20. Rêveries

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En imaginant, comme j'en avais jadis l'habitude, qu'autour de certains de ces petits points lumineux gravitaient une multitude de planètes et que quelques-unes d'entre elles avaient, sans doute, également donné naissance à des êtres intelligents ; je réalisais le peu d'importance que nous avions face à l'immensité de l'univers qui nous entourait !

Nous n'étions qu'un exemple d'évolution, parmi tant d'autres. Une histoire qui avait eu ses grands moments, lorsque certains individus s'étant battus pour des causes justes, en étaient parfois arrivés à accomplir le sacrifice suprême afin de défendre ce en quoi ils croyaient.

Une histoire qui commença tout doucement avec l'apparition d'une espèce, à priori faible et démunie, mais animée d'irrésistibles flammes appelées intelligence, courage et amour. Une histoire qui l'avait conduite, au fil des millénaires, bien au-delà de son berceau, vers les confins du système planétaire qui l'abritait.

Décidément, l'espace générait bien des délires, poussant à la méditation. On y bénéficiait d'une vision différente, sans doute plus sage, grâce au recul. Ce petit point bleu qui s'éloignait lentement de nous, devenait à mes yeux, la chose la plus précieuse qui soit. Tout y était beau... et possible. La protection invisible, fournie par sa fine couche atmosphérique nous avait permis d'apparaître à sa surface. Je ne pouvais rester indifférent au miracle que représentait cette planète exceptionnelle, avec ses océans, ses forêts, ses fleuves et ses millions d'espèces vivantes.

Les autres étaient soit brûlantes, soit gelées, soit gazeuses, soit formées d'interminables étendues rocheuses, hostiles et désertiques où l'eau ne se présentait que sous forme de glace, de gisements sous-terrain, ou encore de vapeur.

Ce fut ici, en la voyant s'éloigner au fin fond de l'espace que je me rendis compte du miracle que représentait cette véritable oase de vie qui nous abritait.

Notre étoile, qui venait progressivement se confondre avec ses lointaines cousines, semblait nous abandonner. Mes pensées dérivaient, de concert avec notre vaisseau, vers une destination encore inconnue. Le vide spatial me donnait l'impression étrange de vouloir nous avaler, comme aurait pu le faire la gueule d'un monstre gigantesque, prenant à présent la forme du nuage de roches formé par la ceinture d'astéroïdes. Celle-ci grossissait sur nos écrans de contrôle, au fur et à mesure que nous nous en approchions.

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L'adolescent venait d'atteindre la fin de son tour de quart. Après avoir briefé son remplaçant, il emprunta le sas rotatif qui lui permit de sortir de la zone de travail pour pénétrer dans celle de repos. Ayant quitté l'espace gravitationnel du vaisseau, il flottait entre les parois de l'étroit couloir menant aux cabines individuelles. Il se propulsa vers celle qui portait son numéro : le 6. Décidément... le chiffre fétiche de cette Fédération qui le poursuivait inexorablement !

Il ouvrit la porte d'une petite chambre à l'équipement spartiate : une simple armoire et un couchage vertical auquel il se fixa afin de ne pas dériver dans le vide. L'apesanteur ambiante ne tarda pas à l'emporter, très confortablement, dans un sommeil profond qui le délivra lentement de ses pensées confuses.

Le jeune pilote s'agita subitement, comme transporté par un rêve d'une intensité anormale. Ses yeux semblaient rouler à l'intérieur de leurs orbites sous ses paupières fermées. Mais cette crise ne dura que quelques secondes. Son corps s'apaisa et se remit à flotter calmement, harnaché à son couchage.

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Ma première période de repos venait de s'achever. Je défis les sangles me retenant à mon lit qui, selon mon imagination, était fixé au plancher au mur ou au plafond : difficile de s'orienter dans l'apesanteur ! On pouvait à son gré flotter entre les diverses zones de repos ou de détente, comme des poissons évoluant dans un aquarium géant, sans haut ni bas.

Après avoir ingurgité, avec peu d'enthousiasme, quelques portions des aliments, d'origine soi-disant naturelle, contenus dans les nombreux tubes rangés dans notre réfrigérateur ; je me rendis au compartiment radar. Une console nous y permettait d'identifier les astéroïdes et comètes risquant d'entrer en collision avec notre vaisseau.

Cette tâche, relativement monotone, m'était assignée pour mon prochain tour de quart. Mais les délais de réaction, en cas d'alerte, ne me laissaient pas le droit à l'erreur... Il s'agissait d'analyser rapidement la vitesse et la taille de l'objet en question, afin de déterminer si nos canons de bord pouvaient le désintégrer ; ou bien s'il s'avérerait nécessaire d'altérer notre trajectoire en effectuant une manœuvre d'évitement qui nous coûterait beaucoup d'énergie et de temps.

Une ultime solution s'avérait encore possible : utiliser l'un de nos missiles à charge nucléaire. Toutefois,  nous ne l'envisagerions qu'en cas d'extrême urgence, car ces missiles avaient une valeur marchande presque aussi élevée que notre entière cargaison !

Il me suffisait, pour l'instant, de m'installer confortablement dans une des sphères virtuelles qui équipaient la salle de veille baignant dans l'obscurité. Celle-ci reliait mes implants aux multiples senseurs qui scrutaient nos environs. C'était comme si le TXL1138 et moi-même ne formions plus qu'une seule et même entité. Je me retrouvais ainsi, flottant dans l'espace, au beau milieu de mes compagnes de toujours... J'avais l'impression d'être littéralement devenu l'une d'entre elles !

La peur d'agoniser dans le vide me revint lentement à l'esprit. J'en avais encore rêvé la nuit précédente ; un cauchemar devenu de plus en plus fréquent depuis notre départ. Mais il fallait que je me concentre. Ma mission exigeait que je fasse preuve, le cas échéant, de réflexes et d'une logique parfaite. La moindre hésitation de ma part pourrait nous être fatale.

Les vibrations transmises à l'entièreté du vaisseau par le vrombissement continu de nos réacteurs me faisaient prendre conscience de l'énorme source d'énergie que nous avions à maîtriser à chaque instant. Comme si nous chevauchions une véritable centrale nucléaire capable de libérer, en une fraction de seconde, la puissance phénoménale contenue dans ses entrailles.

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Le TXL1138 continue son long voyage au fin fond de l'espace vers la sixième planète aux gigantesques anneaux de glace. Mais ils vont tout d'abord devoir traverser l'impressionnante ceinture d'astéroïdes qui les en sépare...

Homo Sum 1 : l'éveil de l'humanité (Episode 1 : Fédération)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant