17. TXL1138

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L'accélération du décollage souda littéralement les jeunes cadets à leur siège durant d'interminables secondes. Les poches d'air de leurs combinaisons se gonflèrent automatiquement, venant compresser leurs membres et abdomen. Cela rendait leurs moindres mouvements, ainsi que leur respiration, pénibles et difficiles.

C'était néanmoins le prix à payer pour ne pas perdre connaissance par manque d'afflux de sang vers le cerveau. La seule manœuvre qu'ils étaient encore capable d'effectuer était d'actionner la manette d'éjection placée intentionnellement sur leurs accoudoirs. En effet, la force à laquelle ils étaient soumis les empêchait de lever le bras pour atteindre l'une des commandes situées juste en face d'eux.

Le ronronnement des réacteurs remplaça subitement le vrombissement assourdissant des fusées. Ces dernières venaient d'être larguées afin d'entamer une longue descente, en pilotage automatique, vers la plateforme de lancement. Elles disparurent rapidement du champ de vision de l'équipage, faisant place à la courbure, de plus en plus prononcée, de l'horizon.

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Nous arrivions en orbite basse autour de notre magnifique planète bleue ! Grâce aux immenses hublots de notre navette, nous étions aux premières loges pour assister à ce spectacle fantastique que j'avais eu l'occasion d'entrevoir lors de mon vol stratosphérique, bien des années plus tôt.

Notre monde me semblait si beau, si pur, tel un diamant flottant dans le vide spatial...

Comment les êtres humains, seules créatures – soi-disant « évoluées » – à habiter ce merveilleux oasis de vie, n'avaient-ils pu utiliser l'incroyable miracle d'intelligence qui leur fut offert, qu'en ne cessant de développer de nouvelles armes afin de mieux s'entretuer ? Et lorsqu'ils furent enfin en mesure de contrôler leur folie guerrière, ils se mirent à construire des machines, en tout genre, salissant et polluant cette magnifique planète qui leur avait été confiée !

Pourquoi nous contraindre à vivre une existence vouée à la survie de notre société, sans que celle-ci n'ait plus aucune considération pour notre identité ni notre bonheur individuel ? Était-ce donc là le prix à payer pour arriver à contenir cette folie humaine attisée par les religions, l'appât du gain et du pouvoir ?

La Fédération représentait-elle vraiment l'unique possibilité de vie en communauté pour notre espèce ? Cette intelligence supérieure, capable d'éradiquer la plupart des maladies et pandémies, qui nous avait permis de coloniser d'autres planètes à l'aide de gigantesques vaisseaux spatiaux, nous rendait-elle inaptes à vivre librement et pacifiquement ?

Fallait-il que nous en arrivions irrémédiablement à nous entretuer de façon ignoble et cruelle comme seul l'homme était capable de le faire ? Étions-nous vraiment condamnés à nous comporter comme de vulgaires insectes, guidés uniquement par leur instinct, sacrifiant chaque instant de leur existence à la société qui les abritait ?

J'avais décidément le talent de gâcher les fantastiques expériences que m'offrait cette société, pour laquelle j'avais si peu de considération ! Nous étions ici grâce à elle. C'était elle qui nous avait fait l'honneur de nous choisir afin d'exécuter cette mission prestigieuse.

Nous allions bientôt voyager à bord de l'un des vaisseaux les plus modernes de sa flottille. Je le sentais déjà s'approcher de nous, comme si un lien étrange nous unissait dès à présent. Je pressentais que nos destinées se lieraient de façon mystérieuse et indescriptible.

L'instant tant attendu de notre rendez-vous arriva enfin, dans un merveilleux décor de lever de soleil en orbite. J'étais le seul à ne pas m'être collé aux hublots, car j'avais la lourde responsabilité d'assister l'ordinateur de bord durant la délicate manœuvre d'arrimage. Je pouvais néanmoins profiter de l'incroyable vue offerte par notre vaisseau amarré à son petit astroport, servant de station relais entre la surface et l'anneau planétaire.

Il grandissait lentement sur nos écrans de contrôle, révélant peu à peu à nos regards admiratifs les détails subtils de sa structure complexe. L'aménagement de son espace intérieur, ainsi que l'importante série de tests auxquels il devait être soumis avant de pouvoir entreprendre sa toute première mission, venaient de s'achever. Quelques navettes circulaient encore à proximité, comme de minuscules abeilles s'affairant autour de leur ruche.

Le TXL1138 était prêt à nous emmener jusqu'aux confins de notre système planétaire. Il s'imposait par sa puissance, sa taille, et sa forme qui, sous certains angles, rappelait étrangement celle d'un énorme buste humain luisant sous les projecteurs du dock.

Une lame génératrice de magnétosphère, fixée à sa proue, le protégeait contre d'éventuels impacts de petits astéroïdes... et surtout contre une bien plus probable collision avec l'une des nombreuses carcasses de satellites flottant, à l'abandon, aux alentours de notre planète.

Une longue tige d'acier, sur laquelle viendraient plus tard se fixer les coupoles destinées à accueillir notre cargaison d'Indésirables, reliait la partie habitée à nos quatre réacteurs à fusion nucléaire. Ces derniers étaient séparés du reste du vaisseau par un immense miroir qui nous protégeait de leurs radiations mortelles. Il s'agissait d'un ensemble de formes géométriques d'une lourdeur imposante, comparée à l'élégance de la zone habitable.

Cette construction fantastique semblait émaner d'une puissance surnaturelle. De simples humains en étaient pourtant à l'origine. Des hommes et des femmes descendants de ces « Homo Sapiens » qui avaient survécu, durant des millénaires, aux prédateurs, aux intempéries, aux catastrophes, aux maladies. Ils avaient conçu cette merveille de technologie, à force d'équations savantes, de tests et surtout d'expérience acquise génération après génération.

Un bruit sourd, accompagné d'un léger choc, me sortit de mes rêveries... Nous venions de nous connecter au sas qui s'ouvrit, comme par magie, contrôlé par l'ordinateur de bord. Notre mission principale consisterait à surveiller son bon fonctionnement, tout en exécutant ses directives.

Je ne savais combien de temps il était resté, seul, à attendre son tout premier équipage. Mais le ton de sa voix métallique me donna l'impression qu'il éprouvait un certain plaisir à nous voir arriver.

— Bienvenus à bord, jeunes cadets. Permettez-moi de vous présenter votre nouvelle demeure...

Ses paroles résonnaient profondément dans mes implants, comme cette lumière rouge qui nous accueillit jadis au sein de la pyramide. Nous nous laissâmes emporter par ses explications enthousiastes, illustrant toute la fierté que cette intelligence artificielle ressentait à l'égard de sa mission et du vaisseau qu'elle habitait.

Homo Sum 1 : l'éveil de l'humanité (Episode 1 : Fédération)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant