Chapitre 13-1

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Autour de nous c'était le chaos. Nous courions droit devant, slalomant entre les métamorphes paniqués et les jardinières renversées. Les balles sifflaient à nos oreilles et les cris des personnes touchées semblaient déchirer mon âme. Une femme tituba devant moi, me tombant presque dans les bras. Elle s'affaissa contre moi, sa jambe blessée ne la portant plus et ses yeux paniqués croisèrent mon regard.

— Accrochez-vous, lui dis-je en passant son bras autour de mon cou avant de reprendre ma course éperdue dans le sillage de Nicolas.

Constatant que les nouveaux venus ne faisaient pas vraiment de différence entre eux et nous, certains métamorphes commencèrent à nous suivre, devenant du même coup des cibles privilégiées. Ils tombaient comme des mouches, seulement blessés pour la plupart ce qui allégeait légèrement ma conscience. Légèrement seulement car même si ces gens avaient choisi de soutenir Juan, je m'en voulais malgré tout de les abandonner. Pourtant je poursuivis ma fuite, à peine ralentis par le poids de ma passagère forcée, quand une terrible prise de conscience percuta mon esprit.

— Où est Cat ? criai-je à Cooper, courant non loin de moi.

— Je ne sais pas, me répondit-il d'une voix inquiète en jetant un coup d'œil derrière lui.

Ce seul instant de distraction faillit lui couter cher lorsqu'une balle lui frôla le bras et je m'en voulu aussitôt de l'avoir distrait. Malgré mon inquiétude pour Cat je continuai à courir. Comme me faire blesser ou tuer ne l'aiderait pas, je raffermis ma prise sur la taille de la jeune femme que je soutenais et rivant mon regard au dos de Nicolas, priais pour que tout ce passe bien pour mon amie.

Lorsque nous tournâmes enfin le coin du bâtiment, nous pûmes nous dissimuler au milieu des buis et des massifs taillés et en profiter pour reprendre notre souffle. Nicolas se tourna vers moi et cligna des yeux de surprise en avisant la jeune femme toujours accrochée à mon cou. Sans un mot il me rejoignit et me délesta en douceur de mon fardeau. Mes oreilles bourdonnaient et sifflaient dans le silence soudain, mais nos poursuivants n'étaient pas loin. Je pouvais sentir la corruption de la magie noire qui les enveloppait.

— Nous devons repartir, on ne peut pas rester là, nous enjoignis Nicolas dans un murmure pressé. Nous devons trouver un endroit sûr où attendre les renforts.

— Je viens d'avoir un message de Shane, intervint Storm sur le même mode. Il ne sera pas là avant trente minutes au mieux.

— J'ai une voiture, chuchota la femme d'une voix affaiblie. Les clefs sont dans ma poche.

— Dites-nous que vous n'êtes pas garée de l'autre côté du bâtiment ?! implora Cooper.

— Non, en dehors de la propriété. On peut couper à travers bois.

— C'est presque trop beau pour être vrai ! s'étonna-t-il, risquant malgré tout un petit sourire malgré son regard inquiet scrutant les alentours.

J'étais de son avis, ce silence ne me disait rien qui vaille. Comme pour répondre à mes pensées, une balle siffla à nos oreilles éraflant les pavés de pierres à dix centimètres à peine de la chaussure de Cooper. Une silhouette encapuchonnée se découpa bientôt entre les arbustes taillés, flingue braqué sur nous. Nous partîmes aussitôt dans la direction opposée, vite stoppés par une seconde ombre apparaissant au bout de l'allée et nous coupant toute retraites. Cette dernière n'était visiblement pas armée, mais mon cœur accéléra lorsqu'elle se mit à psalmodier dans une langue que je ne connaissais pas. Un pouvoir immonde commença à se répandre. Il ondulait vers nous comme un nuage toxique et pourtant nous ne bougions pas. Pourquoi restions-nous là, immobiles, à attendre que cette horrible magie ne nous contamine ?! Le premier sorcier avait rangé son arme et s'était mis, lui aussi, à scander dans une langue gutturale. J'étais consciente de tout ce qu'il se passait mais sans pouvoir réagir. Ma louve hurlait à l'intérieur de ma tête mais même cela ne me paraissait pas réel. J'étais comme déconnectée et en même temps horrifiée par ce qui arrivait.

Un éclair de douleur me traversa, remontant ma jambe et fissurant l'hébétude artificielle dans laquelle je me trouvais. Des mots emplis de pouvoir résonnaient dans mes oreilles, mais la voix qui les incantait était plus fébrile et plus aigüe. Le voile magique qui m'emprisonnait se déchira un peu plus tandis qu'une nouvelle décharge de douleur m'électrisait les orteils. Mes yeux enregistrèrent les nouvelles informations en une fraction de seconde mais mon cerveau ralentit par le sort mit plus longtemps à faire le tri.

