N'ayant encore eu aucune occasion de pénétrer à l'intérieur des cellules d'isolements depuis leur achèvement, je fus plutôt surprise de ce que j'y découvris.
L'endroit, au lieu d'être austère, triste et nue comme je m'y attendais était, à l'inverse, plutôt chaleureux pour une pièce sans fenêtre. L'aspect des meubles, tous en métal et solidement rivés au sol, étaient adoucis par une lumière indirecte tamisée et un grand tapis chamarré dissimulant en parti le visuel froid du béton.
Assise dans le coin du lit, rencognée contre le mur, Abby me fixait d'un regard apeuré et méfiant, ses yeux rougies par les larmes braqués sur moi. Avec des gestes lents et sans jamais la quitter des yeux, je refermai doucement la porte derrière moi sans la verrouiller. Puis je ne fis qu'un seul pas avant de me figer, les bras le long du corps dans une posture la plus neutre possible. J'aurais pu opter pour la traditionnelle question « comment vas-tu ? », inutile dans le cas présent, où laisser l'instinct de Whisper me guider. Je restai donc là, immobile et silencieuse.
Les secondes s'égrenèrent. Toujours les yeux dans les yeux, nous nous fixions sans dire un mot. Pourtant le silence n'était ni oppressant ni pesant. On ne sentait aucune tension excessive émaner de nos regards entrecroisés. Juste des interrogations, de la vulnérabilité et le besoin de contact.
— Pourquoi m'avez-vous enfermé ici ?
Sa voix, éraillée par les pleurs et la fatigue, résonna comme un souffle tremblant entre les murs de pierres.
— Pour ta sécurité et pour que tu puisses te sentir à l'abri et en sureté pour pouvoir te reposer. Je crois que c'est raté ! ajoutai-je d'une voix calme et douce assortie d'un petit sourire.
— Ce... ce n'est pas à cause de ce que j'ai fait ? Du... du sang ? me demanda-t-elle d'une voix vacillante. Il vient d'où tout ce sang ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Qu'est-ce... qu'est-ce que j'ai fait ?
A chaque question supplémentaire sa voix se brisait un peu plus, jusqu'à ce qu'elle se mette à sangloter, les yeux à présent rivé sur ses mains tremblantes et toujours brunes de crasse et de sang séché. Je réalisai, seulement alors, qu'elle portait toujours les loques tâchées dans lesquelles nous l'avions trouvé. La douche située dans le coin inférieur droit de la pièce était sèche et la pile de vêtements propres toujours pliée au pied du lit.
— Personne ne t'a expliqué que tu pouvais prendre une douche et manger ? lui demandai-je avisant le plateau, intact lui-aussi, posé sur la table, tout en tentant de masquer mon agacement.
Pour toute réponse, elle se contenta de se blottir encore un peu plus contre le mur, comme si elle voulait s'y fondre, en continuant de pleurer en silence. Des coups secs résonnèrent soudain contre la porte, terminant de la terroriser.
« Tout se passe bien ? », retentit presque aussitôt la voix de Nicolas étouffée par le battant.
— Oui, aucun problème. Laisse-nous juste un peu de temps, Nicolas, lui répondis-je sans pour autant détourner mon attention de Abby.
— Nicolas c'est... c'est l'homme qui m'a amené ici ? me demanda aussitôt la jeune fille d'une voix paniquée. Ne le laissez pas entrer ici, il...
— Il ne te fera aucun mal, tentai-je aussitôt de la rassurer.
— Il... il m'a attaqué ! Ses yeux sont étranges et... il me fait peur.
— D'accord, d'accord. Tu sais quoi ? Je vais lui dire de s'en aller et pendant ce temps-là, tu vas prendre une douche et passer des vêtements propres. Ça te convient ?
— Vous ne le laisserez pas entrer ?
— Pas tant que tu ne me donneras pas ton accord, lui promis-je, tâchant d'être la plus rassurante possible.
J'eus droit à un pauvre petit signe de tête tremblant en guise d'accord, mais je m'en contentai.
