, sentant mes sourcils se plier tandis que je réprimais une envie de rire. Deux prothèses de cette qualité représentent déjà un achat conséquent.

- Oui, je comprends, répondit le petit homme en hochant la tête. C'est un budget, pour sûr ! Sinon, aviez-vous des particularités sur vos membres perdus, grains de beauté, cicatrices, etc... ?

- Je me suis fait mordre à l'épaule par un renard il y a quelques années, répondit pensivement Edward en posant machinalement une main sur son épaule de fer, j'en avais gardé une belle cicatrice... Mais non, non, pas besoin de la reproduire, vous n'avez pas besoin de pousser le réalisme jusque-là ! s'exclama mon ami d'un ton confus quand il réalisa que le prothésiste était en train de noter ses paroles dans le carnet.

Le vieil homme poussa un soupir et barra ce qu'il venait d'écrire avec un soupir avant d'ajouter comme pour lui-même.

- Je me rattraperai sur les ongles.

Bras de fer, gant de velours - Troisième partie : DublithOù les histoires vivent. Découvrez maintenant