41. L'enfant-oiseau

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Il s'agissait de l'enfant... Il tombait vers les spectateurs effrayés par ce spectacle pour le moins surprenant ! Nous nous apprêtions à l'attraper lorsqu'il s'arrêta à peine quelques mètres au-dessus de nos têtes. Il changea de direction pour suivre la course de la comète qui avait disparu derrière la cime des arbres.

Deux petites ailes, encore frêles et humides, s'étaient déployées sur son dos. Elles lui permettaient de se déplacer, comme le ferait un oiseau, ou plutôt un poisson dans l'eau. Le petit être utilisait ces étranges nageoires afin de se mouvoir dans l'air ambiant de façon maladroite, bien que déjà fort efficace.

Telle était donc la dernière mais également la plus merveilleuse surprise que le Maître nous avait réservée : il avait réussi à modifier l'embryon humain, implanté dans le ventre de Marie, en y ajoutant certaines caractéristiques des grands rapaces terrestres. Ce petit être contrôlait déjà instinctivement la paire d'ailes dont il avait hérité. Il évoluait de façon naturelle et aisée en état d'apesanteur.

Quelles autres surprises cette créature, dotée d'une agilité incroyable dès sa naissance, nous réservait-elle encore ? Et surtout, question qui nous était complètement sortie de la tête à cause de l'étonnement qui nous avait brièvement emportés : quel était son sexe ?

Notre Maître devait bien rire, en nous observant depuis sa tombe... J'étais persuadé que son esprit était encore parmi nous, à l'intérieur de notre coupole. Je me retournai vers le cimetière, où reposait sa dépouille, pour essayer de croiser le regard de son hologramme.

J'avais l'impression de sentir le souffle de sa voix dans ma nuque, murmurant ce message de bonheur qu'il faisait vibrer dans mes implants en cet instant merveilleux. Mais les exclamations de mes compagnons ramenèrent bien vite mon attention vers le spectacle fantastique que nous offrait notre nouveau-né.

Ce dernier effectua encore quelques cabrioles, juste au-dessus de nos têtes, comme pour venir nous narguer de notre maladresse dans cette apesanteur à laquelle nous ne pourrions décidément jamais complètement nous habituer. Son élégance, toute féminine, me réconforta dans l'espoir que nous venions d'assister à la naissance de celle qui serait porteuse de nos rêves les plus fous.

Ce fut alors que sa trajectoire le ramena vers sa mère et qu'une voix s'écria du haut de la tour :

— C'est une petite fille, une colombe, un miracle... Nous sommes sauvés !

Un déluge d'ovations résonna dans la coupole, se propageant le long des coursives du vaisseau qui semblait vibrer, comme s'il était vivant ! Mes pensées retournèrent vers notre Maître qui avait si parfaitement orchestré ce qui venait de se passer. Tout se déroulait selon ses plans ; rien ne pouvait plus entraver notre course vers la liberté.

Je me souvins alors clairement de chacune de ses paroles : comment il m'avait expliqué que cet enfant pourrait, à son tour, donner naissance à une nouvelle génération de ces créatures capables, grâce à leurs fortes caractéristiques génétiques, de s'épanouir sur notre nouveau monde.

Mon esprit n'en finissait de recenser nos dernières conversations. Je compris enfin l'importance de ce message extraordinaire, auquel je n'avais pas vraiment osé croire en l'entendant pour la première fois. J'avais eu peur qu'il ne soit que le fruit des divagations d'un vieillard agonisant.

Tout cela m'avait semblé si fou, si irréel. C'était sans doute pour cela qu'il décida de ne pas révéler en détail ce qui nous attendait. Il ne parla pas de cet enfant ailé, mais simplement des plans qu'il avait élaborés, ainsi que du petit satellite orbitant autour de cette énorme géante gazeuse d'Alpha du Centaure A ; l'astre le plus semblable à notre Soleil parmi ce triplet d'étoile vers lequel nous nous dirigions.

Je me retirai loin de l'excitation de mes compagnons pour me remettre à retranscrire, comme je l'avais déjà fait à maintes reprises, les dernières informations que notre Maître m'avait transmises. Je ne voulais plus rien oublier !