— Je te laisse prendre ta douche et je reviens te voir dans dix minutes, lui redis-je la main sur la poignée de la porte.
— Que vous.
— Que moi, promis, la rassurai-je une dernière fois avant de sortir.
Nicolas était tellement près du battant que je manquai lui rentrer dedans.
— Ne verrouille pas la porte ordonnai-je à Shane qui se précipitait déjà sur la serrure.
— Tu es sûre que c'est prudent ? me rétorqua-t-il en jetant un coup d'œil interrogatif à Nicolas.
J'avais beau savoir que sa réaction était normale, cela m'énerva plus que de raison, certainement car j'avais déjà une dent contre lui.
— Oui, j'en suis sûre ! grondai-je en me retournant brusquement vers lui. Pour le moment c'est juste une gamine paumée et terrorisée qui n'a aucune idée de ce qui lui arrive. Ne pas l'enfermer comme une criminelle la mettra un peu plus en confiance.
— Elle t'a dit quelque chose ? me demanda Nicolas en posant doucement sa main sur mon bras dans un geste d'apaisement.
— Rien de plus que la dernière fois, hormis qu'elle a peur de toi. Elle m'a fait promettre de ne pas te laisser entrer dans la pièce.
— Tu sais bien que cela ne va pas être possible ? Il va falloir que je lui parle.
— Dans un premier temps, laisse-moi faire. J'arriverai à la persuader. Je l'ai déjà convaincue de prendre une douche. Je suis certaine que lorsqu'elle se sentira plus en confiance et moins effrayé, elle acceptera de te parler.
— Elle t'a paru sincère ? Tu ne crois pas qu'elle joue la comédie ?
— Tu penses qu'il pourrait s'agir d'une espionne des disciples de Ivory ? demanda Lyn, vautrée par terre de l'autre côté de la pièce.
— Cela m'a effleuré l'esprit, en effet, lui répondit Nicolas d'un ton pensif et préoccupé. Je ne suis peut-être qu'un jeune Alpha, mais même moi je peux sentir que ses réactions ne sont pas normales. Déjà, son loup ma reconnu comme son dominant et son Alpha, tout à l'heure, je l'ai lu dans son regard. De fait, elle ne devrait pas avoir peur de moi de cette façon-là. De plus, les loups-garous n'oublient jamais le moment de leur transformation, l'acte est si violent et traumatisant qu'il reste gravé à tout jamais dans leurs esprits.
Le regard hanté de Shane croisa brièvement le mien et durant quelques secondes nous nous comprîmes sans qu'il n'y ait besoin de mots. J'avais été consentante pour mon passage et avertit de ce qui m'attendait et pourtant, j'en faisais encore des cauchemars.
— L'oubli est un mécanisme de défense classique de l'esprit lors d'un évènement traumatisant, pourtant ?! intervint Lyn. Je ne vois pas ce qui te surprend ?
— Pour un humain, peut-être, mais pas pour un être surnaturel et encore moins pour un loup-garou. Mets ça sur le compte de la magie, de l'instinct de survie ou de notre nouvelle conscience animale, mais nous ne pouvons pas oublier ce que nous sommes. Tu pourrais oublier ta Hyène ? Ne plus avoir conscience de sa présence en toi, dans ton esprit ?
Lyn fut secoué d'un bref frisson tandis qu'elle se relevait, le regard troublé.
— Je vois ce que tu veux dire, lui répondit-elle finalement. Alors c'est qu'elle nous ment ?
— Si c'est le cas, c'est une super actrice, me sentis-je obligé de la défendre. Franchement, je la crois sincère.
— Dans ce cas, il y a vraiment quelque chose qui cloche et il est hors de question que tu retournes dans cette cellule toute seule, m'avertit Nicolas.
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Lupus Nostrum
ParanormalSuite au plan machiavélique de Ivory consistant à lâcher une horde de loup-garou sur les humains, le temps de la conciliation est révolu. Les métamorphes sont désormais traités comme des monstres et des parias et forcés de se cacher ou de se défend...