42. Valentin

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©RoseWilliams2020RainbowLove
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Mes yeux sont rivés à l'écran depuis quelques minutes sans que je ne sois en mesure de saisir le sens des lignes qui s'y trouvent. Putain ! Je n'arrive pas à me sortir Raphaël de l'esprit.

Je m'en veux de lui avoir reproché son comportement. Je ne suis pas sans savoir qu'il a des difficultés à assumer son homosexualité dans les lieux publics. Je n'aurais pas dû laisser mes propres insécurités s'exprimer.

Raphaël n'est pas Swann !

Certes, j'aimerais pouvoir vivre mon amour avec mon beau métis au grand jour, mais je ne dois pas oublier le chemin qu'il a déjà parcouru. Il lui faut du temps, et je devrais respecter ça, mais...

Rah!

Avec un profond soupir, je retire mes lunettes pour mieux frotter mes paupières closes.

Notre virée londonienne a été aussi merveilleuse qu'épuisante. J'ai adoré tout ce qu'il avait prévu pour nous. Pour moi ! Je souris mièvrement rien que d'y penser. Il a même accepté de sacrifier une journée de travail pour passer du temps en ma compagnie. Je me suis vraiment conduit comme un ingrat. Merde! Devrais-je lui écrire pour lui demander pardon ? Je déteste cette idée. Je n'ai jamais été friand de technologie et m'excuser par écrans interposés ne me ressemble pas. Trop impersonnel.

— Oh, bon sang ! J'ai besoin d'un café.

J'étire mon corps avant de me lever et d'empoigner mon mug Pokemon parodiant Wrecking Ball de Miley Cyrus, montrant Pikachu, assis sur une pokeball tout en scandant : «I'm came in like a pokeball. I just want to catch 'em all ». Cadeau de Marc pour remplacer l'ancienne à l'effigie de Zelda sur laquelle Link arguait «Go save the Triforce but first coffee !»...

— Merde, je suis vraiment un geek, en fait.

Cette constatation me heurte comme une gifle. Moi qui ne me suis jamais réellement senti à ma place au milieu de mes collègues nerds... Je n'avais pas réalisé que j'étais l'un des leurs.

Un sourire s'épanouit sur mes lèvres à cette pensée. On me dit souvent que je n'ai pas la tête de l'emploi. Que comptable, ce n'est pas un métier qui fait rêver, et pourtant, j'ai toujours aimé les chiffres. J'ai toujours pensé que j'avais choisi ce cursus par dépit, mais en réalité, j'aime ce que je fais. Tout comme je commence à prendre du plaisir en tant que modèle photo. Vendredi soir, à la fin de la séance, Tom m'a montré quelques clichés avant de me remercier pour mon investissement. J'y avais toujours vu quelque chose de dégradant, mais à travers les quelques photos qu'il m'a montrées, j'ai pu entrapercevoir le côté esthétique du process.

En d'autres termes, j'ai l'impression qu'un verrou solidement enfoui en moi vient de se débloquer, répandant dans mes veines une idée lancinante qui commence à prendre racine dans mon esprit. Je suis légitime dans ce que je fais. J'ai ma place. Que ce soit ici, en comptabilité, ou devant un appareil photo. Et c'est libérateur au-delà des mots.

Armé de ma tasse, je me dirige vers Marc qui tape frénétiquement sur son clavier, ses écouteurs Bluetooth enfoncés dans les oreilles. Il ne remarque pas ma présence, fredonnant à voix basse des paroles que je reconnais rapidement comme étant celles de I want to break free de Freddie Mercury.

Même au travail, Marc ne peut s'empêcher de chanter. Quand je l'ai rencontré, il se réfugiait constamment dans la musique, se coupant du monde et de la moindre interaction sociale dans la manœuvre. Connaissant à présent son histoire familiale, je comprends son besoin de s'accrocher à cet univers sonore pour ne pas sombrer. Ça me brise un peu le cœur d'y penser, même si aujourd'hui, grâce à notre petit groupe d'amis, il va mieux.

À l'encre de ta peauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant