Chapitre 2-2

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Les paupières de la jeune louve se soulevèrent pile à cet instant et des yeux d'or liquide se rivèrent aux miens. Je sentis immédiatement Nicolas se tendre à mes côtés, tandis qu'un grondement sourd d'avertissement franchissait ses lèvres.

— Il n'y aura pas de second avertissement, la prévint-il de la voix rocailleuse annonçant sa pré-transformation. Regarde-moi !

Son regard dériva presque instantanément vers celui de Nicolas, mais j'avais perçu la légère résistance dans son mouvement et Nicolas aussi.

— Shay, lâche-là... maintenant !

— Shay, obéi, tout de suite ! ajoutai-je, adjoignant mon pouvoir d'Alpha à celui de Nicolas, tout en prenant garde à ne pas le court-circuiter.

La jeune louve nous montra les dents mais finit tout de même par repousser l'adolescente, non sans douceur, avant de se relever et de s'éloigner de quelques pas.

— Ne compte pas sur elle pour te protéger, ici c'est moi qui dirige. Soit, tu l'acceptes tout de suite, soit...

Le dernier mot résonna dans le silence pesant comme l'avertissement funeste qu'il était. Je vis la jeune fille déglutir, puis avec un effort évident commencer à baisser lentement les yeux. Les battements de mon cœur s'apaisèrent légèrement et j'expirai le souffle que je n'avais pas eu conscience de retenir.

— Qu'est-ce... qu'est-ce qui m'arrive ?

Le coassement rauque qui sortit de sa gorge nous surpris presque autant que l'indécision et la peur qui en émanaient, tellement à l'opposé de son comportement dominant et agressif des minutes précédentes.

— Qui es-tu ? lui demanda Nicolas sans répondre à sa question, bien que cette dernière l'ait visiblement interpellé.

— A... Abby, Abby Morales. J'ai... j'ai 17 ans et je... je ne comprends pas ce que je fais là. Vous êtes qui ? Où sont mes parents ? D'où vient tout ce sang sur mes vêt... pourquoi j'en ai sur les mains et sur...

Une plainte déchirante s'échappa de ses lèvres et ses mains se mirent à trembler alors que des larmes dévalaient ses joues.

— Abby, calme-toi ! lui ordonna Nicolas d'un ton autoritaire mais néanmoins rassurant. Tu es en sécurité ici. De quoi tu te souviens ?

— De... de rien ?! De l'attaque... de l'hôpital, d'être rentrée chez moi avec mes parents et ma sœur et depuis... plus rien.

Un éclair d'inquiétude assombrit momentanément les yeux chocolat de Nicolas, avant de disparaître presque aussi rapidement qu'il s'y était glissé tandis qu'il reportait son attention sur la jeune fille paniquée. Ses yeux, désormais noisettes, semblaient perdu cherchant un endroit où se fixer et sa poitrine se soulevait dans un staccato digne d'un cheval à l'arrivée d'un tiercé. A ma mention mentale de l'équidé, ma louve dressa l'oreille. Mes sens s'affinèrent encore et le doux fumet de la peur s'accrocha aux muqueuses sensibles de mon nez. Cette fille était une louve-garou, alors pourquoi exsudait-elle tout à coup l'arôme presque irrésistible d'une proie juteuse et frémissante ? Je vis les narines de Nicolas frémir et ses poings se crisper imperceptiblement tandis que j'essayais d'endiguer mon besoin quasi irrépressible de fondre sur ma proie.

— L'attaque, c'était il y a combien de temps ? demanda Nicolas d'une voix légèrement rauque.

— Ben, vous le savez bien ?! Tout le monde le sait...

— Tu veux parler de la première attaque ? Tu veux dire que ça fait trois mois ?!

La jeune fille se contenta d'acquiescer, ses yeux où se reflétaient son incompréhension et sa peur, papillonnant entre Nicolas, Shay restée en retrait, et moi. Ce que disait cette jeune fille n'avait aucun sens. Elle ne pouvait pas être livrée à elle-même depuis trois mois à errer dans les bois et attaquer tout ce qui bougeait ?! Si cela avait été le cas, on nous l'aurait rapporté depuis longtemps ! Sans compter, qu'hormis le sang et des déchirures récentes, ses vêtements semblaient propres et elle paraissait bien nourri et en bonne santé.

— Écoute, pour l'instant tu es en sécurité et c'est le plus important, les détails pourront attendre que tu te sois reposée un peu. Je te présente Shay, elle va t'accompagner à l'intérieur, au chaud et prendre soin de toi, ça te va ?

