23. Contact

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Ma curiosité vis-à-vis de ces mystérieux Indésirables ne fit que croître au fil des jours. J'avais l'impression qu'ils communiquaient avec moi durant mon sommeil... Lorsque j'en fis discrètement part à certains de mes compagnons, ces derniers confirmèrent que des voix semblaient également s'adresser à eux, de temps à autre. Des voix qui venaient de nos coupoles et retentissaient dans leurs esprits, comme des appels à l'aide désespérés.

Nous décidâmes, par l'entremise de petits messages écrits échangés lors de nos différents tours de quart, d'entrer en contact avec nos mystérieux passagers. Cela devrait se faire sans attirer l'attention de l'ordinateur central qui risquerait d'interpréter ce comportement comme un acte d'indiscipline de la part de jeunes cadets !

Nous prîmes l'initiative d'agir séparément, en fonction de nos horaires de travail. Chacun d'entre nous entrerait individuellement en contact avec ces malheureux prisonniers, dans le but d'en savoir un peu plus sur notre bien étrange cargaison.

Nous nous rendîmes, par ce qui nous semblait être la voie la plus discrète, vers la première de nos quatre coupoles : un conduit, non éclairé, qui acheminait les vivres et matériaux nécessaires à la survie de ses occupants. Tout y était effectué de façon entièrement automatisée. Des machines triaient les denrées, pour ensuite les propulser dans le sombre tunnel où un système de soufflerie assurait leur transport en état d'apesanteur. Il s'agissait de semences et d'outils qui devraient permettre aux Indésirables d'organiser leur vie, en parfaite autonomie, dans leur nouvelle demeure.

Mon tour de quart terminé, je me dirigeai, grâce à mon implant palmaire, vers l'écoutille sécurisée qui donnait accès à la coupole numéro 1. Je fus bientôt emporté au beau milieu d'un amas de containers de formes et de tailles diverses. Le gigantesque conduit, long de plusieurs centaines de mètres, passait par l'arceau de la coupole. L'entrée de celle-ci baignait dans une pénombre bleutée. Seul un phare, semblable à une petite lune, en éclairait l'intérieur.

Le courant d'air faillit m'entraîner à l'intérieur de son dôme. Mais je ne voulais pas que les caméras de surveillance m'aperçoivent ; je restai donc dissimulé à l'extrémité du tunnel, flottant dans l'apesanteur ambiante.

En quelques instants, des dizaines d'hommes et de femmes d'âge mûr, aux visages ternes et au teint blafard, m'entourèrent. Ils semblaient avoir étés avertis de ma venue. Ils étaient tous profondément marqués par les épreuves qu'ils venaient de subir, mais affichaient une sérénité à laquelle je n'étais pas habitué. Leurs regards doux, bien que ravagés par la souffrance, pénétrèrent mon âme.

Ils s'étaient déjà confectionné quelques abris de fortune à l'aide des cordages et tissus mis à leur disposition. Ils se retrouvaient complètement livrés à eux-mêmes à l'intérieur de cette demi-bulle transparente : sans doute, leur ultime demeure ! Pourtant, aucun d'eux ne semblait ressentir de haine envers moi : l'un de leurs convoyeurs, ainsi que geôlier.

Leur attitude calme et silencieuse m'inspirait une merveilleuse sensation d'amour et de compassion. Nous n'échangeâmes aucune parole, de peur de nous faire remarquer, mais les brefs instants que nous passâmes ensemble furent les plus intenses de mon existence.

Un vieillard, à l'allure fière et sereine, se laissa flotter vers moi, drappé d'une toge blanche dans laquelle venaient se perdre sa longue chevelure et sa barbe grise. Il murmura quelques mots dans le creux de mon oreille ; des mots que je ne compris pas tout de suite.

Mais ces derniers ne cessèrent de résonner dans mon esprit à partir de cet instant. Il me parla d'une étoile, ou plutôt d'un endroit de la galaxie qu'il appela : « Alpha du Centaure ». Il nous demandait de quitter la Fédération afin de nous y rendre, à bord de notre vaisseau. Son message, bien que très vague, semblait s'adresser directement à mon subconscient.

Il me fallut, hélas, rapidement rejoindre notre espace de repos où j'étais censé passer le plus clair de mon temps en dehors de mes heures de quart. Je ne voulais pas éveiller l'attention de l'ordinateur. Je repris donc, à contre-courant, le tunnel qui m'avait mené jusqu'ici, en m'agrippant aux diverses conduites et canalisations qui sculptaient sa paroi intérieure. Je dus faire preuve d'une grande agilité afin d'éviter que les colis, emportés en sens inverse, dans le flux d'air ambiant, ne m'assomment.

À partir de cet instant, un étrange lien télépathique continua de m'unir au vieil homme. Son message tournait en boucle dans mon esprit de façon incontrôlable. Cette communion intense semblait également me lier à certains de mes compagnons. Sans nous parler, juste en échangeant quelques regards discrets, nous avions acquis la conviction de partager les mêmes sentiments envers nos malheureux passagers.

L'espoir insensé que ce vieillard, si frêle et insignifiant, avait tenté de faire naître en nous me plongeait dans une douce euphorie. Il nous demandait de le suivre dans cette merveilleuse aventure qu'il venait de faire germer au sein de nos esprits confus. J'avais la ferme impression que ceux d'entre nous qui étaient entrés en contact avec les habitants des coupoles se trouvaient, à présent, soumis au même dilemme que moi...

Mais je n'étais pas prêt à abandonner mon passé, ni ma compagne, pour échapper à ce monde dans lequel j'avais grandi. Malgré tous mes griefs envers lui, il avait fait de moi un cadet de l'espace. J'étais devenu un membre à part entière de la prestigieuse Flottille Spatiale !

Je n'osai parler de tout cela à mes compagnons. Le comportement de certains d'entre eux me parut de plus en plus bizarre. Ceux qui, tout comme moi, étaient entrés en contact avec les Indésirables semblaient nerveux, observant sans cesse les autres membres de l'équipage.

Homo Sum 1 : l'éveil de l'humanité (Episode 1 : Fédération)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant