Mes compagnons continuaient à discuter, mais je ne les entendais déjà plus. Je les observais d'une façon toute nouvelle. Ces numéros, censés nous représenter, m'avaient empêché de les considérer comme des individus à part entière. J'avais, à présent, en face de moi, des êtres humains ayant chacun leur propre identité.
Luc, notre ancien numéro 1, possédait un solide caractère de meneur. C'était principalement grâce ou, plutôt, à cause de lui que nous nous trouvions embarqués dans cette folle aventure. Il était plus grand que la moyenne, presque autant que moi ! Mais son imposante carrure et sa musculature d'athlète décourageaient quiconque de lui chercher querelle.
Marc, par contre, était plutôt chétif, mais animé d'un esprit vif et clair qui forçait l'admiration de tous. Il avait le talent de trouver solution à tous les problèmes auxquels nous étions confrontés. Je le connaissais depuis plus longtemps que les autres, car il fut l'un de mes premiers compagnons de jeu au sein de mon village natal. Une profonde amitié s'était, de ce fait, installée entre nous.
Mathieu, quant à lui, affichait une corpulence moyenne et ne se distinguait d'aucune manière... Il était présent... sans plus, semblant constamment vouloir se confondre avec son entourage. Il ne m'avait pratiquement jamais adressé la parole ; ni à aucun des autres membres de notre groupe, d'ailleurs. La seule occasion où nous avions échangé quelques mots fut lorsqu'il m'avoua détester les miroirs et être ravi d'en avoir rencontré aucun depuis qu'il était sur notre vaisseau !
Venait enfin Judas... Je ne le connaissais pas encore très bien, mais sa joie de vivre n'avait d'égal que son optimisme imperturbable. Son visage d'enfant affichait, en permanence, un sourire en coin qui évoquait la moquerie. Pourtant, une fois cerné le personnage, on comprenait qu'il ne s'agissait que de cette légendaire bonne humeur qui ne le quittait jamais !
Après avoir fait le tour de notre petit groupe, mon regard se dirigea vers le grand hublot de la salle de détente. J'admirais, à travers lui, notre étoile à peine plus grosse que les autres. Elle nous avait vus naître, mais ne nous verrait sans doute jamais mourir... si notre plan d'évasion se déroulait comme nous l'espérions.
Je pensais à tous ceux que nous avions décidé d'abandonner, sans même savoir où nous allions : ma compagne, mes parents... Je ne pouvais pas les oublier, ils faisaient partie de l'individu que j'étais devenu. Sans eux, je ne serais plus tout à fait moi-même. Pourquoi quitter tout ce qui fut notre vie jusqu'à présent pour un exil qui nous embarquait dans un voyage dont nous ne connaissions même pas la destination ? À supposer qu'il y en ait une...
Il ne nous faudrait jamais oublier d'où nous venions ni qui nous étions. Nos actes avaient déjà bien trop mis notre conscience à l'épreuve. Animés par l'inaccessible espoir de réapprendre à vivre nous avions, bien malgré nous, dû apprendre à tuer.
Je pris la parole pour aborder un sujet auquel personne n'avait encore pensé, mais qui me paraissait essentiel :
— Les Indésirables... allons-nous les laisser dans les coupoles ? Une salve pourrait atteindre l'une d'elles et projeter ses occupants dans le vide. Ne vaudrait-il pas mieux les transférer vers l'intérieur du vaisseau ? Combien de vies allons-nous encore mettre en péril avant d'arriver à nos fins ?
— Non ! s'écria Luc. Comme vous le savez tous, les coupoles sont placées sous la plus haute surveillance. C'est là que se trouvent la plupart des caméras et celles-ci sont directement reliées au Centre de Contrôle. Il m'a déjà fallu quatre jours pour effectuer les enregistrements qui camouflent ce qu'il se passe ici. Nous devons accepter ce risque pour garantir l'effet de surprise, essentiel à notre succès. En outre, il n'y a pas assez de place à bord pour nos passagers. N'oubliez pas que chacune de nos coupoles abrite près de trois cents d'entre eux.

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Homo Sum 1 : l'éveil de l'humanité (Episode 1 : Fédération)
Science FictionDérivant dans les profondeurs d'un des nombreux univers de la création, un monde sans âme abrite de terribles secrets... Les individus qui en font partie n'y ont plus droit à un nom, ni à une quelconque identité. Ils sont devenus les "ouvriers" de c...