Nouveau hochement de tête, un peu moins apeuré cette fois tandis qu'elle se tournait vers la jeune femme brune qui attendait, quelques pas en arrière. Cette dernière tandis la main vers la jeune fille, qui se leva enfin et la rejoignit d'une démarche hésitante.

— La chambre du bas, elle y sera plus tranquille, ordonna-t-il calmement à Shay pour ne pas effrayer plus la jeune fille qui venait de sursauter à l'entente de sa voix.

Shay hocha la tête et entraîna Abby vers le côté du bâtiment et la nouvelle entrée qui s'y ouvrait depuis peu. Les travaux pour la construction d'une cave sécurisée et blindée, agrémentée de deux cellules à l'épreuve des loups-garous, avaient duré presque un mois et venais juste de se terminer quelques jours auparavant. Timing Impeccable ! aurait dit Lyn de son ton moqueur si elle avait été avec nous.

Nicolas les regarda s'éloigner et commença à se diriger vers la porte principale dès qu'elles eurent disparu à l'angle du bâtiment. La lassitude et l'inquiétude creusaient ses traits au milieu de son visage fermé alors qu'il ouvrait la porte et se précipitait à l'intérieur.

— Comment va-t-il ? demanda-t-il aussitôt à Storm, toujours au chevet du blessé.

— Toujours vivant... pour l'instant, mais pas du tout certain qu'il passe la nuit, lui répondit ce dernier en se relevant.

— Vous avez pu joindre Waahana ou Cooper ?

— Cooper est de garde aux urgences jusqu'à demain midi. Quant à Waahana, c'est elle qui gère la clinique cette semaine, elle ne sera pas dispo.

— Donc, en gros, il nous reste deux options ?! résuma Shane, toujours adossé au mur où je l'avais laissé. Parer au plus pressé, le mettre dans l'une des deux chambres sécurisées et attendre de voir. Où l'emmener nous même à la clinique avec tous les risques que cela comporte.

La clinique, comme nous l'appelions simplement, n'était en réalité qu'un simple dispensaire de fortune monté à la hâte par Waahana et quelques autres métamorphes guérisseurs, médecins ou infirmiers, ayant échappé aux contrôles. L'ancien hôpital secret des métamorphes, beaucoup plus fonctionnel et professionnel, établi dans le sous-sol d'une vraie clinique avait été démantelé par la police humaine à peine quelques jours après les attaques et tout son personnel arrêté. Nous ne savions pas ce qui leurs étaient arrivés. Raison pour laquelle le nouveau dispensaire avait été établi dans un bâtiment désaffecté jouxtant un pressing qui lui servait de façade et de couverture. Peu de gens connaissaient son emplacement et l'information n'était distillée qu'au compte goute et avec mille vérifications et précautions. Pourtant à chaque patient emmené à l'improviste le risque augmentait de se faire dénoncer par des voisins trop zélés même si le quartier pourri dans lequel il se trouvait avait été choisi volontairement pour limiter ce type de risque.

— Prévenons Cooper et installons-le en bas. Lyn pourra jouer les infirmières de substitution en attendant son verdict. S'il est toujours vivant demain matin, ajouta lugubrement Nicolas tandis que Storm et Shane se chargeaient de nouveau de l'humain enveloppé de lycra, se dirigeant déjà vers la porte.

— Où est Lyn d'ailleurs ? repris Nicolas dès que la porte se fut refermée sur les trois hommes.

— Aucune idée, pas vu depuis ce matin, répondit Grant avec le ton de quelqu'un à qui cela convenait très bien.

C'était vrai ça, où était-elle passée depuis la fin de notre atelier peinture ? D'ordinaire elle était la première à squatter la cuisine, cette fille était un véritable ventre à pattes, pensai-je avec tendresse.

— Pourrais-tu essayer de la trouver ? demanda-t-il à Grant d'un ton qu'il essaya de rendre moins autoritaire. Il faut que j'aille voir si la nouvelle jeune louve se rappelle de quelque chose.

— Tu ne crois pas qu'une nuit au calme lui ferait le plus grand bien ? lui demandai-je avec un demi sourire aguicheur. Il est tard, nous pourrions en profiter pour nous reposer nous aussi, pour une fois ?

— Bon, je m'occupe de trouver Lyn, dit soudain Grant en bougonnant. La petite à raison, tu as l'air crevé, allez vous reposer, ajouta-t-il en sortant à son tour, nous laissant seuls dans la grande pièce désertée.

Lupus NostrumOù les histoires vivent. Découvrez maintenant