Le talon de la jeune femme que j'avais secouru s'enfonça une fois de plus dans mon pied, tandis qu'elle continuait à réciter des phrases - probablement en latin – d'un débit de plus en plus précipité. Une sorte de brouillard glauque nous entourait, cherchant à nous atteindre. Les reflets violine malsain ondulant à quelques centimètres de nous, léchant les parois invisibles qui nous protégeaient tel un ressac malsain.

— Le sort de protection vient de vous ? demandai-je à la femme dans un murmure saccadé.

Ma voix, aussi pâteuse que ma langue, semblait avoir du mal à franchir mes lèvres et chaque mot prononcé me demandait un effort. Pourtant, sans cesser de réciter, elle me répondit d'un simple petit signe de tête affirmatif.

— Vous pourrez le maintenir même si on se déplace ?

Nouveau hochement de tête affirmatif, mais ses traits tirés, ses cernes et le sang qui imbibait la jambe de son pantalon, me disait qu'elle ne pourrait plus tenir longtemps. Rassemblant mon pouvoir et bandant ma volonté, j'envoyai une décharge d'énergie à Storm et Cooper. Ce dernier se réveilla presque aussitôt, mais Storm ne réagit pas. Pourtant, de nous tous, il avait toujours été le plus résistant à la magie et j'avais besoin de lui pour atteindre Nicolas. Je n'osais pas bouger, de peur d'attirer l'attention des deux sorciers hostiles et de déconcentrer celle qui était de notre côté. La peur et l'urgence m'empêchaient d'atteindre le calme nécessaire à la pleine concentration qu'il m'aurait fallu. Soudain, la pression magique s'intensifia et je sus que la maigre barrière qui nous protégeait était en train de céder. Paniquée, je poussai un véritable cri mental. Storm reprit ses esprits dans un grondement sourd, ses iris envahit de paillettes de jade. Comprenant tout de suite la situation, il attrapa le bras de Nicolas qui se tenait près de lui. Dès que leurs peaux furent en contact, ce dernier se réveilla de sa torpeur. Comprenant que nous n'avions plus une seconde à perdre, j'attrapai la jeune sorcière par la taille et d'un bond, nous projetai à travers l'une des haies latérales.

Les branches nous giflèrent et nous griffèrent mais nous parvînmes de l'autre côté relativement indemne et surtout, toujours debout. Les autres nous rejoignirent presque aussitôt et nous courûmes à toutes vitesses, slalomant entre les bancs et les végétaux. La pression magique semblait s'amenuiser à chaque pas supplémentaire pour finir par disparaitre lorsque nous atteignîmes enfin la cour principale du manoir. La jeune femme cessa alors de psalmodier et, à bout de force, s'écroula dans mes bras, me forçant à m'arrêter.

— Ne t'arrête pas de courir, je m'en occupe ! gronda Storm en parvenant à ma hauteur.

Il s'arrêta le temps de prendre la jeune femme dans ses bras puis repartit à la même allure, apparemment pas gêné par son fardeau. J'accélérai pour traverser l'esplanade totalement découverte et rejoindre la pelouse qui jouxtait les bois. Nous parvenions aux premiers arbres lorsque les cris et les coups de feu reprirent. Une balle vint se ficher dans le tronc d'un chêne, à l'instant où je passais à côté, m'arrosant d'une pluie d'écorce. Nous filions entre les arbres à une vitesse folle sans nous soucier du bruit que nous faisions. Je courais tellement vite que les troncs et les fougères paraissaient flous sur mon passage. L'instinct de Whisper avait prit le dessus et je me laissais guider par ma louve. Plus de peurs, ni d'inquiétudes secondaires. Ne demeurait que l'instinct de survie et l'exaltation de la course. Au bout de quelques minutes nous débouchâmes sur un chemin forestier menant à la route principale et là, garées sur le bas-côté, trois voitures semblaient nous attendre. Nicolas qui avait toujours les clefs de la jeune sorcière dans les mains, appuya dessus et celle du milieu se déverrouilla dans un cliquetis électronique.

Nicolas lança les clefs à Cooper qui s'installa au volant tandis que nous nous précipitions tous à l'intérieur. J'aidai Storm à installer la jeune femme toujours inconsciente sur la banquette arrière avant de m'y glisser à sa suite. Nicolas avait à peine refermé la portière du côté passager que l'une des vitres explosa, nous arrosant d'éclats de verres.

— Accrochez-vous ! prévint Cooper en déboitant brutalement, accrochant l'aile de la voiture de devant dans un crissement de tôles malmenées.

Puis martyrisant la boite de vitesse manuelle, il zigzagua sur le chemin de terre jusqu'à atteindre la route où il accéléra brutalement, nous sortant de cet enfer dans un nuage de gomme brulée. 

Lupus NostrumOù les histoires vivent. Découvrez maintenant