Chapitre 5 - 6 : Amertume (Alphonse)

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- Je ne vous comprendrai jamais, vous savez ça ? lança Winry d'un ton agacé.

Elle avait fini de me soigner et s'occupait maintenant d'Edward, qui serrait les dents tandis qu'elle appliquait du désinfectant sur une plaie de son coude. Elle avait été le témoin désabusé de notre combat, et même si j'avais eu la fierté de réussir à prendre le dessus par moments sur mon frère, malgré sa taille et ses automails, elle me jetait des regards las et totalement dépourvus d'admiration.

- Il faut bien qu'on s'entraîne, non ? On ne sait pas quelle est la prochaine fois où on sera confrontés à nos ennemis, il ne faut pas perdre la main.

- C'est vrai ! En plus, j'ai perdu l'entraînement, il faut que je recommence à le battre, ajoutai-je d'un ton résolu en le montrant du doigt.

Je ne lui avais pas pardonné sa dernière cachotterie, mais je devais admettre qu'une séance de combat en plein air m'avait remis les idées en place. Malgré les contusions et le mal de tête, je me sentais mieux. J'avais sans doute réussi à évacuer une partie de mes sentiments les plus négatifs durant le combat de tout à l'heure.

C'était sans doute très mesquin, mais quand mon regard tomba sur sa lèvre fendue, je ne parvins pas à éprouver les remords que j'avais habituellement après avoir frappé mon frère. Il avait rompu sa promesse. De nouveau. En croisant son regard, je compris qu'il l'avait bien senti, et qu'il n'avait pas non plus retenu ses coups, sans doute à cause de mon comportement avec le garçon retrouvé sur l'île. Bref, il y avait de la rancune dans l'air.

- Si vous êtes épuisés et à moitié morts le jour où les Homonculus débarqueront, ils ne feront qu'une bouchée de vous... Vous y avez pensé, à ça ? soupira la blonde en posant un dernier morceau de sparadrap. Edward, après tout ce que tu as subi pendant ton séjour à Central, tu ne voudrais pas plutôt te reposer ?

- Je suis déjà en pleine forme, grinça mon frère en se redressant. Mais si tu tiens tant à ce que je me repose, je vais aller faire un tour dans la bibliothèque d'Izumi en attendant le dîner. A plus !

Il traversa la pièce d'un pas un peu boiteux qui laissait deviner qu'il avait plus mal qu'il ne voulait le montrer, puis ferma la porte derrière lui, me laissant seul avec Winry.

- Quelle mouche vous pique ? demanda-t-elle en tournant vers moi un visage mécontent.

- Je ne vois pas de quoi tu parles, mentis-je. Tu sais bien qu'on se bat tout le temps.

- Je sais que vous vous battez souvent. Mais pas comme ça.

La réponse avait fusé du tac au tac. Et moi, je ne savais pas quoi répondre. Elle nous connaissait sans doute trop bien, malgré nos longues périodes d'absence, pour que je puisse la berner.

- Tu veux la version courte ou la version longue ?

- La version courte me suffira, je pense, fit-elle occupée à ranger la trousse de premiers secours qu'elle avait empruntée à Izumi.

- Tu devrais prendre une chaise quand même, suggérai-je.

Elle tourna la tête vers moi, comprenant à travers cette phrase à quel point que ce que j'avais à lui dire était sérieux, puis obéit et s'assit en face de moi, prête à m'écouter. Qu'elle me prenne un peu au sérieux me faisait du bien.

- Tu as raison, ça ne va pas fort entre nous. Il m'en veut parce que je me suis comporté de manière trop amicale envers le garçon qu'on a rencontré sur l'île.

- Il n'a pas passé l'âge des crises de jalousie ? s'indigna Winry en fronçant les sourcils.

- Ce n'est pas de la jalousie, c'est un peu plus sérieux que ça. Je ne crois pas que tu l'as remarqué, mais il a un tatouage d'Ouroboros sous le pied droit.

La blonde écarquilla des yeux ahuris. Manifestement, elle ne l'avait pas remarqué.

- Vous pensez que c'est un Homonculus ? chuchota-t-elle en lançant un coup d'œil vers la porte, - soudainement angoissée de le savoir ici avec nous.

- Oui. J'en suis même sûr. Mais ce dont je ne suis pas convaincu, c'est que ce soit un ennemi.

- Oh... Je vois. Et Edward n'est pas d'accord avec toi ?

- Exactement.

- Ça explique pourquoi il t'en veut, mais toi... ?

J'esquissai un sourire sans joie en me disant qu'elle nous connaissait vraiment trop bien. Elle avait compris que ce n'était pas une raison suffisante pour que je sois réellement en colère contre Edward.

- Et moi, je lui en veux, parce qu'il m'a dissimulé des preuves que notre transmutation a eu d'importantes conséquences.

Elle planta ses grands yeux bleus dans les miens, attendant plus de détails. Mais en ouvrant la bouche pour lui expliquer que nous avions effectivement créé un Homonculus ayant l'apparence de notre mère, ma bouche devint pâteuse, et je me rendis compte que j'étais incapable de dire cela à voix haute. J'avais la gorge trop nouée.

- Pour que ça vous mette dans cet état, je ne suis pas sûre de vouloir le savoir, murmura Winry d'une voix douce.

- Juliet Douglas, murmurai-je. Elle a... l'ap - l'apparence de Maman, murmurai-je d'une voix sourde.

Je n'allais pas pleurer de nouveau. Pas devant Winry. Je n'avais pas envie d'être traité comme un gamin par mon amie d'enfance. Je serrai les dents, et cette fois-ci, je tins bon. Elle mit quelques secondes à prendre la mesure que je disais, mais elle devina la direction qu'avaient prise nos pensées et porta à sa bouche une main horrifiée. En regardant sa mine choquée, je songeai qu'Edward lui aurait sûrement caché la vérité s'il l'avait pu. Eh bien, trop tard. Au moins, elle aussi, elle savait.

Je ne m'attendais pas à ce qu'elle se lève et me serre contre elle. Sentir ses bras m'enlacer fit aussitôt disparaître le froid qui m'envahissait quand je pensais à Juliet Douglas, et je fermai les yeux pour nicher ma tête au creux de son cou, bercé par sa chaleur, son odeur et ses cheveux qui me chatouillaient le nez. Mon cœur battit un peu plus fort contre mes côtes, et c'est d'une main un peu tremblante que je me raccrochai à elle. Sa présence était profondément apaisante, et je me dis avec une pointe de tristesse que j'aimerais avoir plus souvent l'occasion d'être dans ses bras.

Je sentis qu'elle me tapotait le dos de sa main libre, et demanda :

- Ça va mieux ?

- Oui, murmurai-je.

Bras de fer, gant de velours - Troisième partie : DublithOù les histoires vivent. Découvrez maintenant