Elles me parvenaient tel un raz de marée m'emportant avec lui. C'était comme si le vieil homme avait toujours été là, parmi nous... qu'il avait choisi cet instant précis pour s'adresser à moi, par l'entremise de mes implants. Ces derniers résonnaient maintenant de façon très claire et distincte :

Alpha du Centaure A était une étoile jaune de type G2, comme notre Soleil. Alpha du Centaure B, par contre, était de couleur orange de type K1, moins chaude, et de moindre masse que sa grande sœur. Alors que ces deux étoiles jumelles ressemblaient de façon étonnante à la nôtre, le troisième membre de ce triplet : Proxima, n'était qu'une naine rouge... plus froide et petite.

C'est précisément pour cela que notre Maître fit envoyer une sonde vers la première de ces trois étoiles, à une époque où la plupart d'entre nous n'étaient même pas encore nés... Cette fameuse sonde, dont les résultats avaient été cachés afin de ne pas éveiller l'attention d'une Fédération assoupie par ses nombreux problèmes de colonisation !

Je me souvenais parfaitement des cinq tests qu'une étoile devait passer pour qu'elle puisse être susceptible d'abriter la vie sur une de ses planètes :

Le premier stipulait qu'elle devait être arrivée à maturité. C'est-à-dire qu'elle soit dans sa séquence principale ; la phase où elle consumait son hydrogène, le transformant en hélium générant ainsi chaleur et lumière. Comme l'hydrogène y était généralement abondant, la plupart d'entre elles restaient longtemps dans cette séquence, donnant ainsi le maximum de chance à la vie de s'installer et d'évoluer sur les planètes situées à une distance optimale. Le Soleil, de même que les trois étoiles d'Alpha du Centaure, passaient ce test haut la main...

Le second, plus difficile, nécessitait que l'étoile en question émette exactement la bonne quantité d'énergie. Les plus chaudes brûlaient leur hydrogène trop rapidement et les froides ne produisaient pas assez de chaleur. Elles ne pouvaient donc pas permettre à l'eau d'être à l'état liquide sur les planètes qui les accompagnaient. Entre les étoiles trop chaudes et celles trop froides, nous trouvions les étoiles jaunes, comme notre Soleil. Celles-ci avaient la juste intensité pour donner naissance à la vie. Alpha Centaure A passait ce test avec mention. Alpha Centaure B, par contre, était un peu plus froide. Les conditions de vie sur ses planètes seraient sans doute extrêmement inhospitalières... En ce qui concernait Proxima, c'était sans espoir ; elle n'émettait pas assez de chaleur.

Le troisième test exigeait que l'étoile en question bénéficie de conditions stables. Elle ne pouvait pas passer subitement du chaud au froid en empêchant, de ce fait, le développement de la vie. Alpha Centaure A et B formaient une étoile binaire, tournant l'une autour de l'autre en quatre-vingt ans. La distance qui les séparait variait de onze à trente-cinq Unités Astronomiques (UA=distance Terre-Soleil). Vue d'une planète en orbite autour de l'une d'elles, la lumière de l'autre étoile allait croître et décroître au rythme de l'orbite du binaire.

Heureusement, la variation de température provoquée était très faible et ces deux étoiles passaient ce test également. Ce qui n'était pas le cas pour Proxima car, comme beaucoup de naines rouges, elle était prompte à s'embraser et pouvait doubler, ou tripler, d'intensité en quelques minutes à peine !

Le quatrième critère était l'âge de l'étoile : elle devait être assez vieille pour que la vie ait eu la chance de se développer sur l'une de ses planètes. Il était remarquable de constater qu'Alpha du Centaure A et B étaient à peine plus vieilles que notre Soleil. Proxima, quant à elle, n'existait que depuis un petit milliard d'années, étant de ce fait, beaucoup trop jeune.

Le dernier critère devait garantir la présence d'éléments lourds : le carbone, l'oxygène et le fer, indispensables à toute vie biologique. Comme pour la plupart des étoiles, notre Soleil était principalement formé d'hydrogène et d'hélium ; deux pourcent seulement de sa masse étaient constitués d'éléments lourds... un taux amplement suffisant, néanmoins, pour fabriquer des planètes.

Homo Sum 1 : l'éveil de l'humanité (Episode 1 : Fédération)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant